« Où est l’erreur? »
J’aurais
presque le goût de commencer cette homélie en vous posant la question
qu’on soulève parfois devant des photos ou des récits : « Où est
l’erreur? » Vous me direz qu’il faut pas mal d’audace
pour parler ainsi au sujet de l’évangile, mais je vous explique
tout de suite mes raisons de le faire.
Non ce
n’est pas les propos sur la belle-mère de Pierre qui me posent
question, mais plutôt l’ensemble de l’épisode entendu
ce matin. Vous voyez la scène. Jésus est en mode guérison,
comme on dirait aujourd’hui. Il guérit tout ce qu’on lui
présente, malades, démoniaques et même la belle-mère
de Pierre, pourtant pas encore choisi comme le premier des disciples. Et, surprise,
c’est lui, Jésus, qui se retire pour prier. Il me semble que l’évangéliste
Marc aurait dû parler plutôt de toutes ces personnes qui priaient Jésus
de les guérir. Au lieu de cela, il parle de Jésus qui se retire
pour prier avant même le lever du soleil, au moment où il fait
encore noir. En plus, habituellement c’est Luc qui parle de la prière
de Jésus et qui lui ménage des temps d’entretiens avec
son Père. Qu’est-ce qui se passe ici et pourquoi Marc mentionne-t-il
la prière de Jésus?
Vous voyez
pourquoi je parlais d’erreur au départ. Apparemment, ce n’est
pas la bonne personne qui prie et en plus, ce n’est pas l’évangéliste
habituel qui fait mention de la prière de Jésus. Pourquoi? Si
Marc nous surprend par ses propos, il nous ménage quand même des
explications pour en rendre compte. Il ne nous tend pas de piège et
il ne veut pas épuiser notre patience. Au contraire, il nous explique
tout de suite de quoi il retourne : Jésus répond à ses
disciples qui viennent le déranger dans sa prière qu’il
doit aller dans les bourgs voisins pour proclamer l’Évangile,
car c’est pour cela qu’il est sorti.
On ne peut
pas être plus clair. Jésus revient de sa prière plus certain
que jamais sur sa mission. Il doit proclamer l’Évangile, c’est
pour cela qu’il est sorti. La manière inhabituelle de faire de
l’évangéliste Marc permet donc de mettre en évidence
une information très importante sur Jésus. Pour mieux comprendre
sa mission, pour mieux en saisir les exigences, pour trouver la force d’y être
fidèle, Jésus a éprouvé le besoin de se retirer
pour prier. Ses moments d’intimité avec son Père lui
ont permis de mieux saisir pourquoi il était sorti, pourquoi il avait été envoyé.
Deux conséquences
se dégagent de cet enseignement évangélique. Un premier
s’impose assez facilement. Si Jésus a eu besoin de prier pour
identifier sa mission et pour la mener jusqu’au bout dans la fidélité,
on devine qu’il doit bien en être de même pour nous. La prière
devrait nous servir à nous aussi à découvrir pourquoi
nous sommes sortis, pourquoi nous sommes envoyés et nous soutenir dans
nos efforts pour répondre aux appels qui nous sont adressés.
Pas nécessaire d’insister, la situation est claire et la conclusion
s’impose d’elle-même.
La deuxième
conséquence est moins évidente. Pour mieux la saisir, il faut
retourner au contexte de l’évangile de ce matin. D’une part,
on a le récit de multiples guérisons et exorcismes, d’autre
part, un intermède sur la prière et la mission. Pourquoi l’évangéliste
Marc a-t-il choisi de situer dans ce contexte de multiplication des guérisons
cette leçon sur les liens entre prière et mission? On aurait
pu imaginer un autre contexte pour un tel enseignement. Quand Jésus
va parler du Royaume, ou, encore mieux, quand il va les envoyer en mission,
on comprendrait qu’il leur parle de prier pour être à la
hauteur de cet envoi. Mais au cœur d’une sorte de vague de guérisons,
c’est plus surprenant, mais ça se comprend.
Dans ce
contexte de guérison, il y a deux éléments à considérer.
D’une part, on imagine l’insistance des personnes en attente de
guérison à s’approcher de Jésus et à lui
demander son intervention. D’autres épisodes évangéliques
nous montreront la foule presser Jésus et lui demander une intervention
miraculeuse. Mais il y a aussi, d’autre part, la réaction de Jésus
lui-même. Il devait se questionner sur ce qui lui arrivait. Comment se
faisait-il qu’il se découvre capable de guérir et d’exorciser?
On peut imaginer sa surprise, son étonnement et peut-être même
son angoisse. Qu’est-ce qui lui arrivait? Qui était-il en train
de devenir? L’évangéliste Marc, fidèle à sa
pratique de maintenir le secret messianique, insinue quelque chose en ce sens
quand il dit que Jésus ne laissait pas les démons exorcisés
parler, car eux savaient qui il était. Paul expose ses opinions sur
le sujet dans la première lecture de ce matin.
Confronté aux
maladies et aux misères de ses semblables, Jésus en vient à se
questionner sur lui-même. Qui suis-je? Pourquoi suis-je venu sur Terre?
Plus il guérit, plus il exorcise, plus il ressent le besoin de se retirer
pour prier, pour demander à son Père de l’éclairer
sur lui-même et sur sa mission.
Nous ne
sommes pas exactement confrontés aux mêmes questions que Jésus.
Rares parmi nous sont ceux qui guérissent miraculeusement ou qui se
livrent à des exorcismes, mais il y a des situations dans nos vies qui
peuvent nous faire vivre les mêmes questions que celles qui habitent
Jésus dans l’évangile du jour. La maladie grave, la nôtre
ou celle de nos proches, peut semer le doute sur nos certitudes à l’égard
de la vie, de la santé et de ce qu’elles attendent de nous? Mais
il y a aussi d’autres situations qui peuvent ébranler nos convictions
ou nos préjugés et nous questionner sur le sens de nos engagements
et sur notre façon de gérer notre vie. Il y a de ces questions
ou situations qui sont plus générales et dictées en quelque
sorte par l’opinion du jour : les enjeux écologiques, le
sort des femmes et des enfants, les luttes pour la justice et contre la pauvreté.
Mais d’autres sont plus personnelles et non moins percutantes :
relations avec un conjoint, un enfant ou un ami, exigences liées au
travail ou à la profession, et ainsi de suite.
Au long
de nos vies, les occasions ne manquent pas qui viennent ébranler nos
certitudes et nous questionner sur le sens de nos vies. Comme Jésus,
il nous faut passer par des temps de prière pour trouver notre voie
et la force de nous y maintenir. Avec Jésus, dans la célébration
communautaire de l’eucharistie, il nous faut apprendre à discerner
les appels et à trouver « pourquoi nous sommes sortis ».