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Dimanche des Rameaux (C)

Jésus, notre compagnon de route

28 février 2010

Hubert de Ravinel

Hubert de Ravinel

Paul aux Philippiens 2, 6-11

Luc 19, 28-40

Quand Denis Tesson et Guy m’ont proposé de préparer l’homélie d’aujourd’hui, j’ai tout de suite accepté sans trop réaliser dans quelle aventure j’allais me lancer. Je ne me voyais pas prononcerun sermon, comme on disait jadis. Ce qui me rassure, c’est de sentir que les personnes présentes dans cette église voient dans celui qui prononce l’homélie un frère qui marche avec elles, un frère qui voudrait être également un témoin de la bonne nouvelle.

Mais c’est surtout le texte de l’évangile d’aujourd’hui qui m’a fortement encouragé à aller de l’avant

« Jésus marchait en avant de ses disciples pour monter à Jérusalem… »

Ce qui d’emblée me frappe, c’est cette idée de marche car à St-Albert, depuis des semaines, nous nous trouvons dans une ambiance de cheminement individuel et communautaire.

Pour moi, Jésus a été et est encore un pèlerin, comme le sont les marcheurs de Compostelle cheminant vers l’ouest, vers le couchant. Chacun avance pour des raisons qui lui sont propres et va jusqu’au bout en dépit des difficultés du chemin. « Ultreia », en avant, telle est la salutation traditionnelle des pèlerins. Cette idée même de marche, qu’elle soit d’ordre physique ou tout simplement d’ordre intérieur, m’apparait essentielle et en même temps très rassurante car, comme l’écrit Henri Vincenot, « on ne peut pas asservir l’homme qui marche ».

Plus que jamais, l’âge étant là et en dépit d’un corps un peu alourdi, je me sens marcheur et de ce fait sensible à ce passage de l’Évangile de Luc.

Une personne en route suit un itinéraire souvent tortueux, exigeant parfois de pénibles efforts. Particulièrement dans le contexte du monde actuel tellement déconcertant et souvent décourageant. Et aussi dans le contexte des mauvaises nouvelles qui assaillent actuellement notre Église.

Il faut pourtant marcher comme l’ont fait les disciples qui suivaient Jésus, en quête de guérison ou de merveilleux, ou comme les pèlerins d’Émmaüs en dépit de leur découragement.



Un autre passage de l’épitre d’aujourd’hui, dans la lettre de Paul aux Philippiens m’apparaît relié à notre statut de marcheur vers la résurrection. « Le Christ Jésus », écrit Paul « se dépouille lui-même en prenant la condition de serviteur… »

Dans ce texte, on peut établir un lien avec l’idée de notre pèlerinage vers Pâques. Tout marcheur, en effet, doit nécessairement se dépouiller de ce qui peut l’entraver dans son cheminement. S’affranchir de ses soucis quotidiens et de son habitude de toujours planifier, organiser. Et aussi s’épurer pour augmenter ses chances d’arriver sain et sauf à l’étape. Sinon, épuisé, moralement et physiquement, il ne pourra poursuivre sa route. Le serviteur ne s’embarrasse pas de ses possessions, car par définition, il n’en a pas. Il ne consacre donc aucune énergie à la protection et à l’augmentation de ses biens. Il est donc plus libre, même s’il continue à servir et à suivre son maître. Il n’a de cesse que ce dernier soit satisfait et il veille patiemment jusqu’à son retour.

Je crois que si j’avais été à Jérusalem, j’aurais volontiers suivi Jésus, j’aurais même été heureux de devenir son serviteur. Et, parfois, encore aujourd’hui, je marche parfois à sa suite, non pas par esprit grégaire mais parce que je suis particulièrement sensible à son côté humain que je ne puis dissocier de sa divinité, même si celle-ci m’apparaît plus complexe. En fait je n’ai jamais été à l’aise avec cette dissociation. Tout être humain possède en lui une part de divin dont il n’est pas nécessairement conscient.

Jésus m’apparait comme un frère. Comme un être qui souffre et se réjouit, qui accompagne et qui écoute. Je suis convaincu qu’il souffre avec nous quand nous sommes dans la tristesse et qu’il se réjouit et rit de bon cœur quand nous sommes heureux. C’est un véritable compagnon de route comme l’ont été plusieurs marcheurs sur le chemin de Compostelle. C’est un pèlerin qui avance à nos côtés, même s’il peut me sembler souvent trop discret, trop lointain. Sa présence, je la retrouve dans les personnes qui sont heureuses, dans celles qui souffrent, bref dans tous les êtres qui goûtent quotidiennement aux joies et aux épreuves de l’existence.


