3e Dimanche de Pâques C
Jean-Claude
Breton
Jean-Claude Breton
Ac
5, 27-41
Ps 29, 3
Ap
5, 11-14
Jn
21, 1-19
Plus
que Nicodème, plus que Joseph d’Arimathie, Gamaliel est probablement
le personnage de la communauté juive, et qui a décidé d’y
demeurer même après la mission de Jésus, qui a toujours
le plus retenu mon attention et mon appréciation. La sagesse dont il
fait preuve lors de la comparution de Pierre et ses compagnons m’a toujours
impressionné. Imaginez la situation. On amène devant les responsables
de la communauté des adeptes d’une nouvelle secte qui continuent
de vanter les qualités de leur maître malgré les avertissements
et interdits qu’on leur a fournis. Comme on dit parfois ailleurs, le
temps était venu de mettre le pied à terre et d’arrêter
ce mouvement qui risquait de contaminer toute la communauté. Si on laissait
faire les disciples de Jésus, on risquait de se retrouver rapidement
avec des personnes qui se diraient juives sans pour autant satisfaire aux exigences
et aux normes de la religion. Ça n’avait pas de bon sens et il était
temps de mettre un terme à ces dérives.
Gamaliel aurait
eu beau jeu de jouer la carte de l’opinion populaire, d’autant que
cette opinion inquiète était prête à n’importe
quelle décision susceptible d’apporter un peu de réconfort
et d’assurance. Au lieu de cela, ce sage va proposer d’attendre.
Mais ce n’est pas l’attentisme qui fait de lui un sage; ce sont les
raisons qu’il met de l’avant. D’une clarté remarquable,
ces arguments pourraient presque paraître simplistes, si on ne voyait qu’il était
bien impossible de penser à les remplacer par une solution plus «songée».
Répétons encore une fois le cœur de cet argumentaire pour
le plaisir d’entendre ces propos de sagesse. Gamaliel rappelle l’alternative
qui s’offre aux autorités juives. Ou bien on condamne cette nouvelle
secte et si elle est bien de Dieu la condamnation n’entraînera aucun
effet, ou bien on la laisse aller, et si elle n’est pas de Dieu, elle va
finir par disparaître naturellement. Un argument religieux, presque évangélique,
servi à des autorités religieuses et qui emporte le morceau.
On ne voit pas cela tous les jours et il fallait bien en souligner l’originalité.
Cela vaut bien l’histoire de pêche rapportée dans l’évangile
du jour.
Troisième
manifestation de Jésus après son retour d’entre les morts,
le modèle commence à être connu. Les disciples sont concentrés
sur leur occupation et commencent à trouver moins drôle d’avoir
perdu la nuit à pêcher sans succès. Un homme arrive qui leur
dit de jeter leur filet à droite de la barque. Comme s’ils avaient
passé la nuit à pêcher du côté gauche, ils obéissent
au cas où, et la suite s’enchaîne comme dans les autres récits
d’apparition. Jésus est finalement reconnu et il va partager avec
eux le pain à la fois pour bien signifier son retour à la vie et
pour refaire le geste de la cène, qu’il les a déjà invités à reprendre
en mémoire de lui. Cette pêche n’aurait rien de remarquable
si elle n’était pas suivie par l’entretien entre Jésus
et Pierre. Pour corriger la triple trahison de Pierre au moment du procès
de Jésus, voici que ce dernier va amener Pierre a confessé trois
fois son attachement à Jésus. Peut-être moins préoccupé de
mathématiques que nos ancêtres dans la foi, je suis plus sensible
au but de cette confession qu’à sa triple répétition.
Jésus
en effet n’impose pas à Pierre de répéter trois fois
son attachement à son maître pour le seul plaisir de le faire souffrir,
mais pour le préparer à sa mission. «Pais mes brebis».
C’est en vue de cette tâche que Jésus veut s’assurer
que Pierre a bien compris son erreur et qu’il est prêt maintenant à se
tenir debout contre vents et marées. Et ç’a marché comme
l’illustre la comparution devant les autorités religieuses où Pierre
va être sauvé par Gamaliel.
On ne sait pas combien de temps il aura fallu à Pierre pour passer de
l’esprit de trahison à celui de la confession inconditionnelle.
Quelques semaines, quelques mois ou quelques années, ce n’est pas
ce qui est important. Ce qui doit retenir notre attention, c’est que Pierre
a progressé, qu’il a consenti aux temps de réflexion et aux
efforts, qu’il a répondu aux appels inscrits dans sa relation avec
Jésus, et qu’il est parvenu à une conviction indéfectible. «Il
faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes». Une
belle phrase que le juif Pierre avait dû apprendre dès son enfance,
mais qu’il devient capable de citer au moment opportun et devant les autorités
qui ont le pouvoir de l’emprisonner. Pierre ne sera pas le dernier à suivre
ce chemin, mais il inaugure ici la voie royale du témoignage qui pourrait
mener au martyre même. Pierre a compris, après le temps qui lui
a été nécessaire, que sa foi en Dieu ne peut pas s’accommoder
de négociations ni d’arrangements.
Et voilà que
nous nous retrouvons avec l’exemple de deux grands croyants. Par des chemins
différents et en fonction de buts apparemment opposés, Gamaliel
et Pierre offrent l’exemple presque identique de ce que signifie prendre
Dieu au sérieux, dans sa vie et surtout dans ses propos religieux. Les
enjeux sont de taille. Pour Pierre, son témoignage pourrait le mener au
martyre et ce sera finalement le cas plus tard. Pour Gamaliel, sa fidélité à la
tradition et son intégrité à l’égard de la
communauté juive pourront être remises en question en raison de
son plaidoyer pour la nouvelle secte. On pourrait se demander en passant ce qui
lui aura rapporté éventuellement le fait d’être cité dans
les écrits de cette nouvelle secte, un peu comme si un théologien
connu devenait une référence choisie par les disciples de Raël!
Mais rien n’y fait. Ni l’un ni l’autre n’hésitent à affirmer
ce que leur foi, ce que leur expérience de Dieu leur dicte. Et la conviction
de l’un ressemble énormément à la sagesse de l’autre,
même s’ils se trouvent du côté opposé de la barrière.
Le chrétien Pierre et le juif Gamaliel se ressemblent comme deux gouttes
d’eau dans leur geste de foi.
Dans l’esprit
de la fête de Pâques, qui nous a rappelé le cœur de
notre foi chrétienne, il n’est pas indifférent qu’aujourd’hui,
en 2007, nous soyons invités par la liturgie à recevoir et comprendre
les témoignages de Gamaliel et de Pierre. Il n’est pas insignifiant
que ce soit en pleine célébration du mystère pascal qu’il
nous soit rappelé que le chemin de notre foi en Jésus ne nous isole
pas des démarches de nos frères et sœurs en humanité,
et ne nous oppose aux croyantes et croyants qui vivent autrement leur attachement à Dieu.
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