Au commencement était la tentation…
Deux paysages bien différents : un jardin de Genèse et
un désert d’Évangile. Une mise en scène à peu
près semblable. J’ai envie de dire : au commencement était
la tentation.
« Jésus est conduit au désert par l’Esprit
pour y être tenté par le démon ». Le désert,
un endroit à la fois si rude et si beau, où se répondent
deux voix, celle de Jésus et celle du Satan. Trois questions sur lui-même
qui sont aussi des questions sur Dieu. Si tu es fils de Dieu, es-tu capable
de changer ces pierres en pains? Es-tu capable de te jeter en bas, de réussir
le saut sans te faire mal? Acceptes-tu de te faire adorer par tous ces royaumes
que tu vois? Un bien drôle de jeu! Jésus tient bon.![Le Christ au désert](../../../Library/Images/ChristDESERT.jpg)
Le premier récit, celui de la Genèse, met en scène
Dieu, Adam et Ève et un serpent, le tentateur. Non pas dans le désert
cette fois-ci, mais dans un jardin plein d’arbres de toutes sortes.
L’arbre défendu est attirant : « Vous serez
comme des dieux » Adam et Ève succombent. Ils en mangèrent… « Et
ils connurent qu’ils étaient nus ». À la fois
la beauté et l’indécence de la nudité, la transparence
et les risques qu’elle recèle. Et c’est là que
commence pour eux, le combat pour la vie jusqu’à traverser la
mort. Adam et Ève, dans leur nudité, sont renvoyés à leurs
propres responsabilités de nouer un nouveau type de relations avec
eux-mêmes et avec Dieu. Au commencement était la tentation.
Pour eux, comme pour Jésus, c’est l’image de Dieu qui
est en question et leur propre image. Jésus, tout comme Adam et Ève,
ont eu à se poser des questions sur Dieu et sur eux. Un Dieu puissant
ou un Dieu qui nous renvoie à notre propre responsabilité?
En vieillissant, il nous arrive de nous poser la question : « Qu’ai-je
fait de ma vie? » Dans le récit de la tentation, Jésus
s’interroge : « Que vais-je faire de ma vie? » Comment
construire son existence pour la réussir? Bien des moyens sont à notre
disposition. Pour Jésus, le désert apparaît le lieu et
le temps de la question; lieu pour éprouver la liberté de partir à neuf.
C’est une mise à l’épreuve. Écoute ma voix,
dit Satan (Chouraqui a traduit l’Éprouvant); écoute la
parole de Dieu, dit Jésus. Il a senti qu’il était nécessaire
de se mettre au clair avec lui-même. Pour cela, il faut accepter la
solitude. Jésus va au désert pour se retrouver lui-même
face à Dieu. Le désert est de l’ordre de l’intériorité.
Seul celui ou celle qui s’est confronté à lui-même
peut avoir le courage de la vérité. C’est l’Esprit
qui conduit Jésus au désert; on ne choisit pas soi-même
le temps et le lieu. Il y a comme une nécessité intérieure.
Nous en avons tous l’expérience une fois ou l’autre dans
notre vie quand on sent que le feu s’éteint sous la cendre.
Le désert comme le jardin de la Genèse, n’est-ce pas
retourner au creux de son existence.
En somme, pour Jésus, la rencontre avec le Tentateur, c’est
de décider de Dieu. Qui est le vrai Dieu? Pour reprendre Satan :
si tu es Dieu, sois efficace : de ces pierres, fais du pain en abondance,
la magie… De quel Dieu s’agit-il? Tel est l’enjeu de cette
scène des tentations au désert. Jésus ne s’est
pas servi de Dieu. Dieu n’est pas un rival. Jésus s’est
interrogé sur certaines images de Dieu qu’on véhiculait
dans sa tradition. Satan représente en gros ces images. Jésus,
pour reprendre Maître Ecckart, « a prié Dieu pour
qu’il le déprenne de certaines images de Dieu ».
Jésus veut rester un homme libre, sa relation à Dieu n’en
sera pas une de puissance et de force, mais une relation de confiance dans
les humains, lesquels aux meilleurs moments de leur vie peuvent partager
le pain, ne pas se donner en spectacle : « jette-toi en bas »;
ne pas faire le jeu de l’adoration; « tous ces royaumes,
je te les donnerai, si tu te prosternes pour m’adorer ».
De Jésus et de Satan se joue la profondeur et le sens même de
la vie et de Dieu.
St-Exupéry, qui a connu le désert et les grands espaces, se
posait la question : « Qu’est-ce que le désert? » Et
il répondait : « C’est l’espace où l’âme
s’envole! » Au désert, on marche, on se sent petit,
on fait silence. Le désert nous met en face de nous-mêmes, de
Dieu, en face de l’incertitude aussi : la route à suivre,
la soif, la fatigue. Mais comment parler de désert à celui
ou celle qui vit une séparation, à celui ou celle qui vient
d’apprendre qu’il ou elle a un cancer? Pour trouver une source
dans ce désert, il faut l’entendre, sortir de soi… y
croire.
Le carême n’est-il pas un temps pour réfléchir
sur le sens de la vie, sur le sens de Dieu dans nos vies comme Jésus
l’a fait; temps pour se remettre en interrogation? Le carême,
que ce soit au jardin de la Genèse ou au désert, c’est un
temps plus-que-nécessaire. Le carême est là pour nous
inviter à redécouvrir le vrai visage de Dieu, le nôtre,
celui des autres. Le sens communautaire de l’expérience de foi,
n’est-ce pas ce qui est de plus en plus en danger dans notre Église?
Le carême. Suis-je encore capable d’entendre la voix de Dieu?
Qui suis-je devant Dieu? De quel Dieu s’agit-il? C’est une lourde
interrogation. Elle est au cœur de nos vies. Le carême, n’est-ce
pas le temps de raviver la flamme sous les cendres. Oui, au commencement était
la tentation, moment de nos choix les plus fondamentaux. Adam et Ève
s’ouvrent enfin les yeux; ils ont tout à construire. Satan quitte
la scène tandis que Jésus retourne sur sa terre de Galilée,
Fils de Dieu plus que jamais. Jusqu’à la mort, jusqu’à la
vie. Et nous…