Comme nous disons d’un gros nuage qui s’avance dans le
ciel, le temps où Jésus va être enlevé de
ce monde s’approche, dans l’évangile que nous venons
d’entendre. Le temps s’y divise entre un avant et un après.
D’ores et déjà le temps de la présence semble
tirer à sa fin, puisque Jésus sera enlevé de ce
monde. Il y a un temps où Jésus fait corps avec le monde
et un autre où il est retranché de cet espace. C’est
dans ce contexte d’une annonce de son enlèvement que Jésus
prend avec courage la route vers Jérusalem.
L’envoi de messagers pour préparer sa venue conduit les
Samaritains à prendre position face à Jésus. Il
y a un refus de le recevoir en raison de sa destination, vers
Jérusalem.
Devant l’objection des Samaritains, les disciples sont prêts à déclencher
un cataclysme pour les détruire. Jésus s’oppose à une
telle méthode. La perspective d’être retranché du
monde ne modifie pas son comportement habituel. La route qui le conduit à Jérusalem
avec ses disciples est une voie qui ne fait pas appel à la violence.
Le courage prend ici le visage d’une rencontre qui accueille
jusqu’à l’incompréhension et le désaveu,
annonciateurs du temps qui approchait où Jésus allait être
enlevé.
Les trois petits dialogues qui suivent cette mise en contexte sont
liés aux perspectives déjà évoquées.
Un premier dialogue s’enracine dans la bonne volonté d’un
inconnu : Je te suivrai partout où tu iras. La déclaration
de Jésus en réponse à cette belle initiative peut
apparaître déconcertante. Contrairement aux animaux qui
ont un espace pour habiter, le Fils de l’homme n’a pas
d’endroit où reposer la tête. Aucune sécurité en échange
d’un désir loyal de suivre Jésus. Dans le domaine
de la foi, aucune manifestation d’un espace tangible en échange
d’une mise à disposition.
La proposition suivante apparaît à l’initiative
de Jésus, Suis-moi. La réponse laisse entendre la peine
devant la mort d’un être proche, son père. Le devoir
filial devrait l’emporter pour un bref moment. Il est tout au
plus question de s’acquitter d’une obligation. Ici, les
temps approchent à une telle vitesse, que l’annonce du
Royaume l’emporte sur toutes les exigences cultuelles. L’invitation
concerne l’annonce du règne de Dieu. Elle se situe de
plain-pied du côté de la vie, au point de ne pouvoir côtoyer
ce qui appartient au monde de la mort.
Arrive enfin, un dernier volontaire. Sans être interpellé personnellement
par Jésus, il répond à une invitation qu’il
perçoit comme s’adressant à lui. Il accepte volontiers
de suivre Jésus, après avoir… Il y a un mais dans
sa réponse. Il s’agit de faire ses adieux à ses
proches. L’urgence de la situation, la perspective où Jésus
est enlevé de ce monde, comporte une exigence. Le règne
de Dieu est incompatible avec celui qui regarde en arrière.
Nous ne connaissons pas la réponse finale des trois interlocuteurs
de Jésus. Nous sommes tout au plus au fait des exigences imposées
par le fait que le temps approchait où Jésus allait être
enlevé de ce monde et où il prit la route vers Jérusalem.
Ces exigences peuvent nous gêner, ou nous culpabiliser, si nous
oublions l’attitude de Jésus envers les Samaritains. Alors
que les disciples auraient voulu exercer un pouvoir contraignant pour être
accueilli, il s’y oppose. L’urgence de la situation conduit
Jésus à refuser même de prendre du temps pour répondre
au désir des disciples de sévir. Le récit mentionne
simplement que Jésus interpella vivement Jacques et Jean. Par
conséquent, les répercussions sur les exigences pour être
disciples sont radicales. Il y un abandon de la sécurité qui
se manifeste dans la primauté accordée à la mission
et dans le regard qui se tourne uniquement vers l’avenir. Il
s’agit d’emprunter une voie sans autre balise que celle
de l’urgence d’un Royaume qui vient.
À l’Heureuse annonce qui nous est faite dimanche après
dimanche, nous apportons une réponse dans la foi. En ce domaine,
la certitude n’existe pas. Elle n’a pas non plus un lieu
de sécurité où rassurer nos angoisses. Nos réponses
demeurent en prise avec les exigences bien concrètes de nos
vies et de notre passé. Il ne saurait être question de
nous défiler devant nos obligations. Au contraire, l’Évangile
nous invite à prendre courageusement nos routes personnelles
vers Jérusalem. Nous ne marcherons pas seuls, car nous rejoignons
nos frères et nos sœurs qui poursuivent également
le même pèlerinage, sans oublier tous ceux et celles qui
vivent qui nous ont précédé sur cette terre. C’est
au cœur de nos doutes, de nos hésitations devant une parole à dire,
des gestes à poser, que nous plongeons dans l’expérience
de foi. Si le temps approchait où Jésus allait être
enlevé de ce monde, aujourd’hui le temps où le
Seigneur reviendra dans la gloire s’approche pour nous.