Dieu
dans une brise légère
Dieu, une brise légère. Jésus, l’homme qui marche… qui
marche même sur les eaux, et qui tend la main à Pierre.
De la montagne, des grands vents, des ouragans et des tremblements
de la terre, nous passons à la brise légère. L’expérience
du prophète Élie est fascinante. Jusque-là Dieu se manifeste
dans le fracas des eaux, sur le mont Sinaï, dans les éclairs et
le tonnerre. Ces forces de la nature nous ont donné une image d’un
Dieu puissant. Et voilà que Élie vit une toute autre expérience
de Dieu. « Et le Seigneur n’était pas dans l’ouragan,
ni dans le feu, ni dans le tremblement de terre, mais dans le murmure d’une
brise légère ». Et le Seigneur se trouvait dans la
brise légère. C’est une annonce toute nouvelle de
la présence de Dieu. Trop souvent, et nos textes liturgiques en sont
pleins, c’est la puissance, la force, le fracas qui essaient de dire
Dieu. Ici dans le passage lu du livre des Rois, c’est un renversement :
la brise légère inaugure une nouveauté. La foi entre dans
de nouveaux chemins qui conduiront, peu à peu, jusqu’à Jésus. Du
Dieu de nos tempêtes, ou de nos perceptions de Dieu comme une tempête,
on est invité à passer au Dieu de la brise légère.
Même nouveauté dans le passage d’Évangile :
Jésus
vient de multiplier les pains. Ce geste a pu être interprété comme
un geste de puissance, alors que c’est un geste d’attention aux
autres, un geste de compassion, mais aussi un geste d’apprentissage pour
les disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » leur
dit Jésus. Il se retire à l’écart pour prier. Il
marche sur les eaux pour rejoindre les disciples. Pierre entre dans ce jeu
de puissance. Il marche sur les eaux et il fait lever la tempête.
La confiance est ébranlée; il s’enfonce. Chez-nous on
dirait : il cale. C’est le geste de la main qui le sauve.
Homme de peu de foi, mais qui cherche la puissance. « Jésus
tendit la main à Pierre qui s’enfonçait dans les eaux. »
C’est une vision de Dieu qui nous est proposée
dans les passages que nous venons d’entendre à laquelle nous résistons
trop souvent. Jésus ne veut surtout pas être identifié à un
faiseur de miracles, par plus qu’il ne veut être pris pour un fantôme.
Le fin mot de toute cette histoire : la foi, c’est la confiance
en la parole et au geste de quelqu’un. Les miracles, les prodiges, Jésus
ne semble pas leur accorder une aussi grande importance qu’on l’a
fait dans notre histoire chrétienne. Par contre, l’essentiel,
le seul essentiel, n’est rien d’autre que la confiance simple accordée à la
parole. Cela, c’est aussi notre expérience dans la vie de tous
les jours. On construit la vie dans la confiance; la foi fait son
chemin en nous, à la fois comme individu et comme communauté d’Église,
dans la confiance en Dieu liée à la confiance dans les autres.
Les jeux de puissance, les violences au nom d’un Dieu, rien de cela n’augure
quoi que ce soit de bon pour l’expérience de foi, pour l’expérience
de la vie humaine tout court. Le Dieu de la foi ne s’impose pas
dans la violence. Dieu n’habite pas là, que ce soit dans la tradition
chrétienne, musulmane, juive ou autre. Dieu habite la brise légère,
Dieu habite la fragile humanité de Jésus, comme notre humanité fragile.
Dieu n’habite plus désormais que la confiance, notre capacité d’aimer.
Ne cherchons pas ailleurs. Et souvenons-nous : ce que Jésus voulait
rappeler à ses disciples après le geste du pain partagé en
abondance, c’est que le mystère de l’autre, l’attention à l’autre
nous garde éveillé au mystère de Dieu.
Nous sommes des femmes et des hommes qui cherchent à croire. Et cela
ne peut se faire en quittant nos gestes humains, mais en les réinvestissant,
dans toute leur fragilité lorsqu’ils peuvent devenir force de
tendresse, geste de la main tendue comme Jésus à Pierre. En faisant
en sorte que nos gestes fragiles ressemblent parfois à une multiplication
de pains, lorsque notre attention aux autres devient, à certains moments,
devient si vraie.
Dieu s’est fait homme justement pour se rendre accessible à nous.
On s’apercevra alors qu’on marche dans un tout autre paysage,
habitant d’autres territoires, celui de la confiance et du regard ouvert
sur les autres et sur soi-même. Il nous faut reconstruire un chemin,
cahin-caha, nous en sommes là souvent, un chemin d’humanité,
un chemin de foi; marcher avec des chercheurs de sens…
Je me permets, en terminant, puisque nous parlons de mer
et de bateau, de marche sur les eaux, d’évoquer cet événement
récent
de l’ordination des femmes au diaconat et à la prêtrise
dans les eaux des Mille-Iles. Tout comme au temps de Jésus, sur les
eaux, dans un bateau de fortune, il se passe encore aujourd’hui toutes
sortes d’événements qui interpellent les croyantes et les
croyants de bien des manières. Laissons cela à nos réflexions… Était-ce
un ouragan ou une brise légère? Où était
Dieu dans ce geste de provocation? Je n’ai pas la réponse.
Mais cela fait maintenant partie de notre jeu d’Église comme un
immense point d’interrogation. Que ce soit l’occasion, au cœur
de notre eucharistie, d’avoir en mémoire notre Église
et aussi tous ces croyants, ces femmes, en particulier, qui cherchent
des chemins jusqu’à s’aventurer à marcher sur les
eaux au risque de s’enfoncer… Espérons qu’elles,
comme nous tous d’ailleurs, trouveront une main tendue, geste de confiance,
nous rappelant que la foi comme la vie est une longue marche autant sur la
terre ferme que sur les eaux…