8e Dimanche du temps ordinaire (A)
27 février 2011
Le choix d'une vie
Guy Lapointe
Ce passage d’Évangile est beau à entendre. Mais vous avouerez avec moi qu’il n’est pas des plus faciles à interpréter. « À certains jours, on aimerait bien être comme « les oiseaux du ciel qui ne font ni semailles, ni moisson… et que le Père céleste nourrit… » Mais par-delà la boutade, il me semble que dans ce passage, Jésus, de diverses manières, dit à ses disciples, à nous aussi : ne vous occupez pas seulement de vous-même, occupez-vous des autres; créez des liens et des solidarités. Les lendemains sont à ce prix. Créer des liens, c’est donner, disait récemment le cinéaste Bernard Émond. Alors qu’au quotidien de nos vies, on entend surtout ce refrain parfois subtil : faites de l’argent et devenez plus riche. Pour plusieurs, c’est une préoccupation de tous les jours, majeure parfois. Mais il ne faut pas se laisser posséder par l’argent. Quand on songe à tous les excès de la consommation, il est important de prendre nos distances. Il est urgent d’apprendre que l’argent est là pour échanger les biens, pour faire vivre tout le monde et non pour capitaliser de façon abusive. Comment mieux répartir les richesses dans le monde? Il semble que ce soit une question difficile à porter. C’était déjà le cas au temps de Jésus.
Mais au-delà de cette question qui devrait nous préoccuper, le passage d’évangile selon Matthieu en ouvre une autre, fondamentale pour tous les humains et pour les croyants que nous sommes : comment et jusqu’où ne faut-il pas d’abord se soucier des autres? Jésus nous dit : « Ne vous souciez pas de demain : à chaque jour suffit sa peine ». Devant l’avenir, comment réagissons-nous, comme individu et comme communauté? N’est-il pas vrai que, dans notre quotidien, nous cherchons des assurances de toutes sortes. Tout cela n’est pas mauvais en soi, il faut être réaliste. Mais il arrive que la préoccupation d’assurer son avenir accapare le présent à un point tel qu’on n’a plus d’énergie pour vivre le présent et pour se soucier des vrais besoins des personnes et des collectivités. Le présent bien vécu est garant d’un avenir significatif. Faire confiance au présent. Nous rappeler que, si on croit en l’Incarnation, les mains de Dieu passent par nos mains, comme le disait le poème lu en début de célébration. Rapellons-nous aussi le passage de la multiplication des pains, lorsque Jésus dit à ses disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger… » (Luc, 9, 13). Dieu ne peut pas vivre sans nous. La gérance des biens de ce monde nous est confiée : qu’en faisons-nous?
À cet égard, l’argent, pour y revenir, ne doit pas être érigé en système pour permettre à certains de s’enrichir allègrement et, par le fait même, à d’autres de s’appauvrir. Telle est la mise en garde — et plus qu’une mise en garde — de l’usage malsain que l’on peut en faire. Cette préoccupation peut facilement prendre toute la place. Et il ne reste alors plus d’espace pour que l’autre soit respecté et que Dieu soit respecté. Oui, à bien y penser : « Ne sommes-nous pas les mains de Dieu? »
Ce que Jésus nous propose, c’est nettement un choix de vie. Le choix de toute une vie… Et ce choix de vie est fondamental. Il est dans la confiance au présent de notre vie et, par le fait même, en son avenir. Ce rappel de Jésus, nous invite à une vigilance constante. Quels sont nos choix de vie? Et dans nos choix de vie, la vigilance envers l’autre et la confiance resteront-elles toujours au premier plan de nos préoccupations? Comment s’occuper de l’autre? L’abandon total à Dieu et à sa prévoyance, la confiance sont rappelés dans ce passage de Matthieu lorsque Jésus dit à ses disciples : « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles, ni moisson, ils ne font pas de réserves dans les greniers… votre Père les nourrit… »
Jésus parle également de deux biens essentiels à la vie : le vêtement et la nourriture. Si Dieu est plein de sollicitude pour les oiseaux et pour les lys des champs, combien plus le sera-t-il pour nous, si nous cherchons à être plein d’attention pour les autres. Alors redire ensemble à chaque eucharistie : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » n’est-ce pas redire : Donnes à tous, par nos mains, le pain quotidien? Cette demande ouvre un sens profond dans nos vies et dans celles des autres, des plus démunis tout spécialement. Ce besoin permet la croissance et nous donne la liberté de nous référer à Dieu et à cet homme Jésus qui nous a tracé un chemin marquant sur la façon de vivre dans une confiance en la vie et en Dieu. Cette confiance se vit toujours dans la manière de porter attention aux besoins des autres, de vivre notre foi en Dieu, Père, et en Jésus. Au fond, vivre au jour le jour de l’esprit du Père et du Fils.
Le souci du lendemain, la misère et la faim soulèvent, chez plusieurs, et avec raison, beaucoup d’inquiétude. Comme ce fut le cas pour Jésus. Mais la parole de Jésus et la lumière vive qu’il jette sur ce choix profond, ne nous permettent-ils pas de trouver l’équilibre le plus léger et le plus vigoureux? Qui que nous soyons, riche ou pauvre, la meilleure façon d’assurer notre avenir est dans la qualité de notre être dans le présent. Jésus en était conscient. Son désir le plus profond est de nous garder libre, pour que le lendemain ne devienne pas un souci envahissant, surtout à cause d’une mauvaise gestion : « Ne vous faites pas tant de soucis pour demain… à chaque jour suffit sa peine… » Ne l’oublions jamais, c’est au présent que se construit le Royaume; c’est au présent que la vie se joue et que l’avenir se façonne.