Deuxième Dimanche du Carême (C)
24 février 2013
Le visage des autres
Hubert Doucet
En lisant l’évangile de ce dimanche avec la petite équipe responsable de notre célébration d’aujourd’hui, je me suis posé une question que je voudrais partager avec vous. Je me demande si c’est le visage de Jésus qui a été transfiguré, pour un court moment, devant les trois apôtres ou si le changement ne s’est pas plutôt fait du côté de Pierre, Jacques et Jean qui, vivant avec Jésus, ont perçu son vrai visage, j’oserais dire son visage naturel, sans fard, tel qu’il est en réalité Ce n’est pas Jésus qui est transfiguré, mais eux dont le regard s’est transformé.
Ces trois hommes vivent avec Jésus, le voient agir avec un vrai souci des autres, en particulier de ceux dont le visage est vulnérable, ils l’entendent parler avec une exceptionnelle liberté et le regardent prier avec une extraordinaire profondeur. Ils font une telle expérience de Jésus que sa figure, manifestation centrale de la personne, les a saisis, fascinés et ravis. Le regard qu’ils portent sur lui les a intrigués, au point d’être conduits à la montagne, là où Dieu se manifeste. L’événement de la transfiguration témoignerait de leur découverte et de leur accueil de la personne de Jésus. En effet, dans le visage de Jésus, Pierre, Jacques et Jean ont reconnu l’Autre, « celui que le Père a choisi ». Ce visage est épiphanie.
Dans le visage de Jésus, les trois hommes n’y ont pas vu ses traits particuliers, la forme du nez, la couleur des yeux ou l’allure de la bouche, ils y ont vu de la hauteur, c’est-à-dire l’infini. Et nous, qu’en est-il de notre manière de regarder l’autre et d’en accueillir la vie?
Il me semble que l’expérience des trois apôtres nous invite à regarder les autres de manière plus riche que celle que nous avons souvent tendance à pratiquer. Quand nous regardons quelqu’un, spontanément certains traits de son faciès nous frappent, certaines attitudes nous conduisent à le juger, son statut social est rapidement jaugée. En un rien de temps, nous construisons un personnage que nous enfermons dans notre jugement. C’est la meilleure façon de ne pas le rencontrer et de ne pas voir l’humanité qui l’habite, la hauteur qui est la sienne.
Récemment, j’étais à la station de métro de l’Université et je m’en allais au bout de la rame prendre le dernier wagon. En m’y dirigeant, j’ai remarqué une pauvre femme, habillée en haillons. Elle était assise, un peu courbée et je me suis aperçu qu’elle avait un tout petit enfant dans ses bras. Je suis devenu tout triste pour cet enfant qui m’est apparu sans avenir dans un tel contexte. Et tout à coup, j’ai vu cette toute jeune femme sourire à l’enfant. Et quel sourire! Il y avait de la beauté qui m’a remuée, tant ce regard gracieux témoignait d’une merveilleuse communion avec son enfant. Quel jugement réducteur était le mien qui avait privé cette mère de son humanité!
Cet événement m’a confronté à ma façon de regarder l’autre. J’avais enfermé cette femme dans un personnage pour ne pas avoir à la reconnaître comme une personne avec sa singularité et sa spécificité.
Quel est le lien, me direz-vous, avec l’épisode des apôtres qui ont vu le vrai visage de Jésus? En ce temps de carême, déjà en ce 2e dimanche, l’évangile nous oriente vers la figure glorieuse du ressuscité. Nous sommes ainsi invités à nous demander comment être et agir afin que, dans le visage des autres, nous accueillions la trace de la hauteur que Pierre, Jacques et Jean ont rencontrée dans le visage de Jésus.