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Le Saint-Sacrement du corps et du sang de Jésus (B)

10 juin 2012

Nous sommes aussi de cette présence eucharistique

Marc 14, 22-26

Guy Lapointe

Guy Lapointe

Ce sont des paroles immenses, des paroles de chair et de sang : « Prenez, ceci est mon corps… Ceci est mon sang… ». À chaque eucharistie, nous chantons ces paroles avec tellement de conviction. Jésus voulait Guy Lapointedire le sens de sa vie et que ce sens parvienne jusqu’à nous. Il s’est donné corps et âme; il est allé au bout de lui-même. Tel un pain brisé, telle une invitation au partage, il a donné son sang et sa vie. Jésus témoigne de son désir le plus profond. Non, Il ne veut pas qu’on vole sa vie, ni celle des autres; il veut la donner. L’évangéliste Marc a repris ces paroles pour des croyants et des croyantes des premières heures qui probablement éprouvaient, comme c’est aussi parfois notre situation, certaines difficultés dans leur foi, et certainement dans leur manière de croire et de faire mémoire. Car célébrer le Corps et le Sang du Christ, ce n’est pas seulement boire et manger, mais se lever et agir. Une affaire de lumière, la lumière du pain dans la main ouverte.    

Depuis ce temps, on a tenté de toutes sortes de manières de trouver un sens à ces paroles… Un sens pour nous, pour notre vie. Ces paroles font maintenant partie de notre histoire. Nous sommes les héritiers de cette mémoire. Il nous faut vivre notre foi en essayant toujours de saisir à nouveau ce que signifie cette expérience de l’eucharistie. Peut-être que cette fête du Corps du Christ, du Saint-Sacrement, de la Fête-Dieu peut nous amener à nous resituer comme des femmes et des hommes qui vivent de ce pain vivant, qui veulent partager ce pain et cette coupe et que ces gestes aient du sens dans notre vie. Cette fête particulière peut alors nous réveiller, en nous permettant de porter une attention particulière à cette expérience. « Prenez, ceci est mon corps… Ceci est mon sang. » Ce sont des paroles décisives. Ces paroles nous provoquent plutôt à une quête de sens qu’elles cachent et révèlent tout à la fois. Ces paroles disent que sa présence est dans le pain brisé, partagé. Sa volonté est de nous rejoindre dans notre quotidien, dans nos maisons, sur nos tables, sur nos routes, là ou nous vivons notre travail, nos espérances, nos larmes, nos réussites. C’est là aussi que le pain est partagé. C’est là qu’est sa présence. Tel est le sens de la fête, de cette fête. Rendre la vie de Jésus jusqu’à nous, jusqu’à aujourd’hui et demain. C’est ce que nous tentons de faire depuis ses débuts à la communauté chrétienne St-Albert. Ne jamais perdre le sens du geste de briser le pain, de partager la coupe de vivre un geste d’une foi et d’une grande humanité, comme nous le ferons tout à l’heure.            

Célébrer l’eucharistie, communier, c’est aussi un moment d’action de grâce à la vie, à la vie du Christ et à la nôtre qui communie à la sienne. Célébrer l’eucharistie, c’est un moment de pauvreté, de dépouillement de nos sécurités, de nos égoïsmes. Elle transforme notre vie, pourvu que le geste de prendre le pain et le vin, d’en garder un petit morceau pour soi, de penser à l’autre qui est à côté et qui désire aussi vivre. Cela signifie quelque chose de sa vie, de son désir de partager et de continuer la mémoire de Jésus… Il faut que le geste ait du sens; il faut que celui qui présente le pain et celui qui le prend puisse se reconnaître, se regarder. Accueillir Jésus présent dans le geste de donner et de recevoir… Et se retrouver étonnés de ce partage si simple et si riche de promesses.    

Comment se fait-il que, pour tant de croyantes et de croyants, ce geste ne parle plus et est même devenu insignifiant? En bonne partie parce qu’on a rendu cette présence insignifiante, parce qu’on l’a enfermée dans une vision arrêtée à travers ce geste de la communion qui ne ressemble plus tellement à un partage de pain et de vin.       

Oui, nous sommes responsables aujourd’hui de ce que l’eucharistie soit signifiante, mais je crois qu’il y a reconnaissance de la grandeur de ce don lorsqu’on accepte, avec toutes nos limites, de se construire à même ces petits gestes de partage qui nous renvoient à la vie. La présence du Christ est dans la vie, à nous de l’accueillir. La Fête-Dieu, c’est la fête du pain multiplié, qui reste vivant. À nous d’être la mémoire vive, cette mémoire vive pour l’humanité.      

Même si je n’aime pas beaucoup raconter des histoires dans les homélies, cela me paraît parfois trop facile, je termine par une brève anecdote, à la fois belle et « troublante », que je vous ai peut-être déjà racontée. Je vieillis… Dans une entrevue radiophonique, j’ai entendu un jeune homme qui avait été étudiant en théologie. Il avait quitté la théologie pour ouvrir une boulangerie artisanale. Il fabrique effectivement toutes sortes de pains, de bons pains. Comme il avait été étudiant en théologie, l’animatrice lui a demandé s’il avait songé à devenir prêtre. Il a répondu : oui. Et il continue : justement, disait-il, j’en parlais avec ma mère récemment. Et je lui disais ceci : je fais du bon pain, je suis heureux de voir les personnes qui viennent et repartent avec des pains de toutes sortes pour le partager le samedi ou le dimanche avec la famille, avec des amis. Et le soir s’il me reste du pain invendu, je le donne à un organisme qui aide les plus pauvres. Tu vois, si j’avais été prêtre, quelle sorte de pain j’aurais distribué toute ma vie… Troublante, cette histoire, mais hélas trop souvent vraie. Peut-être aurait-il pu, ce jeune, s’il avait continué sa réflexion, faire en sorte que le pain dont il parlait, puise lever encore plus dans l’eucharistie. Après tous les efforts faits par le Concile Vatican II pour redonner au geste de communion toute sa signification, précisément de communion, où en sommes-nous? Il y a tant de croyants et de croyantes qui ont quitté cette pratique parce qu’ils n’y voyaient plus de significations. C’est la situation de bon nombre de catholiques sociologiques dans notre société. Alors prenons des risques pour que ce geste retrouve sa force.   

À nous d’être vigilants et de nous rappeler en paroles et en gestes que la présence du Christ dans l’eucharistie n’a de sens pour nous que si nous y sommes nous-mêmes vraiment présents, autant dans les paroles, les silences que les gestes. « Vous êtes le corps du Christ, recevez ce que vous êtes » rappelait s. Augustin. Chaque fois que nous faisons l’eucharistie, nous pouvons nous rappeler ces paroles de Jésus : « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement ». C’est de nous dont il parle, le croyons-nous vraiment?

Communauté chrétienne Saint-Albert-Le-Grand de Montréal