Les deux proclamations de la Parole que nous venons d’entendre
nous introduisent dans deux contextes liturgiques bien différents.
L’Apocalypse nous transporte, par la vision de Jean, sur la
scène divine où une foule acquiert un statut unique,
indiqué par le port d’un vêtement blanc et par des
palmes à la main. Cette foule rassemble des personnes de nations,
races, peuples et langues divers, mais devant le Trône et devant
l’Agneau, ils sont « un ». D’après
l’Ancien, cette unité est due à ceci : venus
de la grande épreuve, les membres de cette foule immense ont
accepté de purifier leurs vêtements dans le sang de l’Agneau.
En conséquence, ils n’auront plus faim, ils n’auront
plus soif, la brûlure du soleil ne les accablera plus, puisque
l’Agneau sera leur pasteur pour les conduire vers les eaux de
la source de vie et que Dieu essuiera toute larme de leurs yeux.
La situation présente de cette foule est liée au moment
du passé où chacun de ses membres a lavé ses vêtements
et les a purifiés dans le sang de l’Agneau. Ce moment
du passé leur a ouvert un futur, un nouvel horizon où l’Agneau
sera leur pasteur pour les conduire vers les eaux de la source de vie. Curieusement,
même pour l’Apocalypse, l’avenir n’est pas
entièrement dévoilé. Il s’agit ici d’être
conduit vers et non d’un terme qui serait atteint.
La liturgie, bien terrestre, à laquelle fait référence
l’Évangile semble toute différente. Elle met en
scène les déplacements de Jésus au Temple à l’occasion
de la fête de la Dédicace. Les Juifs font cercle autour
de Jésus pour le questionner. Ils veulent savoir s’il
est le Messie. La réponse est audacieuse. Jésus reprend à son
compte une image qui leur est bien connue, celle du berger « mes
brebis écoutent ma voix et je les connais, et elles viennent à ma
suite ». Pour le peuple élu, le Pasteur était
le Roi, celui qui, au nom de Dieu, prenait soin de son troupeau. Rappelons-nous
l’histoire de David : de berger, il est devenu roi.
L’image du mouton est aujourd’hui pour nous rébarbative.
Elle l’est d’autant plus qu’elle évoque une
dimension passive. Il serait étonnant, qu’un Dieu qui
nous a créés à son image, nous ait voulus réduits à répondre
au son de la voix. Les propos de Jésus ne sont pas un appel à la
servilité, mais s’adressent à l’intelligence
et la liberté humaines. Il s’agit ici d’écouter
cette voix, de se laisser connaître et de se mettre en marche :
trois attitudes impossibles à des moutons. Par cette écoute,
nous nous exposons : notre liberté y est interpellée
et engagée. Notre écoute est unique, tout comme la réponse
qui est la nôtre. C’est pourquoi il ne saurait être
question d’une réponse unique. Il y aura autant d’écoutes
que de personnes qui acceptent de se mettre à la suite du Christ
berger. À une voix unique correspond une multitude d’« écoutants » de
Dieu. Ces réponses prennent le visage de nos opinions, de nos
options théologiques. Il y a même une place pour les positions
qui s’inscrivent dans les marges, car la contestation et la revendication
font également partie de l’engagement du croyant. D’ailleurs
ne sont-elles pas le gage du souffle prophétique à l’intérieur
de l’Église?
Et puis, le berger n’agit pas de sa seule initiative mais s’inscrit
entre Dieu et l’homme. Il y a dans le texte un mouvement de Dieu
vers l’homme : c’est le don fait au Fils. Dans ce
mouvement, le Verbe fait chair, le Fils est un intermédiaire :
il réalise les œuvres au nom du Père, et c’est
cela qui témoigne de ce qu’il est. En acceptant de suivre
le Fils, nous accueillons ce don, qui est pour nous promesse de vie.
En effet, ces œuvres nous donnent accès au Père.
Nous sommes donc invités à revêtir librement aujourd’hui
l’identité du croyant, en devenant disciples de celui
qui est mort pour nous sauver et que Dieu le Père a ressuscité,
Jésus Christ berger. Nos existences sont transformées
par cette recherche, à la lumière de l’Évangile,
de ce que Dieu veut pour nous, pour notre société, pour
l’humanité. C’est ainsi que prendra forme un monde
meilleur où personne n’aura plus faim, où personne
n’aura plus soif, où la brûlure du soleil ne pèsera
plus sur les épaules de personnes. Cette transformation à laquelle
nos cœurs aspirent tant, elle se réalise à certains
jours. Ce sont ces pousses toutes délicates, toutes frêles,
qui sont l’expression de la voix de Dieu pour aujourd’hui.
La
réponse de Jésus au Temple est une de ces pousses, toutes
en nuances. C’est à travers nos univers personnels, nos
itinéraires de vie bien particuliers, que le témoignage
du Fils de l’homme nous parvient. Il en va maintenant de cette
confrontation entre un unique commandement d’amour et notre quotidien
pour nous acheminer vers les eaux de la source de vie. Notre avenir n’est
donc pas tout tracé d’avance, mais se joue au présent.
Nous sommes invités à nous laisser guider par le Ressuscité vers
les eaux de la source de vie.