Interroger nos attitudes

À entendre ce passage  d’Évangile, ma réaction est de me dire : tout est dans la manière de faire et de dire… « Si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul… » C’est du même mouvement qu’une autre recommandation : « Si tu as quelque chose contre ton frère, va te réconcilier avec lui ». Ce sont là des conseils pleins d’humanité, de réalisme et d’appel à la responsabilité les uns des autres. C’est d’abord et aussi ça l’Évangile… Ces conseils nous renvoient au cœur de nos vies, de nos attitudes, de nos zones d’ombres et de nos désirs de faire la lumière, de faire la paix aussi avec l’autre et en nous… Tout est dans la qualité de la relation que j’engage. Que je sois seul avec la personne en difficultés, ou en compagnie de deux ou trois autres personnes et même avec et devant toute la communauté. On le sait d’expérience, personne n’aime se faire dire, sur son comportement, des choses pas très agréables à entendre, surtout lorsqu’elles sont vraies. Et il y a aussi des silences complices… Prendre la responsabilité d’aller avertir l’autre, aller vers l’autre, ce n’est pas toujours évident. Ce n’est jamais facile et combien délicat parfois.

Quand on s’est réunis pour préparer cette célébration, on a lu ce passage d’évangile de Matthieu. Nous le connaissions bien, et même par cœur. Des points d’interrogation se sont levés. Comment le reçoit-on ce midi, dans cette assemblée? Certains, dont moi, se sont dit : en écoutant ce texte on peut voir resurgir cette image d’une institution d’Église qui, au cours  de son histoire, a trop souvent condamné, en s’appuyant sur ce passage de l’Évangile. On a excommunié bien des gens et de quelle façon  parfois! Tout est dans la manière de faire et de dire. Et la manière de faire ne rejoignait pas toujours, non seulement les traits d’Évangile, mais aussi les traits d’humanité. A-t-on pris le temps de rencontrer vraiment la personne, une fois, deux fois et encore...? Je pense qu’il nous faut, accueillir le texte dans toute sa fraîcheur, et l’itinéraire difficile qu’il suggère. Comment voit-on notre manière de faire communauté, de faire Église? C’est la question.

Mais la phrase qui surprend toujours est celle-ci : « S’il refuse d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain. » La parole semble dure. Mais qu’on se souvienne. Jésus a eu une attitude si accueillante envers les païens, et les publicains. Il a  dit des choses fort belles sur l’humilité et la foi du publicain dans la parabole du pharisien et du publicain. Il a dit des choses fort belles sur la samaritaine, et la cananéenne : « Ta foi est grande… »  Il y a les limites de l’humanité. Dieu regarde plus loin que notre pratique de la fraternité aussi profonde et vraie soit-elle; il a un regard d’horizon.

La question est-là, au coeur de ce passage : jusqu’où va l’engagement en regard des autres qu’on aime et qui paraissent faire fausse route? J’ai envie de répondre : aussi loin qu’on peut aller. Le jeter dehors, qu’est-ce que cela veut dire?  Le considérer comme un païen ou un publicain?

Or ce que ce passage d’Évangile semble vouloir nous dire c’est tout simplement de faire ce qu’on peut faire de mieux, quand on croit que quelqu’un a commis une faute ou va dans une étrange direction qui nous paraît un cul de sac. Pourquoi ne pas en parler avec cette personne? On y va seul et de façon sereine et avec beaucoup de doigté, et on peut se mettre à deux et à trois, N’est-ce pas cela la vie, n’est-ce pas l’Évangile? N’est-ce pas là que Dieu est présent, la mémoire du Christ aussi : « Là où deux ou trois… » aller le plus loin et lui redonner sa liberté. Oui, tout est dans la manière de faire. Une communauté se  construit à même une histoire faite de comportements; il y a des règles du jeu, et à la limite, on a le droit de ne plus s’y sentir à l’aise; on a le choix, bien sûr, de se retirer. Il faut parfois du courage pour laisser la liberté à l’autre. Les parents savent bien cela dans les relations avec leurs enfants. Il y a des séparations difficiles qui sont nécessaires pour se retrouver; on souhaite un autre type de relation ou chacun sort grandi et a appris des choses de cette expérience.

L’assemblée du dimanche, notre assemblée, se construit au fil des années; elle est forte de sa fragilité. Et notre façon d’être, de nous comporter a des conséquences : cela va nous suivre jusqu’à reconnaître que tout ce que nous aurons lié sur la terre sera lié dans le ciel; une responsabilité énorme que nous avons à assumer. Mais disons-nous bien que l’Évangile, s’il a été proclamé et réalisé en Jésus, il est toujours à venir pour nous. Et même si une personne doit prendre des distances, à nous d’ouvrir le plus large possible l’espace de la communauté, un espace assez vaste pour que tous s’y  reconnaissent malgré les limites, les erreurs même, à la condition que la fraternité y soit vraie, et vécue en toute sa simplicité.

Pensons-y, l’Évangile est toujours à investir de ce que nous sommes. Nous sommes maintenant partie prenante de son avenir. Et comme pour le prophète  Ézéchiel,  Jésus fait de nous des guetteurs d’un évangile si plein d’humanité. En cette fête du travail et au moment de la reprise des activités, on peut dire que c’est du gros ouvrage.