Parabole des chômeurs engagés à la récolte  d'un vignoble.

Qu'est-ce donc que « rechercher le Seigneur » comme nous y invite le prophète  Isaïe (1ère lecture, Isaïe 55, 6-9)? Recherchez le SEIGNEUR. La parabole qu'on vient d'entendre devrait nous aider à y répondre.

Nous sommes familiers avec les statistiques sinon l'expérience du chômage. Une publicité sur nos écrans attire l'attention sur le « travail au salaire  minimum ». Le journal La Presse présente ces jours-ci un dossier sur les « jetables après usage »  de notre société. La revue Relations, numéro de septembre 2005, propose un dossier sur « La classe des enrichis ». Cette parabole  touche aussi  cette question : comment de pauvres chercheurs d'emploi  sont traités dans  la société que Jésus connaît ?

Prenons le temps de porter une attention plus soutenue au récit qui n'est pas sans nous laisser perplexes. Nous détectons dans ce récit  des conditions et des pratiques reconnaissables :

- une grande entreprise, puisqu'elle est gérée par un  manager ou intendant, 

- le recrutement de travailleurs saisonniers,

- l'affirmation finale qui clôt la discussion : « N'ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ».

Cette histoire ou parabole ne serait-elle pas une façon pour Jésus  d'inviter à réfléchir sur ce que ses auditeurs vivaient, d'en découvrir  les conditions ou procédés pris pour acquis et de se  demander si c'est vraiment cela que Dieu veut  pour eux. Donc une  démarche de « conscientisation ».

1- Qui sont les acteurs?

a) des journaliers à la pige, chômeurs, marginaux et en quête de travail possible au moment crucial de la récolte. Ils sont très nombreux et résignés à leur sort. Nombreux parce que la région est en crise. Deux facteurs de la crise : 

- beaucoup de paysans libres doivent vendre leur lopin de terre à  de grands propriétaires qui agrandissent leur domaine pour le rendre encore plus profitable.

- seul un des enfants hérite de la terre. Les autres deviendront des journaliers  réduits  au travail partiel et à la mendicité et parfois se regroupant en bandes organisées de voleurs.

Ces travailleurs  sont les « sacrifiables » de cette société, les « jetables après usage ».

b) le propriétaire d'un grand domaine, habituellement invisible parce qu'en voyage pour faire  ses affaires. Des gérants veillent à ses entreprises. Ici un vignoble qui a demandé un  grand investissement — quatre années avant qu'il produise — mais qui rapporte plus que les champs des agriculteurs. Mais pour cela il ne faut pas manquer la récolte qui est urgente.

Donc deux classes sociales bien distinctes : l'élite et  les prolétaires que notre récit met en scène  dans ce moment  précis où l'élite a besoin  des autres pour faire les vendanges.

2- Quelle est la scène qui se joue?

a) Une scène d' embauche de travailleurs pour la journée.

Curieusement ce propriétaire plutôt que son gérant fait de multiples voyages à la place publique où se tiennent les chômeurs, comme s'il n'avait pas prévu correctement le nombre de journaliers à engager ce jour-là!

Scène qui en est une de négociation… Entre patron et employés. Négociation qui n'est pas très longue et qui est du type « à prendre ou à  laisser »  et se fonde sur le « droit de faire ce que je veux de mon bien ».

b) un enjeu : le salaire

le salaire d'une pièce d'argent : un denier par jour, pour la première cohorte et puis «  ce qui est juste », ce qui convient, sans  négociation avec les suivants car il faut faire vite et ne rien perdre de la récolte.   

La valeur du denier  est difficile à reconstruire en monnaie d'aujourd'hui. Beaucoup pensent que c'est le salaire quotidien moyen d'un ouvrier. D'autres, plutôt  juste le nécessaire pour vivre  donc un  salaire minimum ou de subsistance. Et ce n'est même pas suffisant pour subsister parce que sans travail hors saison, et souvent même en saison de vendanges, ils sont  obligés d'aller mendier dans les villages et les villes. Ils prennent tout ce qui passe, fatalistes et acceptant les jugements des gens biens qui les emploient.

c) l'ordre de la séance de paie.

