Quand les cieux se déchirent…

«  C’est toi mon Fils bien-aimé… » Une parole de reconnaissance que nous avons entendu bien souvent. Et combien de fois au cours de sa vie, Jésus n’a-t-il pas entendu cette invitation d’Isaïe : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau! »? Au moment de son baptême, cette phrase lui est peut-être revenue à la mémoire : la soif de vivre; la soif de présenter un autre visage de Dieu à son peuple. 

Le baptême de Jésus a été un événement décisif dans sa vie, et une prise de conscience... La manière dont l’évangéliste Marc le raconte n’est certainement pas une description de ce qui s’est passé, mais beaucoup plus une présentation du sens de l’événement. Des images très fortes : le ciel qui se déchire, l’Esprit qui apparaît sous la forme d’une colombe, une voix qui se fait entendre. En se faisant baptiser avec plusieurs autres, Jésus veut exprimer par ce geste — et la voix le confirme — qu’il est solidaire de Dieu et solidaire du peuple, jusque dans son besoin de conversion. Et la conversion n’est-ce pas d’abord ce désir de s’ouvrir à Dieu et aux autres? Est-ce que Jésus n’avait pas besoin lui aussi de faire l’apprentissage comme nous tous, de s’ouvrir à Dieu et de se convertir et de consentir à sa mission? Et pourquoi pas? Je sais que c’est une question toujours à reprendre, mais elle est au cœur de notre foi.

À Noël, on a chanté sur tous les tons : Dieu s’est fait homme en Jésus. Au baptême, Jésus prend conscience du sens et de la direction que devra revêtir sa vie, son action. On le retrouve dans cette foule qui cherche,  en quête de pardon, et  qui l’exprime en se faisant baptiser. Il est de cette foule. Ne disons-nous pas qu’il a pris sur lui les péchés du monde? Si on avait encore quelques hésitations sur le fait qu’il était pleinement homme, tout en se révélant au fil des jours, au fil des années, le fils premier-né de Dieu, le geste qu’il pose en demandant le baptême de Jean, un baptême de conversion, devrait enlever nos dernières hésitations. Depuis ce jour du baptême de Jésus, le ciel n’est plus un lieu fermé. Par son baptême, Jésus s’ouvre à cette humanité nouvelle et à ce nouveau visage de Dieu. Le ciel  s’est déchiré… Le visage de Dieu est celui d’un Dieu définitivement et irréversiblement humain. C’est d’une foi humanisante dont il s’agit. En préparant cette homélie j’avais en tête et encore des images du film « Joyeux Noël ». Pour moi,  c’était un grand moment d’humanité au milieu de la guerre. Un moment où le ciel se déchire… Plusieurs ne l’ont pas saisi de la même façon.

La question que j’ai en tête et que je vous soumets : comment cette expérience du baptême de Jésus est-elle significative pour nous? Comment interpelle-t-elle nos vies? Nous avons, pour la très grande majorité d’entre nous, été baptisés très tôt après notre naissance. Ce fut un événement de famille, un regard et un désir portés sur nous, un événement pour les autres, un geste de tradition avec tout ce que cela porte de beau, de grand, mais aussi d’ambigu. La vie est ainsi faite. Mais dans nos choix de vie personnelle et dans notre manière de nous situer dans cette tradition de foi chrétienne, le sens de notre baptême ne nous est-il pas à certains moments remonté à la mémoire? N’avons-nous pas connu des moments dans nos vies où on a eu l’impression que le ciel s’ouvrait Je veux dire : n’a-t-on pas besoin aujourd’hui comme au temps de Jésus, comme de tout temps, des femmes et des hommes, des groupes inspirés  par Évangile qui sentent parfois que les cieux se déchirent pour entendre de nouveau cette voix, pour sentir et voir, telle une colombe, cet Esprit qui cherche à nous habiter?

Cet événement du baptême de Jésus signifie le début de quelque chose : oui, Dieu est vraiment venu habiter parmi nous. Il est avec nous lorsque l’humanité réussit jusqu’à  faire se déchirer le ciel. Et si Dieu est solidaire de nous; nous sommes solidaires de Dieu. Au baptême, toute la mise en scène décrite veut signifier l’action, disons la vocation de Jésus d’éveiller, de secouer tout un peuple. L’accès à Dieu est offert à toutes les personnes qui suivent le chemin qui remonte des berges du Jourdain. Une telle décision ouvre le ciel : c’est la reconnaissance, tel un matin de création.

Pour nous, qu’est-ce qui unifie notre vie et lui donne une direction? Quelles sont nos priorités? Y a-t-il des décisions qu’on a prise  ou qu’on  pourrait prendre  et qui ont pu déchirer le ciel; une occasion où  quelque chose s’est ouvert, quelque chose de nouveau s’est manifesté, quand nous avions soif de sens. De quelles manières Jésus a-t-il grandi depuis la nuit de sa naissance, nous demandait Denis Tesson? Et nous comment grandissons-nous? Quels rapports nos vies ont-elle avec l’Évangile? Jésus renverse, par son geste, l’idée qu’on se fait du salut. Le Messie n’est pas celui qui renverse les réalités de l’humanité; il ouvre l’humanité à ce qu’elle est appelée à devenir, à être. Et nous devons investir notre vie, notre foi dans les réalités humaines et éviter, sous prétexte de sauver notre foi, de passer à côté de certaines réalités.

Au souvenir de notre baptême, il y a probablement des décisions personnelles et communes que nous aurions à prendre pour donner à notre humanité encore plus de sens pour tous. Au  souvenir de notre baptême et de celui de Jésus, comment pourrions-nous marquer davantage la dimension sociale, humanitaire de notre société? Nous en faisons déjà beaucoup, il faut  le reconnaître, mais l’interrogation sur la qualité de notre foi engagée doit rester présente. Laisser en quelque sorte, le ciel ouvert, ne pas consentir, par notre manque de vigilance à le laisser se refermer.

Chaque fois que nous nous réunissons, que nous prenons du temps ensemble le dimanche et en d’autres occasions pour nous redire ces choses de multiples façons,  dans l’écoute, le chant, l’action de grâce et le partage significatif d’un peu de pain et d’un peu de vin en mémoire de lui, ce temps en est un, non de fermeture à la vie, mais d’ouverture, de réflexions sur ce que nous devons mener comme vie et pour entendre de nouveaux appels.  

J’espère que la mémoire du baptême de Jésus nous aura fait prendre conscience un peu mieux que Jésus est cet homme que Dieu a reconnu comme un humain qui a ouvert notre humanité. Et cette mémoire traverse le temps. Un philosophe (Kierkegaard) a écrit : « Chaque croyant qui tente de croire est contemporain de Jésus » Et j’ajouterais, parce qu’il nous devient contemporain. N’est-ce pas une autre manière de dire l’actualité de notre baptême et de la mémoire de Jésus!