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Troisième dimanche de Pâques (C)

La rencontre au bord du lac

 

18 avril 2010

Yvon D. Gélinas

Yvon D. Gélinas



Dans la nuit, au bord de ce lac autour duquel il a tant fait d’aller et retour, les disciples se retrouvent désabusés, fatigués. Ils ont connu tant d’événements en quelques jours : sa passion, sa mort, les rumeurs de sa résurrection, les expériences fugaces de sa présence. Ils ne savent plus. Ils hésitent entre un espoir confus, ambigu, et la désillusion. Ils sont de retour là où tout a commencé pour plusieurs d’entre eux. Mais comme l’ardeur et l’enthousiasme du début sont retombés!

Et voilà Pierre. Comme toujours le chef de la petite bande, Pierre l’impulsif, l’actif, qui veut secouer cette torpeur : Je vais à la pêche. Et les autres le suivent, reprennent le travail. Un travail qui sera stérile, mais aura au moins le mérite de fatiguer le corps et d’empêcher ainsi l’esprit de tourner en rond.

Le jour se lève peu à peu sur les résultats négatifs de leurs efforts. Mais bientôt tout va changer, reprendre vie. À cause d’une présence confusément perçue sur le rivage, à travers les brumes du petit jour… Quelqu’un qui interpelle, et, sans trop savoir pourquoi, on répond à cet appel. Une présence, quelqu’un qu’on n’ose pas encore reconnaître, auquel on hésite à donner un nom. Mais quand même, on sent bien que la vie s’éveille.

Et les choses se précipitent, mais lentement oserait-on dire. Lentement, avec la lourdeur d’un corps fatigué au petit matin, la lourdeur d’un esprit qui hésite à affirmer ce que le cœur, lui, a pressenti. Le feu de braise, le pain, le poisson, comme d’habitude au retour de la pêche. Un petit déjeuner. Mieux que cela : un repas, le signe du repas. Le pain rompu et partagé, comme au dernier soir avant la mort, comme à Emmaüs. Le pain encore rompu et partagé au-delà des souffrances et de la mort. Alors leurs yeux, vraiment, le reconnaissent. Le cœur s’ouvre à l’amour. Le jour est levé, les filets de brume se sont dispersés. C’est le Seigneur!

Comme à son habitude, il est venu, simplement, au cœur du quotidien, au cœur des travaux habituels. Il a préparé le repas, repas du pain et de la parole. Il a fait le signe qui colle à la vie de chaque instant, au plus habituel de l’instant. Et tout prend couleur, la lumière chasse les ombres ou plutôt, redonne le courage de vivre et d’avancer avec les ombres qui maintenant prennent sens. Il est présent comme il le sera à jamais dans le signe du pain rompu, du repas partagé, dans les partages des instants de la vie.

Le repas de ce matin-là est terminé. Alors il s’éloigne avec Pierre. La marche encore — toujours avancer — au bord du lac. Comme au début. Et le dialogue qui ramène aussi au début, à la première rencontre, à la première amitié. Le dialogue va effacer l’erreur de Pierre. Le dialogue qui relancera dans la mission.

Par trois fois la question : Pierre, m’aimes-tu? Par trois fois, ce qui est dur pour Pierre parce que c’est le rappel du reniement par trois fois. Mais la marche va vers l’avant, n’évoque le passé que pour l’effacer, le rendre léger, en faire comme un tremplin pour plonger dans l’avenir. Par trois fois : Tu sais bien que je t’aime. Il y a eu Pierre qui vaguement a reconnu le Seigneur dans ce quelqu’un au bord du lac; puis Pierre qui a reconnu Jésus dans le pain rompu; maintenant Pierre qui croit, qui est capable d’aller jusqu’à affirmer l’amour, qui est prêt -par amour- à continuer l’aventure, la mission.

Et ces paroles de Jésus, à la fois sévères et porteuses de vie. Quand tu étais jeune, tu faisais à ta tête, mais viendront ces jours où un autre devra te guider quand le grand âge ne te permettra même plus de nouer toi-même ta ceinture. Paroles sévères, mais en même temps douces, affermissant l’amour, ouvrant toute espérance, parce qu’elles ne sont dites ces paroles que dans la présence reconnue, dans l’assurance de la présence qui vient soulager, nourrir, redire que toujours il y aura cette présence.

Un récit si beau, si fort puisqu’il est si près des instants de la vie, des besoins de la vie. Un récit de mémoire, et un récit d’aujourd’hui pour nous. Dans nos nuits, sous le poids des souvenirs et des erreurs, dans l’ambiguïté de nos avenirs, nous nous croyons tellement seuls, sans soutien. Il y a si fortement la tentation de nous abandonner à nos désillusions. Pourtant le jour qui se lève est encore possible. Parce qu’il est là au rivage de nos vies. Là, qui attend, qui interpelle, qui s’occupe du réconfort et de l’assurance des lendemains. Nous étions seuls parce que notre capacité à le reconnaître nous faisait défaut. Le reconnaître en des instants fugaces, en des événements, en des visages autour de nous. Le reconnaître en nous, en des courages que nous avons oubliés. Le reconnaître dans le bonheur et la joie du repas partagé.

Sans cesse, il nous faut le reconnaître jusqu’à nous attacher à sa personne, à sa parole, le laisser s’introduire dans nos vies. Le reconnaître jusqu’à l’amour qui fait pleine clarté sur nos jours et nos travaux. Le reconnaître jusqu’à en devenir les témoins

 


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