Quand Denis Tesson et Guy m’ont proposé de préparer
l’homélie d’aujourd’hui, j’ai tout de
suite accepté sans trop réaliser dans quelle aventure j’allais
me lancer. Je ne me voyais pas prononcerun sermon, comme on disait jadis.
Ce qui me rassure, c’est de sentir que les personnes présentes
dans cette église voient dans celui qui prononce l’homélie
un frère qui marche avec elles, un frère qui voudrait être également
un témoin de la bonne nouvelle.
Mais c’est surtout le texte de l’évangile d’aujourd’hui
qui m’a fortement encouragé à aller de l’avant
« Jésus marchait en avant de ses disciples pour
monter à Jérusalem… »
Ce qui d’emblée me frappe, c’est cette idée
de marche car à St-Albert, depuis des semaines, nous nous trouvons
dans une ambiance de cheminement individuel et communautaire.
Pour moi, Jésus a été et est encore un pèlerin,
comme le sont les marcheurs de Compostelle cheminant vers l’ouest,
vers le couchant. Chacun avance pour des raisons qui lui sont propres
et va jusqu’au bout en dépit des difficultés du
chemin. « Ultreia », en avant, telle est la salutation
traditionnelle des pèlerins. Cette idée même de
marche, qu’elle soit d’ordre physique ou tout simplement
d’ordre intérieur, m’apparait essentielle et en
même temps très rassurante car, comme l’écrit
Henri Vincenot, « on ne peut pas asservir l’homme
qui marche ».
Plus que jamais, l’âge étant là et en dépit
d’un corps un peu alourdi, je me sens marcheur et de ce fait
sensible à ce passage de l’Évangile de Luc.
Une personne en route suit un itinéraire souvent tortueux, exigeant
parfois de pénibles efforts. Particulièrement dans le
contexte du monde actuel tellement déconcertant et souvent décourageant.
Et aussi dans le contexte des mauvaises nouvelles qui assaillent actuellement
notre Église.
Il faut pourtant marcher comme l’ont fait les disciples qui suivaient
Jésus, en quête de guérison ou de merveilleux,
ou comme les pèlerins d’Émmaüs en dépit
de leur découragement.
Un autre passage de l’épitre d’aujourd’hui,
dans la lettre de Paul aux Philippiens m’apparaît relié à notre
statut de marcheur vers la résurrection. « Le Christ
Jésus », écrit Paul « se dépouille
lui-même en prenant la condition de serviteur… »
Dans ce texte, on peut établir un lien avec l’idée
de notre pèlerinage vers Pâques. Tout marcheur, en effet,
doit nécessairement se dépouiller de ce qui peut l’entraver
dans son cheminement. S’affranchir de ses soucis quotidiens et
de son habitude de toujours planifier, organiser. Et aussi s’épurer
pour augmenter ses chances d’arriver sain et sauf à l’étape.
Sinon, épuisé, moralement et physiquement, il ne pourra
poursuivre sa route. Le serviteur ne s’embarrasse pas de ses
possessions, car par définition, il n’en a pas. Il ne
consacre donc aucune énergie à la protection et à l’augmentation
de ses biens. Il est donc plus libre, même s’il continue à servir
et à suivre son maître. Il n’a de cesse que ce dernier
soit satisfait et il veille patiemment jusqu’à son retour.
Je crois que si j’avais été à Jérusalem,
j’aurais volontiers suivi Jésus, j’aurais même été heureux
de devenir son serviteur. Et, parfois, encore aujourd’hui, je
marche parfois à sa suite, non pas par esprit grégaire
mais parce que je suis particulièrement sensible à son
côté humain que je ne puis dissocier de sa divinité,
même si celle-ci m’apparaît plus complexe. En fait
je n’ai jamais été à l’aise avec cette
dissociation. Tout être humain possède en lui une part
de divin dont il n’est pas nécessairement conscient.
Jésus m’apparait comme un frère. Comme un être
qui souffre et se réjouit, qui accompagne et qui écoute.
Je suis convaincu qu’il souffre avec nous quand nous sommes dans
la tristesse et qu’il se réjouit et rit de bon cœur
quand nous sommes heureux. C’est un véritable compagnon
de route comme l’ont été plusieurs marcheurs sur
le chemin de Compostelle. C’est un pèlerin qui avance à nos
côtés, même s’il peut me sembler souvent trop
discret, trop lointain. Sa présence, je la retrouve dans les
personnes qui sont heureuses, dans celles qui souffrent, bref dans
tous les êtres qui goûtent quotidiennement aux joies et
aux épreuves de l’existence.