Cette présence m’est apparue particulièrement forte à la lecture d’un autre passage de l’évangile d’aujourd’hui.


«…  Déjà Jésus arrivait à la descente du mont des Oliviers quand la foule des disciples remplis de joie se mit à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu’ils avaient vus… »

J’envie un peu les disciples que Jésus avait émerveillés à plusieurs reprises. Souvent je me dis que croire est plus facile lorsqu’on est témoin de vrais miracles bien spectaculaires. Les mêmes, sans doute, qui servent de base à la canonisation des héros de l’Église dûment authentifiés.

Mais beaucoup parmi les obscurs, les sans grades m’apparaissent aussi saints que les quelques privilégiés portés sur les autels. En poussant un peu ma réflexion, je crois déceler quelques situations qui tranchent sur la grisaille quotidienne et, d’une certaine façon, s’apparentent aux miracles de l’Évangile, même s’ils n’en possèdent pas le caractère spectaculaire.

Par exemple, le cas de ce chauffeur de taxi qui réussit à retrouver mon adresse et fait un long détour pour me rapporter une valise oubliée dans sa voiture en refusant absolument toute rémunération.
Le miracle de ces parents qui, en dépit d’un contexte trop souvent lourd d’inquiétudes, se laissent guider par l’amour et n’en mettent pas moins des enfants au monde. Je pense également à ces miracles permanents que l’on peut retrouver dans le comportement des victimes des différents séismes, qui relèvent la tête et, en dépit des cataclysmes, croient en la vie et en la résurrection de leur pays.

En ce temps de montée vers Pâques, nous avons particulièrement besoin, comme marcheurs, de nous nourrir de ces signes exceptionnels qui nous conduiront vers la lumière. Nous avons besoin de nous convaincre que la vie et l’amour sont plus forts que la méchanceté et la mort. En ce sens, la ferveur et même l’allégresse de ceux et celles qui participent un peu partout à la célébration d’aujourd’hui est d’un apport précieux.

La longue marche vers Pâques des chrétiens du monde entier symbolise la foi de ces femmes et de ces hommes qui savent que jamais la mort ne l’emportera. Et c’est assez extraordinaire de pouvoir tous nous dire, à St-Albert et ailleurs dans le monde, que, quoi qu’il arrive, nous goûterons tous à cette résurrection car le mal et la tristesse n’arriveront pas à nous ôter de l’esprit que l’amour demeurera plus fort jusqu’à la fin des temps et même au-delà.
La célébration des Rameaux fera de nous des êtres de plus en plus emplis de la joie de Pâques et contribuera à placer l’amour au cœur de notre vie, même si celle-ci peut être jalonnée de deuils, de soucis et d’inquiétudes au point de parfois nous faire douter de l’amour de Dieu pour nous.

Quoiqu’il en soit, nous sommes invités, dans cette montée à Jérusalem à accompagner le Christ dans ses souffrances profondes, lui qui, juché sur sa petite monture un peu dérisoire, savait fort bien qu’il allait mourir de la façon la plus abjecte qui soit. Il ne faut jamais perdre de vue que le Christ Jésus a souffert dans sa chair autant que nous aurions souffert dans des circonstances semblables. Malgré tout, en ces moments d’angoisse extrême, l’amour intense qu’il vouait et voue encore à son père et à tous les siens l’a empêché et nous empêchent de désespérer.

Une question cependant me hante et je voudrais la partager avec vous: comment faire en sorte que ceux et celles qui sont en proie à la peine ou même à la désespérance puissent être eux-mêmes atteints par cette lumière de Pâques et puissent se joindre à la cohorte des pèlerins qui crient Hosannah aujourd’hui?

Comment partager notre allégresse de Pâques avec ceux et celles qui sont rongés par la petite tristesse ordinaire des journées grises, ceux et celles qui ne se sentent ni aimés ni utiles à quiconque? Comment notre joie de pèlerins en marche vers la Résurrection pourrait être aussi la leur? Comment l’Espérance de Pâques pourrait-elle illuminer leur univers? La grande allégresse du dimanche des Rameaux ne risque-t-elle pas de s’étioler si elle se limite à notre groupe restreint des croyants pratiquants?

Autant de questionnements qui peuvent nous amener à réfléchir et à découvrir des pistes de réponses. C’est également notre première tâche de pèlerin : nous efforcer de passer le relais du flambeau autour de nous pour proclamer que Jésus n’est pas mort, qu’il est et sera toujours vivant et présent au milieu de nous tous jusqu’à la fin des temps.


 


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