La patience de Dieu
De la lecture des trois textes qui nous sont proposés pour la liturgie
de ce premier dimanche du carême, j’ai retenu, parmi plusieurs
autres, une seule idée qui me semble suffisamment riche pour en tirer
la « substantielle moelle » commedirait Rabelais et nourrir
notre réflexion. Cette idée est celle que j’appellerai « la
patience de Dieu ».
Nous avons tous expérimenté, à une occasion ou l’autre,
les limites de notre patience mais, ce que ces textes nous apprennent, c’est
que la patience de Dieu semble n’en avoir aucune. En effet, lorsqu’on
lit l’histoire des nombreuses tentatives de Dieu pour entrer en contact
avec les humains, afin de se faire reconnaître et d’établir
avec eux une alliance de fidélité, on constate que sa patience
a été souvent mise à rude épreuve et qu’elle
le demeure, malgré la venue de Jésus qui a témoigné,
par sa vie et sa mort, de la réalité du mystère de Dieu
qui l’habitait.
Dans le jardin des origines, on raconte que Dieu a permis à l’homme
et à la femme de choisir entre le bien et le mal en donnant au serpent
le pouvoir de les tenter. On connaît la suite de l’histoire, mais
ce qu’on retient surtout, c’est la malédiction de Dieu qui
est tombée alors sur tous les humains et ce jusqu’à ce
que Dieu décide de leur donner une chance de se sauver en concluant
une première alliance avec Noé. Et Dieu dit à Noé : « Voici
que j’établis mon alliance avec vous et avec tous les êtres
vivants autour de vous pour toutes les générations à venir ».
On aurait pu penser qu’à la suite d’un tel engagement de
la part de Dieu, tout allait dorénavant aller pour le mieux sur la terre
et que les humains se seraient conformés avec bonheur aux termes de
cette alliance. Mais, c’était compter sans l’obstination
des humains et Dieu a du se résoudre à intervenir, de nouveau,
en proposant à Abraham une seconde alliance par laquelle il lui promettait
d’en faire le « père » d’une foule
de nations et lui donnerait en héritage le pays de Canaan. Cette alliance,
elle aussi, devait être perpétuelle.
Mais, il faut croire que les humains on bien du mal à s’engager
de façon perpétuelle, puisque Dieu, a décidé de
revenir à la charge en libérant son peuple tombé sous
le joug du Pharaon, lui proposant ainsi une troisième alliance qu’il
a pris la peine de renforcer, cette fois, en promulguant, par l’intermédiaire
de Moïse, les tables de la Loi. Peine perdue, puisque ces tables seront
vite brisées et cassées par l’entêtement et l’aveuglement
des humains.
On pourrait se demander, à bon droit, qui est ce Dieu qui conclut des
alliances soi-disant éternelles ou perpétuelles et qui durent à peine
quelques générations? Difficile de répondre à une
telle question. Le « mystère de Dieu » demeure
et demeurera toujours de l’ordre de la question. Peut-être est-il
plus facile de se demander qui sont ces humains qui refusent de se laisser
interroger par ce « mystère de Dieu »? Il faut
bien admettre que nous n’avons pas « les oreilles pour entendre » et
que nous avons bien du mal à nous engager dans une relation aussi mystérieuse.
Il apparaît raisonnable aussi de penser qu’après toutes
ces tentatives de la part de Dieu de se rapprocher de ses créatures,
il aurait mieux fait de les abandonner à leur triste sort, plutôt
que de continuer d’exercer sa patience ou, comme dit si bien Pierre dans
la deuxième lecture, de « prolonger sa patience »?
Jusqu’où Dieu allait-il prolonger sa patience? N’avait-elle
pas atteint sa limite? C’était, encore là, se buter au « mystère
de Dieu ». Il faut bien reconnaître qu’il nous est impossible
de comprendre la pédagogie divine, de saisir les dessins de Dieu sur
l’humanité. Car, comment Dieu réagit-il devant autant d’ignorance
et de refus de la part des humains? Il n’hésite pas à envoyer
celui qui, dans la personne de Jésus, va le révéler, par
sa vie et sa mort, de la façon la plus intime et la plus complète.
Par Jésus, nous voilà convoqués à établir
une toute nouvelle alliance avec Dieu, alliance qui permettra à chaque
personne humaine d’être « introduite devant Dieu ».
N’est-ce pas là une belle expression qu’utilise Pierre : « introduire
les humains devant Dieu ». Dans notre société, si
quelqu’un veut rencontrer un grand personnage, que ce soit le pape ou
un premier ministre, il aura besoin d’être introduit. Mais pour
nous, chrétiens, qui peut le mieux nous introduire devant Dieu? Nul
autre que Jésus, le plus humain des humains qui connaît mieux
que quiconque Dieu, puisque c’est lui qui, par ses paroles et ses actes,
en a le mieux témoigné.
Et comment peut s’opérer cette introduction des humains devant
Dieu? L’évangile nous donne la réponse. Par le baptême
auquel Jésus se soumet le premier. C’est-à-dire par ce
baptême qui est signe par excellence d’un engagement d’une
adhésion de foi au mystère de Dieu. Puis, à la suite de
Jésus, inspirés par sa Bonne Nouvelle et conscients des difficultés
qui nous attendent tout au long de notre route, nous entreprenons ce long et
difficile processus de reconnaissance et de conversion. Cette reconnaissance
et cette conversion tant attendues par Dieu depuis la création du monde,
cette reconnaissance et cette conversion tant espérées à travers
toutes ces alliances rompues et renouées.
À l’exemple de Jésus qui après avoir été baptisé est
emporté au désert par l’Esprit pour y être tenté et
repousser le démon, peut-être pouvons-nous, nous aussi, pendant
cette période du carême, ne pas nous laisser envahir par nos préoccupations
quotidiennes, afin de ne pas tenter davantage la patience de Dieu, et prendre
le temps de nous laisser pénétrer par le mystère de Dieu.
Cette Bonne Nouvelle que Jésus nous annonce et qu’il veut partager
avec nous, puissions-nous nous l’approprier et lui donner sens. Laissons-nous
guider par elle pour se reconnaître d’abord comme des croyants
en Dieu, c’est-à-dire, des humains qui décident, en toute
liberté, de donner chair, comme Jésus, jusqu’à la
limite de leur humanité, au désir de Dieu.