La séquence ordonnée par le proprio à son gérant pour distribuer la rémunération est étrange. Certains exégètes n'y voient aucune importance, d'autres une manière de montrer la générosité du maître — tous au même salaire — même ceux qui ont peiné toute la journée.

Mais si ce grand propriétaire est un exploiteur de la misère répandue et méprisant cette plèbe de misérables,  ce pourrait être dans la parabole de Jésus une façon de montrer comment ce puissant  humilie ces gens en guise de bonsoir et de remerciement, après leur avoir donner le moins possible. Les sociétés bâties autour de l'honneur et de la honte connaissent ces gestes ou parades…

3) Révolte et un porte parole… fermement mis au pas.

Les travailleurs engagés les premiers sont surpris et trouvent ça injustes. Peut-être que nous aussi, à vrai dire. Ils protestent. Et voici que le maître en isole un du groupe — en fait un porte parole et le prend dans sa mire, en en faisant une cible séparée : « Nous avons un contrat! De quoi te plains tu? Prends ta paye   et dehors tout de suite! » Et pour les autres apeurés par cet exemple,  il continue : « Voyez comme je suis généreux avec vous; je vous donne autant qu'à ce mécontent même si vous avez travaillé moins longtemps. Et surtout, retenez bien ceci : Je fais  ce que je veux avec mon argent. Ça ne regarde que moi.  Votre sort ne vous permet pas de m'envier. »

Ayant ainsi rappelé aux ouvriers l'idéologie dominante — ou l'illusion qui autant que la force physique  les domestique, le grand propriétaire peut rentrer chez lui sans rien changer. Il a eu recours au vieux truc qui consiste à blâmer la victime.

4) Conclusion

Isaïe  cité en première  lecture proclamait :

 « Recherchez le SEIGNEUR. Que le méchant abandonne son chemin, et l'homme malfaisant, ses pensées. »

Une parabole pour Jésus constitue un moyen pour  éveiller, sensibiliser et faire découvrir  la réalité et les forces qui nous déterminent et nous empêchent de vivre. À des victimes des structures sociales et des transformations de leur société, résignées et convaincues que c'est l'ordre fondamental et irréformable, Jésus leur apprend à travers une histoire inventée  comment leur société est codée et fonctionne et il initie la discussion et la réflexion. Il ne leur propose pas une idéologie nouvelle pour les mobiliser aveuglément; il les aide à « conscientiser » leur situation, à poser les bonnes questions et à commencer  à se redresser.

Les premiers mots de cette parabole — que seul Matthieu rapporte — étaient les suivants : 

« Le royaume des cieux est comparable… »

Il est comparable à ce qui se produit quand des victimes commencent à se demander pourquoi ils sont dans leur condition pénible.

Il est comparable au refus des conceptions et idées dominantes ou valeurs qui les emprisonnent.

Il est comparable  aux leaders qu'on expulse en en faisant un exemple pour terrifier les autres.

Il est comparable… à l' « option préférentielle pour les pauvres ».

L'enjeu est plus qu'une question éthique ou politique, et ni une idéologie, il est celui de la réalisation du Royaume, de ce que Dieu veut et à quoi il œuvre. Dieu n'est pas éliminé, mais reconnu comme nous surprenant. Si Dieu est transcendant, en haut et au-delà— Il est aussi sur terre et à l'œuvre — ici et maintenant —. Conviction que Luc 1, 52,  dans l'hymne qu'on désigne du terme  latin  Magnificat, exprime directement : « Le Seigneur a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles ».

Dieu est à l'œuvre dans le monde politique et économique et aussi dans cette communauté  en nous invitant à  la  construire à travers des services  qui dépendent de nous. L'appel du prophète Isaïe « Recherchez le SEIGNEUR » concerne aussi le partage des responsabilités et des services  qui nous permettent de profiter de cette communauté.