Ces
vendeurs du Temple, qui sont-ils?
Il est rare qu’un événement de la vie de Jésus,
mis à part celui de sa mort et de sa résurrection, se retrouve
raconté chez les quatre évangélistes. Le récit
qu’on vient d’entendre est de ceux-là.
Si on avait encore quelques hésitations sur le fait
que Jésus était
pleinement humain, ce récit d’une colère mémorable
devrait aider à les faire tomber. Comment accueillir ce récit
ce midi? Quel sens peut avoir cette immense colère de Jésus dans
le contexte religieux et multi religieux qui est le nôtre? Un contexte
où les dissidences, souvent justifiées à l’interne
de notre Église, sont assez mal reçues. Contexte religieux mondial
où il y a du meilleur, mais où la violence n’est jamais
loin, violence regrettable et qui tue des êtres humains soit-disant au
nom de Dieu, quel que soit le nom qu’on lui donne. Violence qui
peut aller jusqu’à tuer aussi notre goût et notre désir
de Dieu. Que de « vendeurs du Temple » encore aujourd’hui
qui trafiquent la vie et veulent contrôler notre relation à Dieu! Où est
la gratuité? Où se loge la liberté de l’amour?
L’horizon de notre carême porte une interrogation
sur la qualité de
notre expérience de foi : vers une foi plus humaine, une foi qui
a des mains, comme le reflète ce visuel devant nous. On ne pourra pas
dire que le récit qu’on a entendu ne vient pas à point.
Jésus a des mains… Il se fabrique même un fouet… Comme
on dirait ici : il fait un grand ménage. Le récit de Jean
est tellement bien construit qu’on a même l’impression
d’entendre les bruits de tables et des comptoirs renversés, de
la monnaie qui tombe sur le plancher du parvis du Temple. « Détruisez
ce Temple, et en trois jours je le relèverai… » Sont-ce
là paroles d’un exalté? De quelqu’un qui délire?
Comment pourrait-il renverser immédiatement cet édifice si imposant?
Et autour de lui, on le tourne en dérision. On a du mal à croire
que c’est le même Jésus qui a dit un jour : « Heureux
les doux… ». Et pourtant oui, c’est bien le même.
Le Temple, bien des prophètes avant Jésus avait prédit
qu’il serait restauré par le Messie et qu’il serait ouvert à tous
les peuples, à tous les humains. Le Temple nouveau, radicalement nouveau,
dont Jésus parle, c’est celui de la Vie. Il évoque sa résurrection à venir.
Le Temple, c’est le cœur et le corps de chacune et chacun. Dieu
est maintenant partout. On peut le rechercher là où est la vie,
là où les humains sont ouverts les uns aux autres et ouverts à Dieu.
C’est la fin d’une façon d’emprisonner Dieu dans des
demeures, fussent-elles les plus sacrées. Il fait de nous son corps.
Il a fait de cette humanité, le nouveau Temple de Dieu.
Parce que Jésus s’attaque à tout ce système
qui permet qu’on vende et achète des animaux pour offrir des sacrifices,
il s’attaque donc au culte lui-même. Et en cela, son geste est
très radical. Le véritable sacrifice, c’est l’offrande
de sa vie. Jésus voulait vivre et souhaitait que nous vivions sans être
obligés de passer à travers tous ces parvis encombrés,
où on nous vend toutes sortes de choses pour pouvoir accéder à Dieu
et à nous-mêmes. Il veut que nous restions ouverts à la
vie, à la nouveauté, ce que certaines traditions religieuses
aujourd’hui ont tellement de difficultés à vivre et à proposer.
Le salut est une question de vie et non d’idéologie : on
ne tue pas pour Dieu, on vit pour Dieu et on fait vivre pour Dieu. Seul
l’amour ouvre à la vie, tout le reste n’est qu’enfermement.
La violence qui s’exprime dans le geste de Jésus n’est
donc rien d’autre que la violence contre toute forme d’idolâtrie
et de perversion. Jésus est capable de cette audace, de cette fragilité aussi
qui a besoin de la présence de l’autre. Et pourtant, d’un
bout à l’autre de l’Évangile, il s’impose,
dans cette humanité en tout point semblable à la nôtre,
comme le sentiment d’un ailleurs mystérieux. Cela ne pourra s’éclairer
vraiment qu’après le bouleversant événement du matin
de Pâques où alors tout sera relu et tout sera compris sous une
autre lumière. C’est ce que nous faisons à même nos
vies et nos engagements et encore dans chacune de nos célébrations.
Alors, ces vendeurs du Temple, qui sont-ils? Peut-être
ceux et celles qui occupent la maison de Dieu pour en faire une entreprise
de culpabilisation, de peur et de mauvaise conscience. Les personnes et les
groupes qui font de la maison de prière, du bonheur de l’amitié fraternelle,
de la simplicité évangélique, un lieu rigide de piété glacée.
Cette manière de vivre, ce Temple autant le détruire tout
de suite, en sachant qu’en trois jours, Jésus est capable de le
relever pour en faire un corps ressuscité. En effet, le vrai Temple,
c’est son corps, ce corps fraternel dans lequel nous sommes les membres,
unis dans l’Esprit.
Alors que faisons-nous ici ce midi dans cette église? Nous faisons mémoire
de cette vie donnée, de ce parcours de vie de Jésus qui a voulu
renverser une relation, une relation qui ne s’achète pas.
Que faisons-nous dans cette église? Dans le souvenir
des faits et gestes de Jésus, vérifier notre qualité de
vie et d’engagement;
revoir ce nouveau visage de gratuité absolue que Jésus a révélé.
C’est de nous ouvrir à Dieu et à l’autre dont il
s’agit. S. Augustin disait : « Nous ne prions pas Dieu
pour l’instruire, mais pour nous construire ».
Que faisons-nous dans cette église? Nous partageons
un même pain
et un même vin pour nous redire notre faim de Dieu et que l’autre
me manque, que Dieu me désire. Ce geste de prendre un petit morceau
de pain et un peu de vin dit la gratuité et le désir de l’autre
et de Dieu et que ce n’est pas un rituel d’obligation, mais d’apprentissage à la
liberté. Cela instaure une relation avec Dieu, mais qui demande que
la relation entre nous soit vive. C’est nous dire que le corps du Christ
est maintenant à construire avec chacune et chacun de nous. Le geste
de l’eucharistie n’est pas d’abord un rituel; il est un moment
de mémoire, de vie, de notre vie, de communion, un moment où on
refait et redit ouverture à Dieu et aux autres. Cela n’est pas
violence, cela est regard et geste amoureux.
La purification du Temple, ce n’est pas seulement un événement
du passé; c’est pour aujourd’hui et demain. À nous
de rester vigilants!