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La Toussaint (C)

27 octobre 2013

Jean 3, 1-3
Apocalypse 7, 2-4.9-14

Bienheureux !

Jacques Sylvestre

« Sois heureuse » avait dit l’ange à Marie. Début d’une histoire de bonheur et d’amour. Elle se prolonge. « Mon âme exalte le Seigneur », avait chanté la nouvelle maman« Heureux les pauvres » clame Jésus : les premiers mots du Sauveur, rapportés dans l’évangile de Matthieu et proclamés en ce jour où nous célébrons la Toussaint et évoquons le souvenir de nos disparus.

Heureux les pauvres : par ces mots, Jésus salua la foule immense venue de tous côtés pour l’entendre. Elle était là sur le versant de la montagne, face au lac de Tibériade. En accord avec l’inoubliable paysage, « Heureux les pauvres!  » leur cria-t-il sans doute à maintes reprises. Jésus se reconnaissait bien en chacun, « lui qui de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté ». Au grand étonnement de tous, habituésJacques Sylvestre aux exigences sévères des responsables de la religion juive, Jésus partage avec chacun un message inédit, secret du bonheur, joie de vivre.

À l’Écoute de cet Évangile, bonne Nouvelle tant de fois entendue, des questions se posent : vivons-nous notre engagement, notre vie à la suite du Christ, comme des gens heureux ? Comment se fait-il que le christianisme soit à ce point rejeté et que l’on bascule si facilement dans le judaïsme, le bouddhisme ou l’Islamisme? « Bienheureux » avait pourtant proclamé Jésus. Laissons-nous interpeler une fois encore par ces mots.

« Bienheureux les pauvres! » Quel paradoxe! La pauvreté peut-elle apporter le bonheur? Imaginez un moment que Jésus nous salue ainsi, en ce jour de fête : Heureux vous les pauvres de la communauté chrétienne de Saint-Albert!

Qu’est-ce que la pauvreté, qui est pauvre aux regards de Jésus? Le pauvre n’est peut être pas celui qui affiche une pancarte et tend la main pour quêter entre les voitures sur les artères achalandées. Ou encore les itinérants, ceux que l’on remarque à peine, le soir venu, dans la nuit froide, sur les bouches de métro. Le pauvre? Celui qui attend en quelque lieu que ce soit, celui qui ne sait, qui ne peut qu’attendre. Les béatitudes proclamées par Jésus ne peuvent-elles décrire la réelle condition des pauvres et nous dévoiler la source d’un réel bonheur terrestre?

Une question nous interpelle : sommes-nous des pauvres, assez pauvres pour être heureux? Heureux, mais à quelle condition? Le Seigneur a précisé les traits de cette pauvreté, source du bonheur qu’il promet.

« Heureux pauvres parce qu’ils sont doux ».
L’instinct est tellement puissant en nous. Qui peut être contesté sans réagir violemment? La douceur et son apparence de faiblesse, de démission, d’infériorité, peut-elle être vraiment source de bonheur? Jésus n’était-il pas lui-même doux et humble de cœur? Lui dont les enfants raffolaient : « Laisse-venir à moi les petits enfants », disait-il. Heureux l’enfant dont la vie s’offre à lui comme un grand rire dont il ne sait se rassasier!

« Heureux les pauvres, d’ajouter Jésus, parce qu’ils pleurent ».
Le bonheur n’est pas tant de pleurer que d’être consolé : une présence inattendue, inespérée, une oreille qui écoute, des larmes qui se fondent aux nôtres, un bras qui nous enlace et nous presse sur son cœur. Sentir combien Dieu peut se rendre présent à nos vies souvent exposées à une grande solitude, inexprimable pauvreté.

« Heureux les pauvres, les miséricordieux ».
La miséricorde, comme l’exprime le radical, un cœur sensible à la misère des autres. Le miséricordieux s’efforce de comprendre au lieu de condamner et compatit vraiment à la souffrance de l’autre. Comment être heureux si le voisin, l’ami, l’enfant est misérable, abandonné à son sort? La miséricorde, la vertu par excellence de Dieu, elle résume la vie de Jésus. L’apôtre Paul le confessait : « Il a pris sur lui toutes nos misères hormis celle du péché ». Il y aurait lieu de réentendre ici le prophète Isaïe (52-53).

Dans ce projet de bonheur pour des pauvres, Jésus ajoutait : « Heureux les pacifiques ». Certes, à cette fin, ne faut-il pas faire la paix à n’importe quel prix. Éviter la guerre, savoir se parler, se pardonner même si l’oubli s’avère impossible sauf avec le temps. N’y a-t-il pas trop de champs de bataille dans notre histoire, cimetières de vie brisée. Jésus n’a jamais condamné, mais tant de fois pardonné. Une main tendue, un premier pas, c’est peu, mais c’est la paix rendue possible. Voyez de quel amour Dieu nous a aimés, lui qui, pour faire le premier pas, a livré son propre fils pour nous sauver.

« Heureux les cœurs purs ». Si la transparence n’était pas un vain mot à la mode, si chacun se faisait un idéal d’être vrai! Pouvoir inspirer confiance à l’autre et lui faire confiance! Notre petit monde serait tellement plus heureux. Faut-il en dire davantage? Confrontés à la vérité, il y a la vérité des autres, mais il y a notre vérité, notre transparence.

« Heureux les pauvres, les affamés, les assoiffés de justic ». Sans doute est-il opportun d’épurer la société des collusions malhonnêtes, urgent de sauvegarder à tout prix nos droits. « Ne vous demandez pas ce que l’État vous doit, disait Kennedy, mais ce que vous devez à l’État ». Nous avons des droits sans doute, mais toute personne a aussi des droits? Cette question des droits de la personne nous obsède : nos droits sans doute, sans oublier toutefois les droits des autres. Pareil respect des droits de la personne ne relève-t-il pas de l’utopie? Aux yeux de Dieu, chacun est quelqu’un, une rose dont l’importance est n’a nulle autre pareille.

« Heureux les pauvres », clamait tant de fois et à pleine voix, Jésus, devenu pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté. Matthieu rappelant ces paroles de Jésus tout au début de sa catéchèse évangélique, a fait des béatitudes la description du pauvre selon le cœur de Dieu, le lieu et l’espace d’un bonheur promis.

Ce bonheur promis, espéré, quel peut-il être? Une récompense dans les cieux, un trésor d’outre tombe? Ne serait-il pas dans la réalisation ici-bas du projet constamment promu par Jésus: un monde de paix, de justice et d’amour pour tous et chacun, impossible si chacun ne donne un peu, beaucoup du sien. Jésus nous a laissé ces leçons de vie qui ne peuvent que nous rendre heureux et rendre heureux tout foyer, la terre et tous les temps. Qu'importe que nous n’ayons pas une fortune à gérer, un château pour vivre et une ou deux voitures à la porte. Ce que nous pouvons souhaiter pour tous et construire pour chacun, surtout la génération qui nous suit: un environnement, une existence tissée d’amour, de justice et de paix, un milieu où il ferait bon de vivre sans vouloir le fuir d’une façon ou d’une autre, si ce n‘est dans les cieux où finalement grande sera notre récompense.

Réjouissons-nous avec tous les élus de nos familles. Ils ont pour la plupart vécu et tenté par tous les moyens, sans négliger un certain appauvrissement, de sauvegarder entre eux la paix, la justice et l’amour. 

Communauté chrétienne Saint-Albert-Le-Grand de Montréal