Un régime d'invitation

La lecture évangélique que nous venons d'entendre nous rappelle que nous sommes, comme chrétiens, non pas dans un régime d'obligation, mais dans un régime de l'invitation : Deux régimes fort différents l'un de l'autre. Le régime de l'obligation est marqué au coin de la menace : " Tu dois faire ceci et non pas cela ". Le régime d'invitation est au contraire celui de la gratuité et de la générosité :

" Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous rencontrerez, invitez-les au repas de noces ".

Le régime de l'obligation est rarement festif, alors que le régime de l'invitation est de nature à créer de la joie et un comportement approprié. Qui ne se sent pas invité par Dieu joyeusement ne connaît pas le vrai Dieu dont on s'émerveille. Il y a un autre aspect de la lecture évangélique de ce dimanche dont il importe de tenir compte. Il n'est pas toujours facile de vraiment accepter l'invitation et d'y répondre comme il convient. L'invitation reçue n'a rien d'un effet magique, elle appelle de notre part un choix, une réponse, un engagement dans une tenue de fête. Autrement, nous nous expulsons nous-mêmes de la noce, en nous refusant de choisir et de re-choisir ce qui pouvait nous faire sortir de nos peurs, de nos angoisses, de nos échappatoires, de nos occupations trop fébriles. Persévérer dans une réponse au quotidien à un appel requiert un renouvellement intérieur, une constance, une liberté de bien choisir. Rester joyeusement branché, c'est un défi qu'on ne peut relever dans l'isolement en nous coupant de la fête mobilisatrice. Puissions-nous alors entendre l'invitation à marcher le chemin de la connivence et de la concertation. Un chemin que nous sommes invités à rechoisir comme chemin de vie, de communion et de fête. Plus précisément, le régime chrétien nous invite à un bonheur, une joie, une résilience qui tient compte de la réalité. Il ne s'agit pas d'euphorie, d'illusion, ou de bonheur artificiel, presque obligatoire. Le bonheur que nous propose l'Évangile ne consiste pas à quitter le réel, mais à l'habiter avec le dynamisme de l'espérance, quoiqu'il advienne.

C'est dans ce sillage que l'Eucharistie nous est proposée, que nous y sommes invités. La célébration de l'Eucharistie est un geste poétique i.e. un mouvement contemplatif, un espace d'émerveillement et à la fois, un aspect révolutionnaire, un engagement dans une lutte pour que justice, tendresse, concertation y retrouvent leur souffle. Tel peut être évoqué ce moment de fête, tel peut être le vêtement de noce. Une attitude dont Jésus lui-même nous a laissé l'esquisse par ces mots : vous ferez ceci en mémoire de moi. " Vous ferez ", notons bien. Jésus ne nous dit pas de l'adorer, mais d'agir à la manière qu'il a illustrée. Comme le répète une théologienne de notre milieu : Jésus nous a invités à agir, à nous impliquer et nous nous sommes mis à l'adorer. Ce n'est pas défendu, bien sûr. Mais ce peut être un piège. Comme un prêtre inspirant et libérateur l'a écrit :

" Nous ne pouvons pas savoir ce que Jésus a réalisé au soir de la Cène, nous ne pouvons pas davantage définir ce que nous accomplissons en reprenant son geste, mais nous ne doutons pas que notre espérance est de rejoindre l'intensité qui fut la sienne en cet instant. S'il est bien un geste symbolique qui me donne confiance en cette élévation de l'être, alors que rien dans ma vie ne me permet de le revendiquer, c'est bien la célébration de l'Eucharistie. En cet instant nous sommes convoqués à la présence  ".

Telle est la fête. Telle est la poésie. Telle est cette eucharistie qui nous rassemble dans une gratuité, dans un vêtement de fête. Telle est l'attitude qui n'est pas toujours évidente et plutôt voilée. Que l'évocation de Jésus, que la réponse à l'invitation réveille en nous le désir d'accomplir notre vie en espérant que l'intensité qui fut la sienne ne nous est pas fermée. Et le reste  suivra.