Je dois
vous faire une confidence au début de cette homélie : il
me fait plaisir d’avoir à préparer une homélie du
temps pascal qui part du portrait du bon pasteur plutôt que d’un
récit d’apparition de Jésus. Pour parler de la résurrection,
de Jésus ou éventuellement de la nôtre, on part en effet
très souvent de ces récits d’apparition qui essaient de
nous donner une idée de ce qui se passe après la mort. Comme
si la résurrection offerte par Jésus ne concernait que la vie
après la mort et n’avait pas d’importance ni de signification
pour notre vie actuelle. Avec le portrait du bon pasteur, on est encore du
bon côté du gazon, comme me disait un ami et cela nous invite à comprendre
la pâque de Jésus dans sa signification pour notre aujourd’hui.
Mais vous
m’objecterez tout de suite que je fais fausse route et que le récit
du bon pasteur n’a pas été conçu pour nous instruire
sur la résurrection, mais pour nous montrer comment Jésus s’occupe
de chacun et chacune d’entre nous. À la limite, ce récit
n’a rien à voir avec la pâque de Jésus et je me trompe
sérieusement en voulant y découvrir un peu de ce que signifie
ressusciter pour nous.
À mon
tour, de formuler une objection à cette lecture et de faire remarquer
que le récit de ce matin se termine avec les propos de Jésus
sur le don de sa vie. Le bon pasteur est celui qui donne sa vie pour ses brebis
et Jésus de continuer en ajoutant que « sa vie personne ne
la lui enlève, mais que c’est lui qui l’offre librement ».
Il me semble que nous sommes bien au cœur du mystère pascal, au
cœur de cet échange merveilleux où Jésus offre sa
vie terrestre pour accéder, et nous faire accéder à une
vie qui ne passe plus.
Dans ce
contexte, il me semble que nous sommes autorisés à comprendre
le récit du bon pasteur comme un récit authentiquement pascal,
qui nous dit quelque chose de particulier sur le sens de ce qui est arrivé à Jésus
dans sa mort résurrection. Le bon pasteur œuvre en effet
pour un troupeau tout à fait terrestre. C’est dans notre monde
que son action se passe et cela nous le comprenons, que nous ayons vu ou pas
des pasteurs dans notre vie. L’image parle d’elle-même et
il n’est pas nécessaire d’avoir connu personnellement l’attachement
d’un pasteur pour ses brebis pour comprendre ce que cela peut signifier.
Cet attachement
du pasteur pour ses brebis n’est toutefois pas que l’écho
d’un cours qu’on aurait pu entendre à l’école
vétérinaire de Saint-Hyacinthe. Parce que ce récit parle
aussi des raisons pour lesquelles le bon pasteur donne sa vie, des raisons
pour lesquelles Jésus a offert sa vie pour nous, l’attachement
du bon pasteur pour ses brebis nous dit aussi que la résurrection apportée
par Jésus concerne notre vie actuelle, notre vie de tous les jours.
J’aurais
le goût d’illustrer cela à même le récit de
guérison lu dans les Actes des apôtres, ce matin. Quand Pierre
est amené à s’expliquer pour son geste de guérison à l’égard
d’un paralytique, il se contente de dire qu’il a fait cela au nom
du Christ ressuscité. En d’autres mots, Pierre dit à sa
manière qu’un des fruits de la résurrection de Jésus
est de lui permettre aujourd’hui de guérir quelqu’un qui
est de ce côté ci de la mort. On peut difficilement dire plus
clairement que les fruits de la résurrection de Jésus sont déjà à notre
disposition dans notre vie terrestre et qu’ils ne concernent pas que
la vie après la mort.
Comment
se fait-il alors que cela ne soit pas plus visible et que l’on continue
de penser à la résurrection comme d’une réalité d’après
la mort? Serait-ce que nous avons de la difficulté à nous convaincre
que Jésus nous a donné accès à cette vie qui ne
passe plus? Serait-ce que nous n’osons pas accueillir cette vie offerte
pas Jésus, que nos yeux sont fermés à sa fécondité et
que nous préférons tout remettre après la mort? Serait-ce
finalement que nous faisons obstacle au travail de cette vie dans la nôtre
et que nous refusons de vivre en ressuscités?
C’est
Nietzsche, je crois, qui a dit qu’il n’y a eu qu’un vrai
chrétien dans l’histoire et qu’il en est mort. En admettant
que le philosophe allemand avait le don pour les formules percutantes et qu’il
ne craignait pas de provoquer par ses affirmations fracassantes, on peut retenir
de sa phrase une invitation à nous interroger sur la conviction que
nous mettons à vivre de la vie offerte dans et par la résurrection
de Jésus. Qu’est-ce que nous attendons pour faire une place à la
résurrection dans notre vie?
Et je ne
suis pas le seul à suggérer que la résurrection devrait
déjà porter des fruits dans notre vie de tous les jours. L’évangéliste
Jean le dit ailleurs et encore plus clairement que dans le récit de
ce matin. L’apôtre Paul affirme de son côté : « Ressuscités,
vous l’êtes déjà… »
Peut-être
faudrait-il nous remettre à réfléchir sur le portrait
du bon pasteur. Il nous apparaîtrait sans doute plus clairement qu’un
pasteur qui va jusqu’à donner sa vie pour ses brebis doit bien
le faire pour leur communiquer quelque chose qui en vaut la peine. En sortant
un peu des images idylliques du pasteur qui porte son petit mouton sur ses épaules
comme Brigitte Bardot rêve de porter un bébé phoque, en
pensant davantage au don de sa vie que le bon pasteur consent de faire, serions-nous
plus à même de comprendre que Jésus nous donne déjà accès à une
vie sans fin, à sa vie?
Cela n’est
pas évident et il y a tellement d’événements et
de circonstances qui donnent à notre vie un goût de mort qu’il
n’est pas facile de nous convaincre que nous sommes déjà ressuscités.
N’est-ce pas oublier que pour Jésus le chemin de la résurrection
est passé par la mort et que dans notre cas aussi la résurrection
s’accompagne de cette réalité. Contrairement aux propos
de certains curés qui, dans leurs homélies de funérailles,
effacent du revers de la main la réalité de la mort « qui
a été anéantie par la résurrection », il nous
faut découvrir notre état de ressuscités dans notre vie
mortelle. La résurrection n’est pas un raccourci pour éviter
la mort, mais l’ouverture à une vie féconde au-delà de
la mort. En tout cas, c’est la conviction qui semble être celle
du bon pasteur qui donne sa vie pour que ses brebis vivent en abondance…