À l’écoute de cet Évangile, je suis , une
fois de plus, désarçonnée devant la réaction
inattendue de Jésus. Replaçons-nous dans le contexte
quelques secondes.
Des scribes emmènent une femme coupable d’adultère à Jésus
en train d’enseigner. Le tout, on le devine, dans une atmosphère
tendue et explosive. On veut mettre son autorité à l’épreuve,
semer le doute, trouver un moyen de condamner celui qui commence à avoir
trop d’ascendant sur les gens. C’est très habile
et ratoureux de la part des scribes car la situation présentée
ici semble simple et ne comporter qu’une seule issue : la
condamnation dictée par la Loi.
Au début, Jésus ignore ceux qui lui tendent ce piège.
Il ne mord pas et refuse la confrontation. Penché, il dessine
sur le sol et garde le silence.
La force du silence très présent dans ce texte me chavire
et me trouble. N’en expérimente-t-on pas un semblable
sur la route du pèlerinage? S’il va de soi, quand je songe à la
prière, j’oublie peut-être de lui laisser une place
dans mes rencontres. Est-ce que dans mon travail et dans mes amitiés,
j’ose ménager des espaces de silence? Pour écouter,
pour accueillir bien sûr, mais aussi parce qu’un silence
peut s’avérer fécond si j’accepte de dépasser
les moments de malaise qu’il peut susciter.
Reprenons le récit. Lorsque Jésus finit par s’adresser
aux accusateurs qui insistent, il le fait de façon tout-à fait
astucieuse… Il esquive l’affrontement, évite de
confronter les scribes sur leur terrain miné (celui de la Loi).
Il emmène son public ailleurs… Refusant le rôle
de juge, il opte pour celui de médiateur.
En renvoyant les gens à eux-mêmes, à leur conscience,
sa parole déconcerte et crée une ouverture. Elle se fait
dynamique, plutôt que statique. Cette qualité digne des
grands pédagogues permet à Jésus d’ouvrir
ici une brèche, de suggérer de voir les choses sous un
angle plus complexe et complet que la dichotomie soumise par les scribes.
Tous gagnent en profondeur à appréhender la réalité autrement
qu’en noir ou blanc.
« Celui d’entre vous qui est sans péché,
qu’il soit le premier à lui jeter la pierre ».
La situation est retournée. Tous les protagonistes sont conviés à se
mettre en route, à se questionner. La réponse de Jésus
appelle un mouvement tout en indiquant un chemin où prévaut
l’intégrité.
En m’incitant à poser un regard neuf sur mes jugements
hâtifs, sur ma tendance lourde au blâme, Jésus fait
appel au meilleur de moi-même. Je suis emmenée à « faire
des efforts », à « travailler sur moi-même ».
Quel réconfort, un Dieu qui libère de nos peurs, de nos
rigidités et qui inspire le dépassement de soi! Un Dieu
qui fait confiance! Comme la relation des deux frères dans la
parabole du fils prodigue, les liens que j’entretiens avec mes
proches sont parfois troubles. Je suis invitée, dans mon pèlerinage à revoir
le rôle que je joue dans les petites irritations qui ponctuent
parfois mes relations avec mon entourage. Cette parole m’encourage à risquer
la rencontre avec l’autre ainsi qu’à sortir des
sentiers balisés, à me laisser surprendre.
Jésus souhaite que l’on s’aventure sur le terrain
de la créativité pour régler nos conflits. Si
j’envisage sous un angle nouveau les discordes qui ponctuent
mes relations interpersonnelles et consens à délaisser
la sécurité des idées toutes faites, je permets
l’émergence de solutions nouvelles, non anticipées.
Si en plus, je m’allie à l’autre pour trouver une
issue positive au conflit, nous irons sans doute encore plus loin grâce à nos
différences. D’ailleurs, le pèlerinage est souvent
synonyme de très longue route!
Le texte se poursuit. Des paroles fortes le terminent : « Moi
non plus, je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus ».
L’accueil au cœur de l’expérience humaine
comme de l’expérience en Dieu! Puis-je en profiter pour
me questionner sur ma propre façon de transiger avec ceux qui
me blessent, me bousculent ou tout simplement heurtent mes idées?
Ma capacité à résister à la tentation du
jugement expéditif est ici mise à l’épreuve.
En s’adressant ainsi à la femme, Jésus offre son
pardon par-delà le doute. Le pardon dans l’accueil inconditionnel.
Notez que ceci se fait en l’absence d’aveu ou de confession.
Un pardon dans la liberté. Un pardon qui se fait invitation à se
mettre en route, à aller de l’avant comme s’il s’agissait
d’un nouveau départ. Un pardon comme un don : celui
de la liberté et des choix.
Jésus ici, laisse entrevoir son Dieu-amour, un Dieu qui pardonne.
Comme cet amour d’un parent pour son enfant. Une démarche
de pardon déboucherait sur un gain de liberté et de paix
intérieure. Cette Bonne Nouvelle nourrit-elle ma quête
de nouvel élan? C’est debout, responsables que le Dieu
de Jésus désire nous voir. Il nous assure que sa présence
guidera notre marche.
En m’interrogeant sur ce à quoi je suis fidèle,
sur mes raisons de l’être, cet évangile me montre
un chemin d’authenticité. La quarantaine entamée,
de petites mises au point périodiques m’obligent à considérer
le chemin parcouru. Force m’est d’admettre que j’ai
de la difficulté à composer avec les renoncements et
les déchirements qui découlent de certains choix dans
ma vie. Aussi, je m’en veux de mon manque d’indignation
engagée face aux injustices. Le texte de ce matin me force à m’interroger
sur mes valeurs, mes infidélités envers moi-même
et mes lâchetés envers les autres. Jésus suggère
qu’on devient de meilleurs humains lorsqu’on ose faire
preuve d’intégrité et qu’on s’accueille
tel qu’on est, avec nos contradictions. Si inspirée par
cet Évangile, je me risque sur la voie du pardon et de l’indulgence
envers moi-même, j’y gagnerai une forme de liberté.
J’échapperai au piège du ressentiment et serai
prête à poursuivre ma route d’un pas plus léger :
dans mon balluchon, une plus grande capacité d’accueil.
Est-ce que j’y puiserai le courage de m’impliquer davantage
pour contribuer à bâtir une société plus
humaine? C’est ce que je souhaite à chacun de nous à l’approche
de Pâques.