L'humanité à son meilleur

Les béatitudes. Qu'on soit chrétien, juif ou musulman, ou même incroyant, qui peut rester indifférent devant un tel passage d'Évangile. Sans faire de jeu de mots, je pense que c'est vraiment l'Évangile qui passe au milieu de nous. Cette proclamation des béatitudes ne cesse de murmurer au plus intime de nos cœurs. On a l'impression, à les entendre, qu'un même souffle pourrait habiter tous les humains. Parfois, on se dit : c'est vrai, c'est ça. Les béatitudes sont offertes à l'humanité comme un chemin de vie toujours ouvert. Ces béatitudes disent chacune à leur façon une attitude ou une activité, et elles disent aussi une promesse. C'est l'occasion de nous rappeler que l'Évangile n'est pas fait de menaces et d'obligation, mais d'invitation et de promesse… N'ouvre-t-il pas l'avenir?

En entendant ces passages de l'Apocalypse et des béatitudes, je sens qu'on gagne à accueillir cette proclamation et cette fête de la Toussaint avec notre fibre poétique. C'est une immense image de l'humanité qui nous habite. Une longue caravane d'hommes, de femmes et d'enfants qui traversent la vie sur les chemins de toutes les libérations. À cette humanité en marche, Jésus rappelle l'orientation à suivre, et il nous dit que le Royaume est déjà là. Mieux! Qu'ils sont le Royaume parce qu'ils forment un peuple solidaire, animé pas une volonté, un désir de construire la vie, la paix dans la justice. La fête de la Toussaint, c'est en quelque sorte la célébration de cette humanité à son meilleur, marquée par la présence de Dieu.

La Toussaint, fête des gens du peuple de Dieu. Fête impressionnante. La fête la plus proche de nous parce qu'elle est la fête de nos proches. Fête des saints d'autrefois et d'aujourd'hui. Je connais certaines personnes qui sont pour moi de vrais saintes et saints car, à ma connaissance de croyant, ces personnes ne témoignent pas moins de l'Évangile que ceux et celles qui sont canonisés.

La Toussaint, fête d'une communion réelle. Il ne s'agit pas que de noms, d'une brochette de noms connus et inconnus, mais d'une foule innombrable déjà et qui n'est pas achevée, de femmes et d'hommes qui ont vécu dans une sorte de droiture de cœur et qui, même sans pouvoir le nommer, ont marché à la recherche de Celui d'où vient toute vie et qui donne sens à toute vie. C'est le moment d'évoquer tant de vies cachées, inconnues, tant de vies ordinaires, mais qui ont marquées ici ou là des proches.

La Toussaint, fête de toute la communauté humaine en quelque sorte. L'humanité, avec ses difficultés, mais avec ses bontés manifestées, ne serait pas aujourd'hui ce qu'elle est sans ces hommes et ces femmes que Dieu a accompagnés. Ce Dieu qui a mis chez ces personnes de bonne volonté, le goût de la pauvreté, de la tendresse de la soif du bonheur communicatif. La Toussaint, mémoire de ces humains qui voient se tendre vers eux la main de Dieu.

La Toussaint? Qui est saint? N'est-ce pas tous ces gens qui dans nos milieux et ailleurs, se tiennent debout pour dénoncer les travers de la vie, pour dire haut la vie et qui se retroussent les manches et viennent au secours des autres; ces femmes et ces hommes sans frontières et qui tentent de faire reculer les frontières pour y faire jaillir la vie. C'est aujourd'hui la Bonne nouvelle, l'Évangile. Ouvrons les yeux autour de nous et voyons; laissons-nous entraîner dans ces gestes qui donnent et redonnent le goût de la vie comme Jésus l'a fait, dans son souvenir. Nous sommes peut-être-là dans notre sanctuaire de sainteté.

Voilà, c'est cette image qui, je l'espère, nous revient quand on réentend les béatitudes… Croire en la communion des saints, c'est croire en la sainteté possible entre les humains, c'est son horizon ouvert. Dans un livre publié récemment et intitulé Si tu crois, H. Madelin écrit : « Croire, c'est lire les Écritures et les interroger. En ricochet, ce sont elles qui lisent et interpellent le croyant dans sa propre vie. La sainteté d'une vie, c'est une écriture sainte qui continue de s'écrire au fil des jours. » C'est ce que tente de faire ce passage des béatitudes. C'est le dessein de Dieu sur nous. C'est le meilleur de nous-mêmes quand il apparaît dans sa pleine lumière en Jésus.

Oui, je reste convaincu que peut naître à certaines heures de notre vie, et j'espère qu'elles sont nombreuses, en chacune et chacun de nous le chant des béatitudes, que nous mêlions notre voix à celle de Dieu, pour que le monde se mette à tourner autour de l'espérance. Ce ne sont pas les êtres d'exception qui manquent, mais les êtres quotidiens, des êtres qui vivent les béatitudes dans leur comportement habituel, dans leur ordinaire. Des hommes et des femmes qui n'envisagent pas de possession sans partager avec les pauvres. Des femmes et des hommes qui refusent la force; qui demeurent aux côtés des affligés, des gens qui croient et pratiquent la paix. Et il s'en trouve partout; il s'en trouve autour de nous et on en voit dans cette communauté…

Voilà pourquoi j'aimerais que la parole des béatitudes se prolonge, que l'homélie se continue pour devenir geste et silence en faisant mémoire, selon une tradition de notre communauté, des membres proches de chacune et chacun qui formons cette assemblée. Nous voulons nous souvenir… J'invite ceux et celles qui ont perdu un membre de leur famille, un proche, au cours de cette année, à venir en silence déposer un cierge allumé pour nous redire que la vie continue et que même dans la mort il y a de la lumière, celle d'une vie autre, celle d'une résurrection. C'est la bonne nouvelle pour aujourd'hui. Les femmes et les hommes qui ont fait et qui font l'expérience des béatitudes nous donnent envie d'être heureux et de découvrir l'ouverture au bonheur.