Du
Souffle à en revendre…
Étrange entrée en célébration… Il
y a de ces dimanches où on entend toutes sortes d’accents prophétiques.
La lettre de s. Jacques « sur les gens riches et leurs richesses » a
certainement de quoi nous faire réagir. En entendant ce passage, un
membre de l’équipe avec qui on préparait cette célébration
s’est demandé : est-ce que, à quelque part, on ne se reconnaît
pas sur la « photo »?
Quels liens établir entre le passage de la lettre de s. Jacques, le
chant que nous venons de chanter avec tant de cœur, qui est un appel à l’Esprit
pour renouveler le monde, notre monde, et le récit du livre des Nombres?
L’extrait de la lettre de s. Jacques peut nous paraître excessif.
N’y a-t-il pas des moments dans nos vies où l’on a l’impression
que trop de gens ne pensent qu’à eux, plutôt que de s’ouvrir
aux autres, pour partager, et non pour amasser, pour pratiquer la justice… Il
y a des jours, - pas nécessairement besoin de se sentir déprimés
ou désespérés - où le versant de notre espérance
nous invite à regarder la situation bien en face, comme le fait s. Jacques.
On se demande alors : où est l’humanité neuve,
vivante, que Dieu est en train de faire naître? Comment est-ce
que j’y participe?
Ce sont alors des moments où nous sentons que nous avons besoin de
souffle pour vivre et faire vivre, où on se prend à souhaiter,
ou à chanter ensemble : « Voici venir l’Esprit
qui renouvelle la face de la terre, pour un monde nouveau… »
Et le passage du livre des Nombres raconte que Dieu « avait pris une
part de l’Esprit qui reposait sur Moïse pour le mettre sur les soixante-dix
anciens » qui représentaient le peuple. Ils se mirent à prophétiser.
Or deux hommes qui étaient hors du camp se mirent eux aussi à prophétiser,
sans avoir eu l’autorisation. Un jeune homme courut les dénoncer à Moïse.
Et celui-ci répondit : « Ah! Si le Seigneur pouvait
faire de tout son peuple un peuple de prophètes ». Le passage
du livre des Nombres nous rappelle que Dieu ne donne pas son Esprit seulement à Moïse,
ni seulement à ceux qui sont dans la tente, mais son désir est
que son Esprit repose sur tous et chacun. Il veut faire de son peuple, donc
de nous, un peuple de prophètes. Il y a toutes sortes de prophètes. Il
y en a qui ont de bonnes voix, capables de parler, des éveilleurs
quoi…; il y en a qui voient clair et qui sont capables d’agir
aussi et d’entraîner les autres. Il y a des prophètes plus
discrets : je pense à Élisabeth lors de sa rencontre avec
Marie. Elle a prophétisé. Dieu donne à chacune et à chacun
l’Esprit pour créer l’avenir, cette nouveauté du
monde. En un mot : faire de tous les gens de bonne volonté des
prophètes.
On ne peut pas enfermer l’Esprit. Il souffle où il veut.
Il cherche la multitude et l’intime de chaque cœur. Dieu est pénétrant.
Comme la lumière. Dieu est initiative, invention, imagination. Il va
vers tous, vers ceux et celles qui ne sont pas sous la tente…
Depuis Moïse, et des siècles plus tard, les disciples
de Jésus ont la même réaction qu’au temps de Moïse;
ils se pensent eux aussi les propriétaires de l’Esprit. Écoutons
le passage de l’Évangile selon Marc :
Jean, l’un des Douze, disait à Jésus :
« Maître, nous avons vu quelqu’un
chasser
des esprits mauvais en ton nom;
nous avons voulu
l’en empêcher,
car il n’est pas de ceux qui nous suivent. »
Jésus répondit :
« Ne l’empêchez
pas,
car celui qui fait un miracle en mon nom
ne
peut pas, aussitôt après, mal parler
de moi;
celui qui n’est pas contre nous
est pour nous.
Le don de l’Esprit est offert à tous. Nul ne peut lui fixer
de limites. Il est souvent là où on ne l’attend pas. Il
surprend, il bouscule, il appelle en avant. Il veut rassembler, construire,
faire grandir l’amour. Il met en chacune et chacun la force qui vient
de Dieu. Le Souffle, on ne peut pas l’arrêter, on ne peut pas dire :
il est là, il n’est pas là, il est dans l’Église,
il n’est pas dans l’Église. Il importe de le laisser nous
atteindre.
On ne peut pas dire que ce sont les responsables de l’Église
qui l’ont et que les autres ne l’ont pas. Il est partout, dans
les endroits, souvent, les moins « catholiques » qu’on
puisse imaginer. Cela, c’est déroutant pour certains responsables
en Église qui ont parfois tendance à se croire les propriétaires
du spirituel. L’Église de J.-C. c’est quoi? C’est
une expérience d’un monde neuf qui est en train d’arriver,
auquel travaillent Dieu et ses enfants, i.e. nous, là où nous
sommes, là où nous vivons. L’Église, c’est
le lieu du souvenir du Nom de Jésus.
Ne sommes-nous pas alors en plein travail d’évangélisation? Évangéliser
c’est entrer et travailler dans cet espace nouveau en train de naître… Cela
suppose qu’on ait des yeux pour voir, une voix pour parler et des
mains pour agir. L’amour des autres fait partie de la foi. Voilà ce
que Jésus attend de ses disciples : ouvrir son Nom le plus largement
possible.
On a besoin de toutes les personnes et les groupes qui ont du souffle, croyants
et non croyants, ou d’autres religions, lorsque que chacun est habité par
le Souffle. Une Église qui ouvre les fenêtres et qui est capable
d’établir des liens avec des gens qui soufflent le neuf. Le Souffle
nous met au service et ne donne aucun pouvoir sur les autres.
Participer à l’eucharistie, c’est se rappeler que nous
sommes appelés, à continuer ou à reprendre la route dans
le souvenir et l’esprit de Jésus. On peut entendre des paroles
comme celles de s. Jacques; on peut chanter notre appel à l’Esprit,
on peut s’interroger sur le sens de l’Esprit. Tout cela pour nous
poser la question : qu’est que l’Esprit inspire que je fasse maintenant
pour la société et dans la société? Tout n’a
pas été dit par Jésus, c’est à nous de continuer… Son
souffle est avec nous. L’eucharistie, c’est d’accueillir
le souffle de Jésus. Dans un geste si simple : prendre un peu de pain
et de vin et penser à l’autre. S’il fallait encore le découvrir,
n’est-ce pas un geste et un moment prophétique? À nous
d’y répondre.