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4e Dimanche du Carême (C)

10 mars 2013

Un homme avait deux fils…

Yvon D. Gélinas

Yvon D. Gélinas

2 Cor. 5, 17-21

Luc 15, 1-3. 11-32

Un homme avait deux fils… Et devant ceux qui se savaient des exclus et qui espéraient une parole d’espoir, et devant ceux qui croyaient tout savoir et résistaient à sa parole, Jésus déroule une de ses plus émouvantes paraboles. Émouvante, touchante parce qu’elle plonge au cœur de l’humain, rejoint des expériences dont nous avons été témoins ou participants. Un homme avait deux fils. À l’écoute du récit, nous nous reconnaissons en ces deux fils, nous sommes tour à tour l’un ou l’autre de ces fils.

Le plus jeune, avec ses désirs de liberté, de prise en main de son destin, son rêve d’un ailleurs où serait la vraie vie, où serait le bonheur. Et la terrible désillusion. Le voici démuni matériellement, mais surtout intérieurement, spirituellement. Il est dans une terre qui lui est étrangère, loin de ses repères habituels. Il s’avoue vaincu. Il va retourner chez son père, mais comme l’étranger qu’il est devenu : sans rêves, sans avenir, comme un esclave qui ne demande qu’un peu de nourriture. Nous sommes parfois dans ce sentiment d’avoir été vaincu par la dure réalité de la vie. Nous sommes souvent en ce désarroi, blessé, meurtri, n’espérant plus qu’une stricte survivance ou même n’espérant plus rien. Ou bien encore nous avons été témoin de semblables expériences de défaite ou de désillusion; nous avons été, peut-être involontairement, mêlé à de telles expériences.

Et voici le fils aîné. Celui pour lequel trop souvent nous n’avons aucune sympathie. Injustement, il faut bien le dire. Nous nous reconnaissons pourtant bien en lui. Ce sentiment d’être toujours pris pour acquis. Il y a notre volonté et nos efforts d’être responsables, de bien mener nos vies, de répondre aux attentes des autres. Et rien. Pas d’attention à notre égard, pas de manifestation de la plus simple reconnaissance. Au contraire, c’est l’autre, le prodigue, qui est reçu avec joie et effusions d’allégresse et de fêtes. Nous nous reconnaissons dans la douloureuse colère du fils aîné.    

Au cœur de l’humain, au cœur de ce que nous connaissons et vivons. Mais voici que la lumière se lève sur cette obscurité des jours, du quotidien. La figure du père qui accueille ses deux fils. Un homme d’une justice et d’une générosité qui nous étonnent et même qui peuvent nous choquer. C’est vraiment un père prodigue, d’une prodigalité que nous jugeons déraisonnable selon nos conceptions habituelles de la justice et de la générosité.         

Regardons-le agir ce père. Il laisse son cadet à sa liberté, lui donne même tout ce qu’il demande. Il laisse aller mais il attend, il espère un retour. C’est de loin qu’il voit revenir ce fils léger, insoucieux, maintenant blessé. Il faisait discrètement le guet, quotidiennement peut-être. Et au retour, ce n’est même pas le pardon pour quelques fautes, pour un excès de frivolité, de demandes injustifiables. C’est l’accueil, et un accueil affectueux qui ne veut pas entendre les explications et remords emmêlés d’auto flagellation et de tentatives manipulatrices du prodigue. Il était perdu, il est retrouvé, il était mort et il revient à la vie.     

Voyons-le encore ce père auprès de son fils aîné. Il entend sa colère, ses ressentiments. Il sort de la maison et vient vers lui. Encore ici pas de reproches, pas d’appels à plus de raison et de modération. L’expression toute simple et directe d’un état de fait. Tu es toujours avec moi, tout ce qui est à moi est à toi! Une manière de dire : Je suis toujours avec toi, attentif à qui tu es, respectant ce que tu es, n’affligeant pas ta dignité par une manifestation d’affection qui te serait gênante et humiliante. Il accepte les cris de la colère et de la douleur sans en nier les justes motifs.   

Nous aimerions être ce père, même dans ses excès de générosité. Nous essayons de nous en faire un modèle. Mais nous savons que nous n’y arriverons jamais vraiment. Parce que nous comprenons que ce qui nous est proposé ici, sous la figure de ce père improbable, c’est une image de Dieu. Une manière de dire que ce Dieu, avant tout, au-delà de tout, il est père, avec des entrailles de père, inquiet pour ses fils, confiant toujours en leur retour, guettant ces retours. Un père ému par ses enfants, qui, quoiqu’ils fassent, quoiqu’ils disent, sont toujours la chair de sa chair.

Un reflet de la miséricorde de Dieu sous la figure du père? Plus encore. L’expression du vrai pardon. Et au-delà du pardon, de la réconciliation qui rend possible la reprise de la vie, mais pas seulement comme elle était avant l’éloignement, la faute, peut-être. Une vie nouvelle avec des possibilités nouvelles. Tout un avenir qui est là, offert, vierge toujours et qui dépend tellement de nous.   

Paul nous dit en quelque sorte la suite du récit, il complète l’image du père et l’image de nous-mêmes engagés dans le réseau du pardon. Laissez-vous réconcilier; dit-il. Accepter, en toute lucidité, devant nos manques et nos fragilités, le besoin de pardon, et la reprise offerte en la réconciliation. Le père attend ses fils, il va au-devant d’eux. Encore faut-il pour boucler la boucle que les fils fassent leur bout de chemin. Un homme avait deux fils. On pourrait mieux dire encore : un homme a toujours deux fils. Ces deux fils que nous sommes tour à tour – fils et filles également et sans distinction – et pour tout dire les enfants que nous sommes de ce Dieu qui a un cœur de père.       

Prolongeons de quelques mots ce récit prenant du fils prodigue et du fils aveuglé par le ressentiment. Le récit surtout d’un père étonnamment et même déraisonnablement prodigue. Nous entendons ce récit dans la perspective de la geste pascale qui vient et est toujours agissante. Mystère avant tout de réconciliation, d’alliance nouvelle, de reprise de vie nouvelle. Que cette grande geste de Pâques ne soit pas que devant nous, mais que nous soyons en elle et en ce mystère. Nous ne sommes pas, et ne serons jamais le Père idéal et parfait; nous ne sommes pas et ne serons jamais le Fils idéal et parfait réconciliateur qu’est le Christ. Mais il nous est demandé et il nous est rendu possible de vivre, à notre mesure, le pardon et toutes les tentatives de réconciliation entre nous. Et très fortement il nous est rendu possible de nous laisser être pardonné et réconcilié avec Dieu, oui, mais aussi d’une manière si nécessaire avec nous-mêmes.  

Communauté chrétienne Saint-Albert-Le-Grand de Montréal