Heureux ceux qui croient sans avoir vuJoseph-Arthur BergeronJoseph-Arthur Bergeron
Imaginons, pour un instant, que l’histoire de Jésus se soit terminée par la crucifixion et la mise au tombeau. Que serait-il advenu alors des disciples de Jésus? L’évangile de Jean nous apprend déjà que, pris de peur, les disciples s’étaient verrouillés derrière des portes pour échapper à d’éventuelles représailles de la part des Juifs. On peut comprendre qu’ils aient agi ainsi devant ce qui semblait être un échec lamentable de l’aventure extraordinaire qu’ils venaient de vivre avec Jésus. Aventure qui les avaient conduits sur les traces de celui dont l’enseignement et les actes soulevaient l’admiration des foules et la colère des autorités religieuses et civiles. Jésus les avait appelés à le suivre et ils avaient engagés leurs pas derrière les siens Ils l’avaient accompagné sur les routes de Galilée, de Samarie et de Judée, entendu ses paraboles et vu ses miracles qui les avaient graduellement amenés à croire qu’il était le messie tant attendu. Or voilà que, dans la déroute de la croix, au moment où le ciel s’obscurcissait et que le voile du temple se déchirait, ils couraient se cacher comme des voleurs, afin d’échapper à la colère des autorités et à celles de leurs compatriotes. L’angoisse et la peur avaient vite fait place au triomphalisme du dimanche des rameaux qui annonçait tout le contraire de ce qui venait de se produire. Qu’en était-il maintenant de tous ces espoirs, de tous ces rêves de victoire sur l’ennemi romain, de tous ces désirs d’une vie libérée des entraves de la tradition, de ces promesses de bonheur et d’amour des uns des autres? Tout cela enseveli avec ce crucifié dans un tombeau. Aurions-nous mieux compris que les disciples? Notre foi n’aurait-elle pas été ébranlée, elle aussi, comme les colonnes du Temple? N’aurions-nous pas, nous aussi, cherché la fuite pour échapper à la haine et à la vengeance et surtout pour cacher notre désespoir et peut-être même nos ressentiments? N’aurions-nous pas perdu la foi en toutes ces belles promesses et essayé de reprendre contact avec la réalité à la manière de Thomas? Jésus avait avivé tant d’espérances que le désespoir de Thomas ne pouvait qu’en être plus profond, jusqu’à le rendre désormais sceptique. Thomas n’allait donc plus se laisser avoir. Fini la naïveté. Et ce n’est surtout pas les racontars des autres disciples qui prétendent avoir vu Jésus qui vont le faire changer d’idée. Pour Thomas, Jésus est bien mort sur une croix et il n’y a plus rien à espérer. Thomas retrouve son sens du réalisme, il se veut dorénavant sans illusion et se définira plutôt comme un pessimiste qui n’ose plus croire sans avoir des preuves tangibles. En cela, Thomas est bien moderne et nous ressemble tous. Mais, voilà que Jésus se montre aussi à Thomas. L’inattendu, l’inespéré est là devant lui et Thomas peut vérifier les marques laissées par les clous et la lance. Le sceptique est confondu. Lui qui doutait retrouve la foi. Comment aurions-nous réagi à sa place et à la place des autres disciples? N’aurions-nous pas abandonnés nos craintes et retrouvés la foi en voyant et en écoutant Jésus? Heureux donc ces disciples qui ont vu le ressuscité, heureux Thomas qui a pu avancer son doigt et sa main et faire acte de foi. Jésus eut-il préféré ne pas se montrer à ses disciples et que ces derniers croient en lui, malgré son absence? Mais n’aurait-ce pas été beaucoup demander à de pauvres humains, après ce qui venait de se passer? En se montrant de nouveau, Jésus apaise les craintes de ses disciples et les sort de l’état de déréliction dans lequel sa mort sur la croix les avait laissés. Et c’est en voyant ses mains et son côté que les disciples sont confortés dans leur foi, foi qui les portera à témoigner de la présence du Christ désormais absent. Mais, à nous, tout aussi humains que les disciples, pourquoi Jésus ne se montre-t-il pas? Pourquoi nous laisse-t-il avec cette mince consolation contenue dans cette phrase énigmatique : «Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Si on réfléchit bien, on comprend que Jésus ne pouvait pas demeurer parmi nous et se manifester, en tout temps, à notre demande. En retournant vers son Père, Jésus n’allait-il pas nous permettre, par son absence, d’entreprendre la grande aventure de la foi, tout comme l’absence de Dieu, au paradis terrestre, avait lancé la grande aventure de la liberté? Mais, ce faisant, cette absence de Jésus ne risque-t-elle pas de livrer nécessairement notre foi au doute puisque, contrairement à Thomas et aux disciples, nous ne nous pouvons plus avancer notre doigt et notre main pour nous assurer de la présence de Jésus? Il semble bien qu’il en soit ainsi, puisque le doute nous habite et nous savons, par expérience, qu’il profite souvent de cette absence de Jésus pour ébranler notre foi. Est-il nécessaire de rappeler la foi des grands mystiques plongée dans les nuits obscures du doute? Puisque la foi donc ne peut faire abstraction du doute, ne faut-il pas alors en préciser le rôle et se demander quel doute peut être bénéfique pour la foi et comment? S’il s’agit du doute qui remet tout en question, alors, bien sûr, il n’y a aucun engagement possible, car s’engager implique la foi en un projet, la foi en un avenir. Or, ce doute-là enferme l’individu dans le présent, le paralyse et ne peut conduire qu’au pessimisme et au cynisme. Par contre, une foi à l’épreuve du doute ne risque-t-elle pas de nier la complexité de la réalité et de refuser le dialogue avec les autres? Cette foi qui ne veut pas se remettre en question, qui possède la vérité, n’est-ce pas elle qui ouvre la porte toute grande au fanatisme et à l’intégrisme? Enfin, le croyant qui laisse place au doute bénéfique est celui dont la foi reste disponible, ouverte sur l’inconnu, le différent, le possible, le mystère. Il se veut humble et prudent, il n’est pas prêt à accepter tout ce qu’on raconte, mais il nourrit sa foi dans la méditation du message livré par Jésus et par tous ceux qui ont cru en lui et en ont témoigné. Sa foi n’exige ni de voir ni de toucher, mais dispose plutôt son esprit et son cœur à reconnaître le Christ là où il ne l’attend pas afin d’être prêt à lui dire, comme Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu. »
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