Dès l'aube, le premier jour de la semaine, des femmes — disciples de Jésus qui avaient foi en Lui en leur espérance — se rendent à un tombeau pour y embaumer avec respect et tendresse le corps inerte de leur maître, bel et bien mort. Mais, pour ce faire, se demandent-elles, qui allait bien pouvoir rouler l'immense pierre qui bloquait l'entrée du tombeau? Première stupéfaction : on a déjà roulé la pierre, puis, à peine entrées, elles s'enfuient du tombeau en l'ayant découvert — seconde stupéfaction! — vide de cadavre. Il y avait de quoi s'enfuir en tremblant.

Que serait-il arrivé, en effet, si les femmes avaient trouvé, comme il eût été normal, un cadavre? Pour elles, les premières, leurs vies, puis les nôtres dans leur sillage, auraient été moins perturbées.

Mais, ce qui n'arrange rien, et ajoute même à notre désarroi de lecteur de Marc, c'est de savoir que dans certains manuscrits des plus originaux, la découverte du tombeau vide constituait la fin même de son écrit. Autrement dit, sa relation évangélique s'arrêtait là abruptement. Bien sûr d'autres éditions parallèles ou subséquentes n'ont-elles pas tardé à annexer des récits d'apparition du crucifié-ressuscité comme les autres évangélistes. Si bien que des éditions françaises ont cru bon de placer des points de suspension après les derniers mots : « elles ne dirent rien car elles avaient peur… » Dans la logique d'un tombeau où manque un cadavre, il fallait terminer par trois points de suspension pour signifier que le récit reste ouvert, que l'histoire va se prolonger et aura des rebondissements. Mais en même temps le récit dit tellement peu à nos yeux avides de constater de visu une résurrection : à peine un indice, un signe pour la foi… Elles ont peur parce qu'elles sont concernées par la disparition de la dépouille de leur maître, d'autant plus qu'un mystérieux jeune homme leur assure qu'il a été ressuscité, donc pas ici, mais là-bas, les précédant en Galilée.

L'absence corporelle de Jésus continue toujours d'interpeller ses disciples : qu'est-ce à dire « avoir été ressuscité »? et nous, ses disciples — membres vivants du corps ressuscité du Christ — sommes-nous de quelque manière ressuscités, bénéficiaires d'une résurgence nouvelle et éternelle du Christ? Donc capables par un supplément d'âme de donner vie à quelque chose, de redonner vie à quelqu'un dans le présent de nos vies quotidiennes! Ou bien « attentistes », n'attendons-nous pas plutôt la résurrection-au-dernier-jour, dans un au-delà de la mort? Mais attendre ainsi, c'est peine perdue puisque la résurrection est commencée en Jésus, et à sa suite en nous en espérance, sinon « vaine serait notre foi ».

D'où la vraie question : Ai-je déjà fait l'expérience d'une résurrection? Est-ce que quelqu'un m'a assez reconnu dans l'amour pour que j'en sois ressuscité, transfiguré? M'est-il arrivé d'être pardonné et accueilli au point d'en éprouver une joie que ne connaîtra jamais, dans son innocence le frère aîné du « fils prodigue ».

À bien y penser, nous ne pouvons croire à la résurrection — y comprise la nôtre — que parce que nous en avons l'expérience en quelque sorte à travers des signes avant-coureurs. À cause de multiples résurrections manifestes, je crois qu'il y a une force de résurrection à l'œuvre dans le monde. Si bien que nous pouvons nous dire sans nous tromper ni nous leurrer : ma « vie éternelle » de ressuscité est commencée et c'est en espérance que je crois qu'elle atteindra sa plénitude. Notre pierre d'achoppement, ce serait de croire à une vie future comme un démenti de la vie présente. Me revient devant les yeux un graffiti sur un mur du Plateau-Mont-Royal qui posait la vraie question : Y a-t-il une vie avant la mort? et non pas « après » comme on s'y attendrait. D'autres avant nous l'ont dit : la religion de la vie future, c'est de l'opium! La vie nouvelle se conjugue au présent et consiste à établir des relations telles avec les autres et par conséquent avec Dieu, qu'elles pourraient durer toujours, et se bonifier sans cesse comme un vin nouveau. La question du Jour de cette nuit pascale : À la lumière de la Résurrection, ai-je connu dans ma vie quelque chose d'assez grand, d'assez beau et fécond pour que je souhaite l'éterniser, lui donner un accomplissement plénier. Si nous n'avons rien à éterniser, pourquoi y aurait-il une éternité? « La Foi et l'Espérance passeront, dit Paul, seul l'Amour ne peut être dépassé ».

Les témoins de sa résurrection l'ont reconnu aux signes d'amour manifestes qu'il leur donnait : présence, partage et pardon. Aussi se disaient-ils : Ce ne peut être que Lui. Il n'y a que lui pour être comme cala, ressuscité de son vivant, si j'ose dire!

Ils l'ont reconnu parce qu'il était tellement plus semblable à lui-même qu'il ne l'avait jamais été pour leur plus grande joie!