Cette présence m’est apparue particulièrement forte à la
lecture d’un autre passage de l’évangile d’aujourd’hui.
«… Déjà Jésus arrivait à la
descente du mont des Oliviers quand la foule des disciples remplis de joie
se mit à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu’ils
avaient vus… »
J’envie un peu les disciples que Jésus avait émerveillés à plusieurs
reprises. Souvent je me dis que croire est plus facile lorsqu’on
est témoin de vrais miracles bien spectaculaires. Les mêmes,
sans doute, qui servent de base à la canonisation des héros
de l’Église dûment authentifiés.
Mais beaucoup parmi les obscurs, les sans grades m’apparaissent
aussi saints que les quelques privilégiés portés
sur les autels. En poussant un peu ma réflexion, je crois déceler
quelques situations qui tranchent sur la grisaille quotidienne et,
d’une certaine façon, s’apparentent aux miracles
de l’Évangile, même s’ils n’en possèdent
pas le caractère spectaculaire.
Par exemple, le cas de ce chauffeur de taxi qui réussit à retrouver
mon adresse et fait un long détour pour me rapporter une valise
oubliée dans sa voiture en refusant absolument toute rémunération.
Le miracle de ces parents qui, en dépit d’un contexte
trop souvent lourd d’inquiétudes, se laissent guider par
l’amour et n’en mettent pas moins des enfants au monde.
Je pense également à ces miracles permanents que l’on
peut retrouver dans le comportement des victimes des différents
séismes, qui relèvent la tête et, en dépit
des cataclysmes, croient en la vie et en la résurrection de
leur pays.
En ce temps de montée vers Pâques, nous avons particulièrement
besoin, comme marcheurs, de nous nourrir de ces signes exceptionnels
qui nous conduiront vers la lumière. Nous avons besoin de nous
convaincre que la vie et l’amour sont plus forts que la méchanceté et
la mort. En ce sens, la ferveur et même l’allégresse
de ceux et celles qui participent un peu partout à la célébration
d’aujourd’hui est d’un apport précieux.
La longue marche vers Pâques des chrétiens du monde entier
symbolise la foi de ces femmes et de ces hommes qui savent que jamais
la mort ne l’emportera. Et c’est assez extraordinaire de
pouvoir tous nous dire, à St-Albert et ailleurs dans le monde,
que, quoi qu’il arrive, nous goûterons tous à cette
résurrection car le mal et la tristesse n’arriveront pas à nous ôter
de l’esprit que l’amour demeurera plus fort jusqu’à la
fin des temps et même au-delà.
La célébration des Rameaux fera de nous des êtres
de plus en plus emplis de la joie de Pâques et contribuera à placer
l’amour au cœur de notre vie, même si celle-ci peut être
jalonnée de deuils, de soucis et d’inquiétudes
au point de parfois nous faire douter de l’amour de Dieu pour
nous.
Quoiqu’il en soit, nous sommes invités, dans cette montée à Jérusalem à accompagner
le Christ dans ses souffrances profondes, lui qui, juché sur
sa petite monture un peu dérisoire, savait fort bien qu’il
allait mourir de la façon la plus abjecte qui soit. Il ne faut
jamais perdre de vue que le Christ Jésus a souffert dans sa
chair autant que nous aurions souffert dans des circonstances semblables.
Malgré tout, en ces moments d’angoisse extrême,
l’amour intense qu’il vouait et voue encore à son
père et à tous les siens l’a empêché et
nous empêchent de désespérer.
Une question cependant me hante et je voudrais la partager avec vous:
comment faire en sorte que ceux et celles qui sont en proie à la
peine ou même à la désespérance puissent être
eux-mêmes atteints par cette lumière de Pâques et
puissent se joindre à la cohorte des pèlerins qui crient
Hosannah aujourd’hui?
Comment partager notre allégresse de Pâques avec ceux
et celles qui sont rongés par la petite tristesse ordinaire
des journées grises, ceux et celles qui ne se sentent ni aimés
ni utiles à quiconque? Comment notre joie de pèlerins
en marche vers la Résurrection pourrait être aussi la
leur? Comment l’Espérance de Pâques pourrait-elle
illuminer leur univers? La grande allégresse du dimanche des
Rameaux ne risque-t-elle pas de s’étioler si elle se limite à notre
groupe restreint des croyants pratiquants?
Autant de questionnements qui peuvent nous amener à réfléchir
et à découvrir des pistes de réponses. C’est également
notre première tâche de pèlerin : nous efforcer
de passer le relais du flambeau autour de nous pour proclamer que Jésus
n’est pas mort, qu’il est et sera toujours vivant et présent
au milieu de nous tous jusqu’à la fin des temps.