Tout
pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre…
Ce sont les dernières lignes de l'évangile
de Mathieu, et les dernières paroles de Jésus.
Prosternés devant leur maître ressuscité,
les disciples entendent cette invitation : allez baptiser toutes les
nations et apprenez-leur à garder mes commandements. Je suis à vos
côtés, de votre côté, avec ma toute-puissance.
L'histoire atteste que l'entreprise a eu en effet
un grand succès, pendant de nombreux siècles, à tous
les coins de la terre, malgré la compétition d'autres ferveurs
de conversion nourries par d'autres certitudes : Allah, entre autres,
est grand lui aussi!
Pour me rendre confortable avec ce fragment d'évangile,
je me suis demandé comment les disciples, à l'époque,
avaient pu comprendre cette invitation.
Remarquons d'abord que les disciples, terrés à Jérusalem
depuis la mort de Jésus, ont été invités à retourner
dans leur Galilée natale : L'Ange du Seigneur avait dit :
'Il est ressuscité, il vous précède en Galilée'.
La Galilée, terre de leurs racines, lieu de la prédication
de Jésus et lieu de leur éducation dans la Foi.
Peu d'années auparavant, au bord du lac,
Jésus leur avait proposé : 'Suivez-moi, je ferai de vous
des pêcheurs d'hommes' et ils l'avaient suivi sans comprendre. Cette
fois encore, Jésus vient à eux, avec la même simplicité,
pour les inviter à se remettre en marche, en partant de ce qu'ils
sont, et enrichis cette fois de toute l'expérience de leur amitié avec
Jésus et surtout de l'éclairage de la résurrection.
Soudain, le message : 'je suis le chemin'
vient, pour eux, de prendre son sens.
Pendant ces quelques années en sa compagnie,
les disciples ont vu comment Jésus se comporte, se compromet, pardonne
et guérit. Oui, Jésus a pratiqué l'amour au-delà du
souci de sa vie, et l'amour s'est révélé plus fort que
la mort même. Le chemin du don de soi a mené à la résurrection
et à l'intimité de Dieu.
Quant à ce pouvoir qu'évoque Jésus,
quelle est sa nature ? Les disciples, eux, ne peuvent pas faire de contresens,
ils ont vu leur maître faible, humble, trahi, condamné. Le pouvoir
dérisoire et grandiose dont il s'agit, c'est celui de guérir
les blessures qui défigurent l'humain, c'est celui de compléter,
de proche en proche, l'oeuvre de la création pour la rendre agréable à Dieu.
Les disciples se sentent donc invités à établir
des communautés de disciples qui, entre eux referaient mémoire
de Jésus et tenteraient de vivre selon le grand commandement : l'amour
des uns envers les autres pour continuer d'humaniser le monde, à la
manière de Jésus.
Invités à faire des disciples dans
toutes les nations, ils comprennent aussi que la Bonne Nouvelle de l'amour
tout puissant transcende toutes les cultures et toutes les langues. C'est
une Bonne Nouvelle qui répond à leur espérance profonde,
et aussi à celle de tous les humains.
Au coeur de l'humain, en effet, il y a cette
attente d'être aimé et pardonné de façon inconditionnelle,
personnelle, dans tout son être et pour toujours. Il y a comme une
image qui se construit d'un absolu d'amour dans lequel on aimerait être
plongé et vers lequel on voudrait tendre. Cette image de Dieu, élaborée à partir
des attentes humaines, Jésus leur a révèlé qu'elle
est vraie, qu'aller à la rencontre de ce Dieu-là nous libère
et nous accomplit.
Les premiers Apôtres l'ont compris ainsi
et, dans sa lettre à la première communauté de disciples
de Rome, Paul écrit : 'L'Esprit-Saint lui-même confirme à notre
esprit que nous sommes enfants de Dieu'.
Voici le passage, qui est la deuxième
lecture de cette fête de la Trinité :
Tous ceux qui se laissent conduire par l'Esprit
de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. L'Esprit que vous avez reçu
ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur ; c'est
un Esprit qui fait de vous des fils; poussés par cet Esprit, nous
crions vers le Père en l'appelant familièrement : « Abba! »
C'est donc l'Esprit Saint lui-même qui
affirme à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Puisque
nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers; héritiers
de Dieu, frères dans le Christ, si nous souffrons avec lui pour être
avec lui dans la gloire.
Quelques mots encore sur cette dernière
phrase et sur l'exigence de la souffrance.
'Héritiers avec le Christ à condition
de souffrir avec lui' dit Paul.
Disons plutôt à condition de faire
route avec lui, à condition que, nous aussi, scandalisés par
l'injustice, nous prenions le parti des pauvres, nous aidions l'exclu à reprendre
sa place, à condition que nous pardonnions, que nous renoncions au
pouvoir, à condition que nos communautés de croyants vivent
les valeurs évangéliques.
Ce chemin-là, sur les pas du Christ, n'est
pas facile, on y rencontre des joies et des résurrections, mais aussi
le mépris et la violence.
Ce chemin d'ombre et de lumière, que nous
inspire l'Esprit, Dieu, dans sa toute-impuissance, dans sa toute-humilité,
le parcourt avec nous. Comme une mère, comme un père, il le
souffre avec nous.
Denis Tesson