Présence et partage

D’abord, j’aimerais rappeler le contexte de ce passage d’Évangile. C’est une parabole et elle doit être reçue comme telle et non comme une prédiction pour nous faire peur.  Matthieu s’adresse à des chrétiens et chrétiennes qui attendent le retour imminent de Jésus. Ils mettaient toutes leurs énergies dans cette attente. Il viendra peut-être dans quelques heures, ou quelques jours, qui sait! Matthieu leur dit : l’attente du Seigneur c’est très bien, mais n’oubliez pas de vous occupez aussi de la vie, de votre vie, de la vie des autres; travaillez à construire l’humanité, sinon votre attente vous réserve des surprises pour la fin.  

Je suis bien conscient que ce passage d’Évangile provoque et inquiète à la fois. Il nous rappelle que la vie est faite de gestes bien ordinaires : des gestes d’hospitalité, de partage, d’attention à l’autre. Il parle d’une bonté sans limites : donner à boire, accueillir l’étranger, visiter les malades et les prisonniers. Ce sont des gestes premiers de l’hospitalité humaine. Ce passage est aussi inquiétant. On croirait, dans la finale, voir ressurgir l’image d’un Dieu pasteur, qui sépare les chèvres des brebis; ou encore l’image d’un roi qui juge et qui condamne à la fin des temps.

Ce passage parle, bien sûr, de la fin des temps, je ne saurais le nier, mais il me semble qu’il parle davantage, permettez-moi le jeu de mot, du temps de la faim – f a i m. Il parle de celui ou celle qui a faim; il nous révèle comme humanité. Il  nous dit de ne pas oublier la vie toute proche de nous qui est à construire. C’est donc un passage d’évangile pour ce temps et non pas seulement pour la fin des temps.

On y retrouve l’esprit des béatitudes : « bienheureux, les doux, les artisans de paix… » C’est aussi le moment de nous rappeler ce passage d’Évangile que nous connaissons par coeur : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». « Comme toi-même », c’est-à-dire, « car » il est comme toi, un être humain à l’image de Dieu. C’est lorsqu’on se représente son prochain comme ayant les mêmes exigences de justice, de bonté, de partage, qu’on peut construire une société humaine, selon le désir de Dieu.

Pour une part, ce que dit ce passage d’évangile, c’est, qu’on le veuille ou non, il y a une fracture dans l’humanité. Il y a des gens qui ne se font confiance et d’autres qui ne se font pas confiance. Peut-être l’image des chèvres et des brebis que le berger sépare veut nous le rappeler. Et la venue du Fils de l’homme  révèlera cette situation non seulement à la fin, mais à nous de voir cette fracture aujourd’hui, ce midi, ici dans cette assemblée et d’y travailler. Et ce qui se passera à la fin des temps, c’est le dévoilement de ce qui se passe aujourd’hui. Ce jugement portera sur des actes passés, donc sur nos façons  d’être et de vivre aujourd’hui. Il met en procès le présent des êtres humains. Qui sommes-nous ? Des gens inattentifs aux autres, à nous-mêmes, à notre environnement? Ce jugement dont il parle n’est pas un jugement de la fin des temps, mais un jugement pour ce temps, pour ce que nous vivons et sur la qualité de nos attitudes. Ce que Matthieu essaie de dire à ses contemporains et ce qui nous rejoint aujourd’hui lorsque nous entendons ce passage c’est  ceci : la qualité de la vie passe à travers nos attitudes d’hospitalité (le terme hôte signifie la  personne qui accueille et celle qui est accueillie). C’est là que se construit la vie; c’est là-dessus que nous nous jugeons et que nous serons jugés. Soyons vigilants. Qu’aura-t-on fait  de l’esprit des  béatitudes? Jésus s’identifie à ceux qui ont soif… aux affamés de toutes les faims et à celles et ceux qui les aident.

Entendre ce passage d’Évangile à la fête du Christ-Roi, c’est nous redire qu’on est devant une bien drôle de royauté. Jésus est roi, non dans un palais, mais sur tous les lieux de la solidarité humaine. Pour utiliser des mots qui font maintenant partie du vocabulaire commun : c’est un passage d’Évangile qui parle de lucidité et de solidarité. La lucidité de la foi ; la solidarité du partage. C’est ce qui fait le fond de l’Évangile.

Dieu, Jésus, sont présents dans le partage du pain de notre quotidien. Un Dieu qui aime ne peut habiter le vide qui sépare et divise. Sa présence est dans la présence les uns des autres. C’est la radicalité évangélique de l’hospitalité, de la compassion. La portée de nos paroles et de nos gestes ouvre un horizon de sens, un horizon de pratique. Et on sait que ce n’est pas toujours de tout repos; cela nous dérange dans notre confort. Des personnes viennent nous perturber dans nos convictions et dans de ce que nous sommes. Elles sont différentes de nous, par le statut social, par l’éducation, par les drames de la vie; elles sont différentes de nous parce qu’elles arrivent chez-nous comme des immigrants en quête d’une liberté, d’une vie meilleure cherchant à se refaire une vie. Les moindres petits gestes d’aide, d’aide-partage deviennent alors si importants. Mais je pense que ce passage nous invite à vaincre parfois notre pudeur et à  oser demander à notre tour quand on a besoin. A notre tour, on a faim, on a soif, on habite les prisons que nous nous fabriquons. Qui viendra vers nous? Oui, ce passage d’Évangile a de quoi nous faire réfléchir.  De quoi interroger nos façons de vivre et d’agir. C’est un travail d’humanisation; c’est un travail de foi…

Entre nous, chaque fois que nous nous réunissons le dimanche, nous tentons de faire en sorte que notre assemblée soit ouverte à Dieu, bien sûr, mais aussi aux autres. Nous faisons attention. Et au cœur de notre eucharistie, la présence du Christ est signifiée dans ce geste si simple, presque banal, de prendre un peu de pain et un peu de vin, d’en laisser à l’autre, au voisin, pour nous faire penser dire que la vie est gestes d’attention, d’hospitalité et que nous ne voulons pas l’oublier. Cette communauté veut continuer ses efforts dans ce sens, mais il y a du travail à faire : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », car il est comme toi, un être humain à l’image de Dieu. La présence du Christ est aussi dans ce geste et dans cette attention. Ne cherchons pas l’Évangile ailleurs, il commence à ce point.