Pardonner pour restaurer les relations humaines
Germain Derome
Les textes d’aujourd’hui, et en particulier l’évangile que nous venons de lire, nous invitent à méditer sur le pardon et sur la place centrale que ce dernier doit jouer dans notre vie de chrétiens, dans nos relations personnelles, fraternelles, à l’intérieur comme à l’extérieur de notre communauté. Le pardon, qui nous paraît souvent si difficile à donner, est ce qui nous invite à prendre un nouveau départ dans notre vie et à refaire nos relations humaines dans un esprit de réconciliation, et comme nous sommes ici pour souligner le nouveau départ que nous souhaitons donner à notre communauté, il me semble important de bien marquer comment nous devons comprendre le sens de ces textes et les rendre vivants pour nous, ici et maintenant.
S’il y a une chose à quoi nous croyons, comme chrétiens, c’est que la vie de Dieu est tissée à travers nos vies humaines. Mais ces vies humaines sont diverses, multiples, irréductibles les unes aux autres. L’Incarnation de Dieu, le fait que Dieu a partagé notre condition humaine en Jésus et qu’il a racheté cette condition humaine en ressuscitant Jésus, tout ce parcours de Dieu dans nos vies nous a apporté réconciliation et unité. Mais c’est là l’unité entre des personnes humaines qui sont différentes les unes des autres et qui prennent conscience qu’elles ne peuvent atteindre une sorte de plénitude par elles-mêmes, en restant seules, qu’elles ne peuvent s’approcher de cette plénitude qu’en s’entraidant les unes les autres, en acceptant leur complémentarité comme quelque chose d’essentiel.
Cela exclut le désir d’arriver à l’unité dans la conformité à un modèle unique. Nous avons eu peut-être trop tendance à vouloir nous couler dans ce moule imposé par une certaine doctrine du « bon chrétien », et nous avons oublié la nécessaire différence et complémentarité de nos orientations et de nos talents. Cette diversité, nous pouvons croire que c’est Dieu lui-même qui l’a voulue pour notre condition humaine, « le Dieu qui appelle chacun par son nom », lui qui nous invite à créer et à multiplier les voies et les réalisations de notre humanité.
Si nous voulons faire communauté, ici à Saint-Albert, mais aussi en rayonnant en dehors de nos murs, entre les dimanches, il faut certainement tabler sur cette diversité déjà présente parmi nous, ne pas l’ignorer ou la minimiser, mais en faire une richesse, une ressource de notre vie communautaire, ici et à l’extérieur.
Cela demande une reconnaissance par chacun et chacune de la différence de l’autre, ce qui n’est pas toujours facile. Les conflits naissent souvent du refus de cette diffférence, de cette altérité, même entre frères, comme le souligne la question de Pierre à Jésus : « Quand mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner? ». À quelles fautes pense Pierre? Ce n’est pas dit, mais on peut penser à ces conflits classiques entre frères, querelles d’héritages ou choses semblables, questions de dettes, comme Jésus en donne des exemples dans sa réponse sous forme de parabole. Alors surgit la question du pardon. Pierre demande : quelle doit être la mesure du pardon? Sept fois? La réponse de Jésus me paraît simple, derrière l’image des chiffres multipliés : il ne doit y avoir aucune mesure, le pardon doit être pratiquement infini, comme seul le Père sans doute peut pardonner, mais nous devons suivre son exemple là-dessus, comme nous en faisons la prière dans le Notre Père. Car si on commence à mesurer son pardon, on marchande, et alors ce n’est plus du pardon, c’est du marchandage. La seule façon de se réconcilier entre frères et sœurs, entre personnes humaines qui se reconnaissent comme différentes et complémentaires, c’est d’accorder son vrai pardon, de remettre à l’autre sa dette sans calcul. Cela signifie d’abord reconnaître et accepter la différence et l’altérité de ce frère, de cette sœur.
J’aimerais croire, sans prétendre régler de façon simpliste les problèmes mondiaux, que là aussi, dans le pardon, se trouve la seule voie possible de la réconciliation entre les peuples. Nous avons assisté à tant de violence, à commencer par cet événement tragique dont nous marquons aujourd’hui même le triste anniversaire, mais sans oublier tout ce qui a suivi et qui a été souvent déclenché par la rancune et le ressentiment, tant de violence que nous ne voyons plus comment mettre fin à ce cycle interminable de la violence. Il me semble que ce que nous dit Jésus aujourd’hui dans ce passage de la Bonne Nouvelle, c’est qu’il y a une issue à ce cercle infernal, et c’est de commencer chez soi, avec son frère, sa sœur, de pardonner, pour prendre un nouveau départ vers une vie réconciliée, dans des relations humaines restaurées.