Le nom donné…
Une première
interrogation adressée aux disciples : Qui est-il le Fils de
l’homme d’après ce que disent les hommes? Comme un
sondage d’opinions : « Dans votre entourage que dit-on
de moi? » Et des réponses, des noms entendus ici ou là : Élie,
Jean-Baptiste, Jérémie. Ce que l’on peut résumer
en une même identité : un envoyé de Dieu, un prophète
révélateur de Dieu.
Le sondage
d’opinions, la liste des noms donnés et reçus sont vite
mis de côté, balayés par une question directe adressée
aux mêmes disciples : Et vous, que dites-vous? Un seul
des disciples répond; Simon-Pierre. L’impétueux, l’enthousiaste
spontané – souvent trop spontané. Mais sa réponse
ne vient pas que de son caractère fougueux; c’est plutôt
comme la fulgurance d’une évidence qui dépasse le clair
entendement, qui ne peut s’exprimer qu’en des mots extrêmes : Tu
es le Fils du Dieu vivant. Simon-Pierre, le juif fidèle, qui ose
prononcer ce nom de Dieu que toute une tradition préférait garder
voilé de peur de le banaliser, de le profaner. Et pas seulement le nom
de Dieu, mais encore ce nom donné à Jésus : Fils
du Dieu vivant. Vraiment, une telle dénomination, une telle reconnaissance
d’identité, ne peuvent venir de la chair et du sang, du résultat
d’une expérience, d’une fréquentation. Elle vient
de la foi, d’une foi donnée d’en haut par ce Dieu même
que Simon-Pierre ose nommer. La foi de Pierre clairement dite et manifestée.
Une foi qui prend corps dans sa chair et son sang, dans son expérience,
sa vie d’homme. Une foi qui pourtant doit encore connaître les
doutes, les arrêts, les retours en arrière qui sont le lot de
l’authenticité humaine. « Je ne connais pas cet homme »
dira Pierre aux heures noires de la Passion, quand l’espérance
paraîtra vaincue. Des arrêts, des doutes, jusqu’au regard
de Jésus sur lui, Pierre, au petit jour de la condamnation à mort,
au petit jour du pardon au bord du lac. Et jusqu’à la fidélité qui
engage à jamais toute une vie, qui fait du pêcheur de Galilée
le prêcheur de l’Évangile, le continuateur de la mission
du Maître.
Une question
adressée au groupe des disciples, et un seul qui répond. Porte-parole
de tout le groupe? Un peu, oui. Surtout, la réponse modèle pour
tout le groupe, le roc sur lequel viendra s’établir la foi de
tout le groupe. Une réponse de foi qui devient modèle et entraînement
pour tout le groupe. Une réponse qui devient partage avec les autres,
qui dit son besoin du soutien des autres. Une réponse en communion,
en Église, comme modèle pour les disciples de tous les temps,
de tous les besoins et de tous les engagements dans l’épaisseur
de l’expérience humaine.
La question
de Jésus, la profession de foi de Pierre, et puis, ce qu’il ne
faut pas négliger en ce récit d’Évangile, un échange
de noms. Il y a le nom que Simon-Pierre donne à Jésus, nom qui
lui est révélé et surgit en même temps d’une
expérience de vie partagée qui prend corps en ce moment. Et il
y a le nom que donne Jésus. Nom nouveau qui est une béatitude : Heureux
es-tu, Simon fils de Yonas; tu es Pierre. Le nom au-delà de l’identité courante
reconnue en son milieu familier : le fils de Yonas. Le nom de Pierre,
le roc qui assure la communion des disciples, le nom de celui sur qui on peut
compter. Un échange de nom comme une reconnaissance de qui est vraiment
l’autre; comme le départ d’un engagement réciproque,
d’une fidélité, d’une amitié, d’une
intimité nouvelle.
Et
vous, que dites vous? Pour vous, qui suis-je? La brûlante et l’urgente
question – presque une provocation – qui nous rejoint à travers
les disciples, qui s’adresse directement à nous qui sommes ses
disciples de maintenant. La réponse à donner, chacun, chacune,
au-delà des noms reçus, des opinions connues. Bien sûr,
la réponse ultime vient de la foi,. mais déjà il y a
la réponse qui s’apprend, se formule dans l’expérience
personnelle de la connaissance. Réponse parfois longue à venir,
toujours sinueuse. Le nom donné qui entraîne un engagement,
qui éclaire et marque la vie. Un nom difficile d’arriver à dire
clairement – par pudeur, par incapacité - qui attend,
sinon la pleine conscience d’une reconnaissance, à tout le moins
qui exige ne serait-ce qu’une première ouverture à la
foi.
Et le nom
que lui il nous réserve. Le nom qui nous apparaît progressivement
sur ce petit caillou blanc que déjà il a remis entre nos mains,
comme le suggère le livre de l’Apocalypse (Apoc. 2, 17).
L’approche du nom du Fils de l’homme, et en même temps la
reconnaissance de qui nous sommes pour lui, de qui nous sommes vraiment, avec
toute l’expérience et tout l’apprentissage, difficile et
heureux, d’une vie.
Jeu de
reconnaissance, de découverte, qui aboutit à la nomination réciproque
dans l’engagement, la fidélité, l’intimité de
l’amitié. Jeu personnel qui exige le partage et le soutien avec
d’autres, en communion, en Église. Partage où l’on
reçoit autant que l’on donne. Engagement et soutien comme dans
nos assemblées de célébrations qui sont plus que la juxtaposition
d’individus priants en un même lieu, qui sont communion et Église
faites de modèles, de provocations réciproques. L’Évangile
de ce matin nous le dit bien : cela ne peut venir que de la chair et du
sang, bien que chair et sang y tiennent une si grande part.
Tout
est de lui, dit Paul aux Romains. Il donne le premier, mais il y a retour
de notre part. Qu’importe si même ce retour c’est lui qui
le rend possible. Il y a dans ce jeu de noms donnés et reçus,
un bonheur qui devient action de grâce, qui marque la vie.