« Ne les craignez donc pas »

Ces mots ont quelque chose d’un pontificat récent… Il s’agit toujours de ne pas avoir peur. Mais pourquoi ces mots au temps de Jésus. On comprend qu’après 2000 ans de christianisme, dans un monde sécularisé et bien souvent hostile, il convienne de rassurer devant certaines peurs; mais au temps de Jésus, alors que tout était nouveau, pourquoi dire déjà de ne pas craindre?

On peut regarder d’abord du côté du contexte. Notre évangile de ce matin s’inscrit dans un envoi en mission. Et il semble que la mission n’allait pas de soi, même au temps de Jésus. Il fallait prévoir les persécutions et se prémunir contre tous les coups bas susceptibles d’être préparés contre les missionnaires. La bonne nouvelle du Royaume à venir avait déjà quelque chose de dérangeant et soulevait une réaction parfois violente contre les missionnaires. C’est donc dans un contexte missionnaire que Jésus veut rassurer ses disciples : ne craignez pas ceux qui s’opposeront à votre travail. Mais il y a encore plus, quelque chose de plus précis qui peut nourrir notre réflexion dans l’extrait de ce matin.

C’est un peu comme si Jésus voulait offrir une sorte de guide du missionnaire, un vade mecum du débutant. Passons rapidement en revue ces indications.

D’abord une invitation au dévoilement. Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien de secret qui ne sera connu. C’était important au temps de Jésus, alors que ses disciples étaient assimilés à une secte et qu’ils pouvaient avoir le réflexe d’entretenir des réflexes de secret, de cachette, comme dans certains mouvements d’aujourd’hui. Non, ce que Jésus envoie annoncer ce n’est pas un secret réservé à quelques-uns, mais bien une bonne nouvelle à dévoiler au grand jour et à partager avec tous ceux et celles qui voudront bien l’accueillir.

Ne craignez pas ceux qui tuent le corps… Autrement dit, identifiez exactement les dangers auxquels vous expose votre mission; surtout évaluer les vrais dangers. Il y a ici une petite leçon sur la souffrance. Nous n’aimons pas la douleur qui touche notre corps. Il suffit de voir nos réactions quand nous nous infligeons une blessure en bricolant ou en faisant du sport. Le doigt pris dans la portière d’auto ou rejoint par un coup de marteau mal orienté devient rapidement le sommet de la souffrance. Jésus rappelle que le travail missionnaire, même quand il n’est pas vécu en terre étrangère, peut s’accompagner de semblables douleurs. Il ne faut pas s’effrayer outre mesure. Ce n’est pas notre salut éternel qui est en cause. Dans le langage du temps, il dit que ces malheurs ne rejoignent pas notre âme.  Il illustre ses propos avec quelques exemples sur lesquels vous comprendrez que je n’aie pas le goût de m’étendre. Passe encore pour les moineaux; mais les cheveux comptés ne m’ont jamais tellement convaincu…

Jésus ajoute encore une autre indication, un autre critère à ses indications sur la mission. Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai pour lui devant mon Père. Il faut faire attention à la méprise ici. Ce n’est pas exactement la formule de George W. Bush, à savoir de quel côté on se situe. Non les mots de Jésus renvoie ici à la pratique du témoignage. La règle est simple : si vous témoignez en ma faveur devant les humains, je ferai de même devant mon Père. Il n’y a pas de précisions sur la manière de s’y prendre et il est donc permis de penser que les modalités sont notre responsabilité.

Voilà les principales indications que Jésus juge utiles de fournir aux disciples qu’il envoie en mission. On ne peut pas dire qu’il s’agit d’un message bien compliqué et qui demande une longue formation. Des mises en garde toute simples et une promesse. Avec un gros silence…

Permettez à un pauvre enseignant du 20e siècle de souligner une absence dans les recommandations de Jésus. Il n’indique pas les « objectifs » à atteindre. On peut présumer qu’il n’avait pas été initié à la méthode par objectifs, mais on pourrait quand même s’attendre à quelques indications sur les buts à atteindre, sur les fruits à attendre. Non, rien, Jésus ne précise pas ses attentes à l’égard de ses missionnaires. Allez, faites ce que je vous dis et ce sera correct. Comme s’il voulait nous rappeler que les fruits ne sont pas de notre ressort, que les résultats nous dépassent et ne dépendent pas d’abord de nous. Nous avons notre responsabilité dans le travail missionnaire et il nous indique comment l’exercer. Mais une fois notre travail accompli, il faut savoir remettre entre les mains de l’Esprit l’aboutissement de notre intervention.

Ce n’est pas inutile de rappeler les limites de nos responsabilités, car nous avons bien souvent la tentation de tout prendre à notre compte. Ou plutôt de nous réjouir des résultats positifs et de nous plaindre des échecs qui viennent du manque de collaboration des autres. L’évangile de ce matin nous rappelle qu’il n’en pas ainsi du service du Royaume. L’évangile de ce matin nous rappelle la phrase du psaume : si Dieu ne bâtit la maison, en vain travaillent les massons. Bien sûr, il faut assurer la part qui nous revient, mais savoir aussi laisser l’Esprit faire son œuvre.

N’est-ce pas pour cela que nous nous réunissons pour célébrer l’eucharistie. Pour demander à l’Esprit d’achever ce que nous avons commencé et pour rendre grâce pour cette présence active de Dieu dans nos projets et nos réussites.

Ne craignez pas; faites ce qui vous revient et Dieu achèvera votre travail…