« Que sera donc cet enfant… »

J’aime, qu’à l’occasion de cette fête de la Saint Jean, nous nous mettions à l’écoute de ces îles lointaines dont parlait Isaïe, pour ne pas perdre la mémoire de nos origines. J’aime qu’on ait commencé notre célébration par cette longue litanie de ces femmes et de ces hommes qui, jusqu’à aujourd’hui, ont fait notre terre, notre pays et qui  ont  du prix à nos yeux, comme aux yeux du Seigneur, pour reprendre les mots d’Isaïe. Ces fondatrices et ces fondateurs inspirés par leur foi en l’Évangile ont écouté les îles lointaines. Je ne dirai par lesquelles ou laquelle de ces îles… Nous nous souvenons. « Je me souviens… »

Nous fêtons la naissance de Jean-Baptiste. C’est la fête de nos racines, de nos projets, de nos retours. La naissance de Jean Baptiste a été célébrée dès les premiers siècles de notre christianisme entremêlée avec la naissance de Jésus. La naissance de Jésus célébrée au solstice d’hiver, au moment où le soleil reprend sa  course et la naissance de Jean-Baptiste célébrée au solstice d’été, au moment où le soleil baisse. Il y  a là une symbolique fortement enracinée dans nos saisons et dans le mouvement du soleil Rappelons-nous la parole : « Il faut qu’il grandisse, avait dit Jean Baptiste, et que moi je diminue ». C’est la naissance d’un  précurseur; c’est notre patron.  Remarquons, c’est assez fascinant que, non seulement Jésus vécut comme l’un de nous, dans un terreau bien humain, celui de la famille de Marie et Joseph, mais encore que son action, elle-même au service de l’Évangile, ait pu s’enraciner dans une terre déjà toute remuée par l’action et la parole de Jean Baptiste. L’Évangile ne sera vraiment accueilli que lorsque le terrain aura été préparé pour qu’il y prenne racine.

 A leur façon, les femmes et les hommes qui ont construit le pays et porté l’Évangile jusqu’à nous, ont été des précurseurs. Qu’en avons-nous fait? A-t-on été assez vigilants pour reprendre à notre compte ce que ces personnes ont apporté de meilleur, inspirées par l’Évangile? Nos ancêtres ont remué la terre et ils ont préparé le terrain. à travers leurs gestes et paroles, ils nous ont fait signe pour que, à notre tour, et dans le contexte social et culturel changeant dans lequel nous sommes, d’entrer dans l’espace d’Évangile et d’en reprendre les grandes intuitions et visions pour notre monde.

Cette fête de la saint Jean, en plus de nous réjouir dans la fête, devrait susciter en nous des interrogations sur ce que, de génération en génération nous avons fait de l’accueil de l’Évangile. Avons-nous été capables et sommes-nous capables aujourd’hui, le serons-nous demain de réinventer, dans le contexte social et religieux si mouvant, notre façon de vivre notre foi. Nous sommes en plein passage…  et nous sommes appelés à vivre ce passage d’un christianisme fort, puissant même qui fut le nôtre,  à un christianisme plus inspirant, ou la foi est affaire de  choix personnel. Plutôt que de désespérer parfois de la situation de notre foi collective et individuelle,  nous avons à apprendre à vivre, comme une chance, cette fragilité de notre christianisme actuel. À nous de devenir dans notre quotidien, des personnes et des groupes inspirants pour notre société, des êtres humbles et sans prétentions.

Bernard Feillet, un auteur que plusieurs ont lu, dans son livre L’Arbre dans la mer (Desclée de Brouwer, 2002, p.40) affirme que chaque génération doit réinventer la parole de Dieu pour le temps qui vient. À cet égard,  il fait trois suggestions.

Que cette Parole soit dite entre des personnes qui se parlent et non une Parole prononcée par quelqu’un qui parle devant d’autres, — comme je le fais présentement. En fait, une parole qui circule comme la vie…

Que cette Parole ne soit jamais utilisée pour condamner autrui. Utiliser la parole de Dieu pour condamner, c’est la pervertir.

Enfin, La parole de Dieu est toujours accueillie dans ce qui fait la trame de notre vie. La parole de Dieu n’a pas le même sens si on est dans un état de souffrance ou de bonheur. Elle n’a pas le même sens quand on a dix ans, vingt ans ou soixante.

Voilà. Célébrer la Saint Jean, c’est faire mémoire  de ce qui a été et de ce qui est, mais c’est aussi, comme Jean Baptiste, labourer le terrain pour que l’Évangile, tel un espace de liberté, rejoigne ce qu’il y avait de meilleur dans les générations qui nous ont précédés et dans celles qui viennent. À la  naissance de Jean Baptiste, ses parents se sont demandés « Que sera donc cet enfant? » Question pleine d’humanité. Question qui dit l’attention à l’autre et qui marque une sorte d’inquiétude sur l’avenir de nos vies et de celle des autres.  C’est une interrogation que nous portons spontanément en nous. Que sera ma vie dans un an, dans cinq ans? Que sera le monde et que sera devenu le Québec dans quelques années? Que seront mes vacances?  Et on pourrait se poser la question : que devient et à quoi ressemble  notre rapport et notre lien à l’Évangile?

Question de notre présent et de  notre avenir, s’il en est une… Bonne fête de la Saint Jean!