Le premier commandement
Il me semble que le texte de l’Ancien Testament et celui de l’Évangile
résument bien l’histoire de la relation de Dieu avec son peuple :
Une pédagogie au cours de laquelle Dieu, initialement en compétition
avec des idoles, se révèle progressivement, du côté des
humains, tout proche, puis, s’incarnant en Jésus, fait comprendre
qu’on ne le découvre qu’à travers l’amour donné aux
autres.
Le scribe est le bon interprête de ceux qui, en leur temps, se sentent
interpellés par la conduite de Jésus : ‘On te voit
avec les exclus, avec nos ennemis romains, avec des amis ramassés au
hasard du chemin... Souvent, tu viens prêcher dans le temple mais quand
tu pries, tu t’en vas loin du temple… Tu sembles mépriser
nos prêtres et nos rites… Au nom de quoi fais-tu tout cela qui
nous paraît étrange et incohérent ? Quelles sont tes valeurs
? Avons-nous les mêmes croyances ?’ : Une autre façon
de demander : Qui es-tu ?
La réponse de Jésus, qui sera plus tard commentée par
Paul et par Jean pour les premières communautés croyantes, elle
est simple : aimer Dieu et aimer son prochain, c’est tout comme,
et j’aimerais réfléchir avec vous sur cette équivalence,
sur cet amour de soi, de Dieu et du prochain, dans un monde individualiste
et qui ignore Dieu, notre monde. En somme, nous aider à dire qui est
Dieu pour nous, après 2000 ans de tradition chrétienne.
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Celle qui m’a initié à la foi, ma grand-mère, évoquait
souvent le premier commandement… ‘et le second qui lui est semblable’.
C’est au nom du Christ que ma grand-mère pratiquait une authentique
charité qui lui faisait visiter les malades et les pauvres et qui la
rendait toujours disponible. Elle s’interdisait de juger les gens. Je
l’entends encore me dire : ‘je ne veux pas le juger, c’est
quelqu’un qui souffre beaucoup et qui a beaucoup besoin de nous et de
nos prières’ ou encore, une fois que je louais sa générosité elle
m’avait répondu : ‘non, mon grand, je suis au contraire
moi aussi très égoïste mais, chaque jour, je prie le Bon
Dieu qu’il m’aide à l’être un peu moins’.
Je connais une personne qui pratique la charité aussi bien que ma grand
mère, mais qui est incroyante et politiquement sceptique (genre ni Marx
ni Jésus). Apprivoiser l’autre, lui redonner confiance, témoigner
de la dignité de ce qui est compté pour rien, c’est une
passion exigeante qui s’impose à elle comme une évidence.
Elle non plus ne condamne pas et voit l’autre comme un frère en
humanité en qui elle se reconnait avec ses forces et ses limites, son
besoin de l’autre pour exister. Elle dit : ‘Je ne le fais
pas pour eux, j’ai l’impression que je le fais pour moi, parce
que j’en ai besoin. Ça m’aide à me recentrer sur
l’essentiel.’ En somme, donner sa confiance pour se faire confiance.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est beaucoup d’efforts
et c’est un travail de construction de soi. L’une, ma grand-mère,
confiante dans le Seigneur et dans l’efficacité de la prière,
oeuvrait de tout son coeur pour que les personnes se sentent aimées
et voulait se rendre de plus en plus digne de l’amour de Dieu. L’autre,
ma contemporaine, met son intelligence et sa force pour que les paumés
reprennent confiance et elle se découvre plus forte, plus généreuse
et terriblement attachée à ceux qu’elle aide.
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Envers nos plus proches, nos intimes, l’exigence est plus grande : établir
la confiance qui permet d’être vrai. Non seulement voir la personne
au-delà de ses actes, voir le prochain qui me ressemble, mais faire
confiance à l’ami(e) pour oser dire ce qui blesse et accepter
d’entendre des reproches. Et c’est avec ceux que nous aimons le
plus que nous expérimentons à quel point l’amour est insuffisant,
car celui/celle qu’on aime est un écorché vif et son amour
nous étouffe (et réciproquement bien sûr!). Et, à la
moindre contrariété, l’autre (ou moi) explose : ‘et
tu prétends que tu m’aimes !’ … Amours humaines !
Que de décryptage, que de ‘Bonne Volonté’ pour que
l’amour s’échange entre deux êtres.
Mais si c'était ainsi, en mettant tous nos efforts pour vivre en harmonie
avec ce qui est le meilleur en nous, que nous étions fidèles à ce
qui nous habite et que nous appelons Dieu ? Si Dieu n’était que
ce qu’il y a de meilleur en chaque être humain ? Si c'était çela
aimer Dieu: être fidèle au meilleur de nous mêmes et ainsi
arriver à lui être fidèle, en le laissant advenir en nous
?
Il y a encore un pas à faire, le plus difficile, et c’est de consentir à être
le prochain de quelqu’un. Notre vie, c’est aussi les deuils, la
confiance trahie, l’échec et la maladie. C’est alors seulement
par les autres que nous survivons. Au fond de la dépression ou sur le
lit d’agonie, des très proches ou des Samaritains de hasard font
que la vie et l’amour continuent de rayonner pour nous. Consentir à n’être
en vie que par les autres, c’est un terrible arrachement, et une autre
image de Dieu se dessine, coïncidant avec Jésus crucifié.
C’est Dieu le tout-impuissant, qui prend le risque de s’en remettre à l’autre
pour exister. Dieu, un infini d’amour qui n’existe que par les
humains et en qui nous voudrions nous dissoudre pour, qui sait, renaître
tout autre.
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Écoute, Israël du temps présent, Dieu est l’Unique.
Unique à chacun, unique à chaque moment de notre vie. Dieu qui
dévoile une partie de son mystère à chaque rencontre où nous
essayons d’être vrai et aimant de tout notre cœur, de toute
notre force et de toute notre intelligence. Dieu, qui ne commande rien, Dieu
au cœur de notre humanité. Dieu que, au fond, nous ne savons pas
nommer mais que nous essayons d’accueillir et de prier.