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5e Dimanche du Temps Ordinaire (C)

10 février 2013

Avance au large…

Yvon D. Gélinas

Yvon D. Gélinas

Isaïe 6, 1-8

I Cor. 15, 1-11

Luc 5, 1-11

Ils ont travaillé toute la nuit. En vain. Ils ne retiraient que des filets vides. Le jour venu, ils ont amarré au bord du lac. Ils nettoient maintenant leurs filets avant de songer au repos. Du travail, et rien que de l’insuccès. À quoi bon ce travail? À quoi bon? Ils recommenceront malgré tout une autre nuit, et peut-être alors…    

Et voici qu’ils l’aperçoivent qui vient entouré de ces hommes et de ces femmes qui le suivent, avides de l’entendre dire la parole qui ne peut être que de Dieu. Il les enseigne. Il est le maître. Pour mieux enseigner, pour mieux se faire entendre, surtout pour mieux voir, mieux saisir les attentes et les désirs qui s’inscrivent sur les visages de ces hommes et de ces femmes, il monte dans une des barques de ces pêcheurs déçus. Et là il poursuit sa mission, ce que le Père attend de lui, ce pour quoi il l’a appelé, ce que demandent de lui les besoins et les manques de la foule : il enseigne.    

Il n’impose pas la parole. Il ne menace pas. Il ne domine pas. Il dit. Il appelle à ce qu’il y a de plus ardent, de plus profond, de meilleur dans les cœurs et les esprits de ces hommes et de ces femmes qui sont maintenant devant lui, exposés à son regard. De sa bienveillance pour cette foule, de son attention pour elle, de la simplicité de sa parole, émane une autorité qui vient de l’Esprit qui l’habite, qui éclaire ce qu’il dit et fait. De là naît la confiance en lui.   

Voici qu’il se tourne vers les pêcheurs fatigués et déçus. Un commandement? Plutôt une demande, un appel à Simon à qui appartient la barque. Un appel apparemment si déraisonnable : Va vers le large, Simon, et jette encore les filets. Il sait bien Simon que ce sera inutile, qu’il sera impossible de rien prendre. Ils ont essayé en vain toute la nuit. Ce sera d’autant plus inutile que le jour est venu qui éclaire l’insuccès de leurs peines. Mais il y a en lui cette calme autorité qui voit et sait plus loin que la supposée évidente réalité. Il fait naître la confiance même devant le déraisonnable et l’impossible. Pierre, en toute lucidité, cède à l’appel. Et là, au-delà de tout espoir permis, c’est le succès.        

Et c’est toujours ainsi en tous ces récits de vocation et d’appel. Il y a, premier et fondamental, un choix de Dieu qui voit et va au plus profond de l’appelé, au-delà de ce que l’appelé croit savoir de lui-même. Un appel qui semble ignorer la faiblesse, l’apparent impossible de l’appelé. Mais il y a la confiance de celui qui appelle, la confiance qui naît chez l’appelé de la découverte de ce qu’il y a de plus beau et plus vrai en lui. Il y a la réponse qui monte du cœur et fait apparaître le possible. Un possible si grand qu’il devient un puissant impossible, un inespéré possible encore, parce qu’est dépassé ce qui semblait une limite infranchissable.           

C’est ainsi pour Isaïe qui disait n’être qu’un homme aux lèvres impures, incapable d’annoncer un message. C’est ainsi pour tant de prophètes. C’est ainsi pour Paul qui se voyait tant indigne d’être appelé apôtre et qui dit être devenu ce qu’il est par grâce de Dieu. C’est ainsi pour ces pêcheurs qui se voyaient comme condamnés à un travail toujours improbable et qui sont devenus témoins de la parole et de la libération. C’est ainsi pour tant d’hommes et de femmes qui étaient venus vers lui avec pour seule richesse leur faim de vie et de sens, et qui, humblement, sans bien le savoir ont éclairé leur monde. La force de l’appel, la révélation de l’appel.  

Et c’est toujours ainsi pour nous tous, en tous nos récits de vocations qui sont les récits de nos vies. La vocation qu’on a trop souvent réduite à des cas particuliers, un peu hors norme, et qui pourtant, essentiellement, est appel de Dieu, choix de Dieu pour tous en toutes conditions. Des appels de Dieu qui n’ont rien de spectaculaire, qui ne font pas trembler les pivots des portes, qui ne déchirent pas les filets sous la pression d’une pêche inattendue. Mais encore. Bien souvent des appels qui bouleversent les vies, les transforment quand on les perçoit ces appels, qu’on tente d’y répondre.       

Ils nous viennent ces appels des circonstances variées et multiples de nos vies. Ils se glissent dans la routine même dans laquelle, inconsciemment, nos vies se sont inscrites. Des appels venus du monde qui est le nôtre, de ses peines comme de ses bonheurs.  

Des appels qui viennent de ce que nous sommes, avec nos faiblesses, et nos grandeurs souvent ignorées.        

Des appels venus des cris et des silences de ceux et celles qui partagent nos vies.           

Appels multiples et variés, appels à donner, à partager, à saisir les mains tendues, à espérer même aux creux de nos détresses. Les appels de la vie.           

Appels qui demandent que nous soyons vraiment ce que nous sommes, sortant de nos pauvres possibles, de nos immuables impossibles. Appels à essayer encore, à tenter encore, à espérer encore. Parce que de ces appels est montée une confiance qui ne peut pas naître que de nous-mêmes.        

Si souvent nous les ignorons ces appels. Nous sommes distraits. Nous n’écoutons pas. Nous n’osons pas dire et reconnaître que c’est ainsi que Dieu vient à nous, qu’il nous donne d’aller à lui en allant à nous-même et aux autres. Nous négligeons de répondre souvent parce que nous n’osons pas reconnaître la confiance qu’il met en nous ce Dieu qui nous voit et nous connaît.           

Une vocation. Oui, disons-le. Une vocation à être ce que nous sommes, ce que nous pouvons être .Mais n’oublions pas l’appel qui nous accompagne tout au long de nos vies, qui grandit dans le développement de nos vies : l’appel de la Parole évangélique. Un appel au dépassement, dit-on souvent. Bien plutôt un appel à l’achèvement de ce qu’il y de meilleur et de plus fondamental dans la complexité de tout notre être. Cet appel de l’Évangile qui donne confiance et fait dépasser nos peurs, nos possibles et impossibles, parce qu’il nous apprend le rêve que Dieu a déposé pour nous, en nous, sur nous.

Communauté chrétienne Saint-Albert-Le-Grand de Montréal