C’était la plus improbable des rencontres.
Un puits sur la route, un point d’eau dans le
désert,
une pause au pays de la soif… C’est le puits de Jacob, un
des lieux de la mémoire, mémoire de la vieille alliance
entre Dieu et son peuple.
C’est la sixième heure, c’est-à-dire midi,
au plus chaud de la journée. Les femmes du village ont l’habitude
de se rendre au puits tôt le matin, et elles en profitent pour
bavarder. Cette Samaritaine-ci, négligente ou plus probablement
mise à l’écart, vient au puits en pleine chaleur
et malgré la présence d’un homme, un étranger.
C’est la sixième heure, et il fait soif. Marchant depuis
le matin, un homme jeune s’est accoudé à la margelle
du puits. Le soleil est à son zénith et, pour quelques
minutes encore, éclaire le fonds du puits et joue avec l’ombre
de Jésus. La route du retour en Galilée est longue,
le pays qu’il traverse inhospitalier. C’est le temps
de l’hésitation, de la torpeur. Rien pour puiser et
il fait soif.
L’étrange dialogue de cette rencontre
improbable est à l’évidence
chargé de symboles que le fossé des cultures et du
temps nous masquent en grande partie, mais j’en retiens que
Jésus se sent assez en confiance pour dire, lui aussi, sa
vérité : Le Messie, celui qu’on appelle
Christ, moi qui te parle, je le suis… Jésus qui d’habitude
esquive, est amené, de badinage en questions théologique, à cet
immense aveu libérateur : ‘je le suis’… Il
aura besoin de 2 jours de repos pour s’en remettre.
C’était la plus improbable des rencontres, mais Jésus
avait besoin de l’autre, de la toute autre, pour faire lui
aussi éclater sa vérité.
C’était une rencontre de deux soifs :
Soif de Jésus de faire connaître son Père, soif
d’être reconnu, désir que le Royaume se réalise,
que les fausses croyances s’écroulent, que la religion
ne soit pas un obstacle à la rencontre de Dieu.
Soif de la Samaritaine, qui ose risquer la rencontre
de l’autre
car elle est au fond à la recherche d’elle-même.
Désir d’affirmation de soi — n’a-t-elle
pas déjà congédié 5 époux,
5 maîtres — Désir d’égalité,
recherche spirituelle aussi. Tout cela emmêlé.
En réponse à ces soifs, Jésus
dit à la
Samaritaine : si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais
celui qui te dit ‘donne-moi à boire’ tu lui aurais
demandé et il t’aurait donné de l’eau vive.
Il y a une dizaine de jours, nous étions quelques-uns, surtout
quelques-unes en fait, réuni(e)s pour préparer l’homélie
et j’avais du mal à faire dire ce que représentait
l’eau vive pour nous aujourd’hui. La réunion finie,
chacun partant de son côté préparer le souper,
M. me disait qu’elle allait rejoindre une femme, qu’elle
avait accueillie chez elle, et qui était emmurée dans
sa paranoïa. C. de son côté, évoquait la
jeune fille qu’elle préparait au baptême et qui,
peut-être, attendrait encore un peu.
C’est alors que m’est revenu le second énoncé de
Jésus à propos de l’eau vive : ‘tu
m’aurais demandé de l’eau et j’aurais fait
jaillir en toi l’eau vive’.
Il m’a semblé que, en évoquant
leurs soucis, ces femmes de notre Communauté me parlaient
enfin du sujet de
l’Évangile : les soifs, les désirs de vérité et
de libération, les sources d’eau vive, bloquées,
encombrées de pierres, empêchées de jaillir.
Suite à des rencontres de hasard, elles avaient entendu la
demande « J’ai soif ».
Elles s’étaient simplement rendues disponibles pour
offrir l’eau, pour permettre à l’autre de devenir
source jaillissante d’une vie en plénitude. C’est
assez proche de l’expérience de Moïse frappant
le rocher pour libérer la source.
Libérer l’eau vive… Soyons réalistes!
Dans les faits, et la plupart du temps, nous ne réussissons
ni à guérir,
ni à transmettre la foi, ni à faire la vérité en
nous. La peur, le mal et la souffrance demeurent les plus forts.
En particulier, chez ceux que nous aimons le plus, pour qui nous
croyons déployer une générosité inépuisable,
nos efforts demeurent vains.
Je m’efforce de penser que ces échecs,
cette souffrance et ce sentiment d’épuisement pourraient être à la
fois une erreur d’appréciation et un manque de confiance :
Un erreur d’appréciation : c’est
un échec
parce que les résultats attendus ne sont pas atteints… les
résultats désirés par nous; Or que connaissons-nous
des désirs profonds de l’autre? Sommes-nous vraiment à son écoute
ou voulons-nous la changer? Et quand nous entendons les besoins
spirituels de l’autre, voulons-nous la convertir ou laisser
Dieu lui parler?
Un manque de confiance dans les autres : Ce rocher derrière
lequel murmure la source, ce rocher qui résiste à nos
coups de pioche, ce sera peut-être le grattement d’ongle
d’une toute autre, un peu ailleurs, qui saura libérer
l’eau vive. Une autre témoignera.
Un manque de confiance dans l’Esprit : sous
l’épaisseur
de cendres de nos échecs, la braise couve encore et un courant
d’air saurait peut-être ranimer le feu, faire éclater
la vérité, si nous ouvrions une porte, la nôtre (?)
pour que l’Esprit s’engouffre.
‘Où faut-il adorer Dieu?’ demande
la Samaritaine. Ni sur la montagne, ni dans le Temple dit Jésus… ni
dans cette église. Comme nous disons aux enfants, ce n’est
pas ‘la maison de Jésus’ mais la ‘maison
des amis de Jésus’.
Le Christ, nous le rencontrons en chaque personne avec laquelle,
en vérité, nous évoquons ensemble nos soifs.
Le Christ, il est ailleurs, dans les personnes, les lieux et les
moments les plus surprenants, alors que nous sommes, sans bagage
ni défense, à risque et à nu.
Ici, le dimanche à 11h00, c’est autre chose. C’est
le temps de la halte. C’est le lieu de mémoire de l’Alliance
renouvelée en Jésus. C’est la célébration
de notre espérance commune et le resourcement de ses disciples.
… disciples qui aimerions pouvoir nous dire
les uns aux autres, comme les villageois de Samarie : ‘ce
n’est
pas à cause
des témoignages que nous croyons : le Christ nous l’avons
vraiment rencontré et c’est Lui, l’avenir du monde.’