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Quinzième dimanche DTO (C)

Aime ton prochain…

11 juillet 2010

Luc Chartrand

L’Évangile d’aujourd’hui, nous fait faire tout un parcours. D’une question au sujet de ce qu’il faut faire pour avoir la vie éternelle, nous aboutissons à celle qui demande qui a été le prochain de l’homme tombé entre les mains des bandits?

Le récit décrit l’homme qui questionne comme étant d’abord celui qui veut mettre Jésus à l’épreuve, puis celui qui veut « devenir juste », en s’ajustant sur le principe qu’il vient lui-même d’énoncer… et ce faisant de parvenir à « se justifier ». Pour embarrasser Jésus, la question concerne la vie éternelle, que dois-je faire pour avoir part à la vie éternelle? Pour ce qui a trait à se justifier, la question est tout simple. Et qui donc est mon prochain? Il nous reste, vous conviendrez avec moi, un vrai défi. Comment concilier, vouloir mettre à l’épreuve son interlocuteur et demeurer un homme juste. Mais, ce n’est pas là notre propos d’aujourd’hui. Une perspective plus fondamentale est en jeu, la vie éternelle présente des affinités avec l’existence du prochain.

Aux deux questions de ce docteur de la Loi, Jésus répond par deux autres questions. La première est toute simple. Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit? La réponse fait référence à deux préceptes précis, tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et ton prochain comme toi-même. Cette association entre amour de Dieu et du prochain constitue quelque chose de neuf. Notre docteur de la Loi se fait révolutionnaire en soumettant cette réponse à Jésus. Sa deuxième question n’est pas étrangère à l’originalité de sa première réponse. D’ailleurs, avant de poser sa deuxième question au légiste, Jésus raconte une parabole, une histoire qui rapporte un événement de la vie.

Cette parabole, nous la connaissons bien. Elle met en scène quatre personnes. Un voyageur qui est victime de bandits. Un prêtre et un lévite qui, bien qu’ayant vu le blessé, passe de l’autre côté. Enfin un quatrième personnage se rapproche de celui qui est mal en point. Non seulement il s’approche de lui, mais il le voit d’un regard qui l’émeut jusque dans ses entrailles. Il est saisi de pitié, s’approche de lui, panse ses plaies, le charge sur sa monture, le conduit dans une auberge, prend soin de lui, paie pour lui et promet de repasser pour payer ce qu’il en coûtera de plus. Cette longue série d’actions qui s’enchaînent les unes après les autres incarne ici ce que signifie aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit, et ton prochain comme toi-même. Le mot, « tout », prend ici la forme de nombreuses actions. Il s’agit de faire corps avec l’événement. Des quatre personnes impliquées dans cette parabole, deux sont rassemblées par un événement. Une première à titre de victime; une deuxième par son choix de se laisser émouvoir par cette victime. Les deux autres personnes sont passées à côté, certainement pour de bonnes raisons. Toutefois, elles n’ont pas saisi l’opportunité de devenir le prochain de celui que sa situation précaire situait comme leur prochain…

À l’évidence habituelle du prochain, en la personne du blessé, la question de Jésus, au terme de la parabole, vient changer la perspective. Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme qui était tombé aux mains des bandits? Le docteur de la Loi est à son tour mis à l’épreuve en quelque sorte. En effet, Jésus vient renverser la perspective. Le docteur de la Loi se trouve ainsi à épouser la position de l’homme blessé. Il est invité à voir « qui est le prochain de l’homme tombé en plein sur les brigands ». Le Docteur de la Loi se trouve alors à regarder les choses du point de vue de celui qui se trouve en mauvaise position. Ce détour par le point de vue de l’autre est ce qui lui permet, dès lors, de savoir ce qu’est un prochain. Pour être capable d’être le prochain d’autrui, il faut d’abord s’être trouvé placé en position d’attente d’un prochain. L’expérience de la détresse change notre pitié en quelque chose qui nous « prend aux entrailles ». Il s’agit d’une pitié directement réordonnée à Dieu : la pitié humaine devient la figure de la présence d’un Autre parce que, justement, elle n’est jamais à la hauteur. Dans la parabole, le samaritain lui-même « partage » la tâche, pour des raisons d’espace et de temps. La compassion et les bonnes actions envers les autres n’ont ainsi plus rien à voir avec un surmoi valorisant. Ici, l’expérience de la détresse rend la présence de l’autre vitale. Dieu que l’on ne voit pas dans cette parabole est ici bien présent par cet « amour » du prochain.


Par sa réponse éloquente, Celui qui a fait preuve de bonté envers lui, le Docteur de la Loi montre qu’il a bien saisi l’enjeu. Le prochain est celui qui accepte de prendre sur lui l’indigence dont l’autre est victime; ici, qui se laisse émouvoir jusqu’au profond de son cœur. La figure de la bonté témoigne que son expérience de vie lui a permis d’entrer en contact avec le lieu du prochain.

Se faire proche, au point de passer à l’action auprès de tous les blessés de la vie, est une exigence démesurée. D’ailleurs, elle risque de nous faire passer à côté de bien des événements. À quoi bon, notre action changera si peu de chose! D’ores et déjà, nous savons que nous n’y arriverons pas. Le témoignage de nombreuses personnes qui s’y sont aventurées avant nous laisse voir l’échec de leur projet, puisque les blessés de la vie existent toujours. Toutefois, plusieurs de ces témoins nous parlent de leur amour de Dieu qui passe par leur présence auprès de personnes en difficulté. Ce commandement de l’amour de Dieu et du prochain n’est pas au-delà de nos forces, comme nous le rappelait le livre du Deutéronome. Il demande seulement que nous replacions nos désirs dans une perspective humaine. Dans ce contexte, l’enjeu de « faire la charité » au nom de la pitié n’est pas de « sauver » quiconque en face de nous, mais simplement de nous rendre juste nous-mêmes. Nous devenons juste en nous ajustant sur la profonde dépendance qui nous lie les uns aux autres dans et pour l’existence. C’est tout le contraire de la toute-puissance.

À la suite de ces deux bonnes réponses, le Docteur de la Loi se voit invité à poursuivre son chemin. Après avoir cité judicieusement l’Écriture, en relation avec ce qu’il faut faire pour avoir la vie éternelle, Jésus lui dit, Fais ainsi et tu auras la vie. À la suite de sa réponse à savoir qui était le prochain, Jésus lui adresse cette invitation, Va, et toi aussi, fais de même.

C’est probablement ce qu’a découvert la petite fille sur le bord de la mer qui remettait des petits poissons rapportés par les vagues sur le rivage à l’eau. Un homme qui se promenait l’interpella en lui affirmant que son action était bien inutile devant tous les poissons morts qu’elle n’arrivait pas à remettre à l’eau assez rapidement. Et la petite fille répondit tout naïvement. C’est vrai! Mais, tu oublies tous ceux que j’ai déjà remis à la mer et que tu ne vois plus. Devant la précarité de la vie, elle renonçait à la toute-puissance en adoptant la « toute-petitesse »!


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