En mission, en moisson

Les deux textes de la liturgie de la Parole qui nous sont proposées en ce dimanche nous disent que la mission est en même temps une moisson. Il y a donc, plus ou moins latents, des espoirs, des ouvertures et des manières de vivre différentes déjà en germe et croissance. La moisson à laquelle nous sommes invités est réelle : le monde  n’est pas rien, il n’est pas que fermeture; il est aussi ouverture. La mission étant aussi moisson justifie une plongée fraternelle et respectueuse, une conversion à notre monde fatigué, abattu et pourtant en attente et déjà porteur d’espoirs et même d’expérience de vie fort valable. Sur nos routes, et peut-être très proches de nous, il y a des gens qui, malgré tout, voient déjà et mieux que nous ce qu’il y a à vivre autrement. Ce qui est  alors requis, ce sont des moissonneurs, des accoucheurs, des accoucheuses de ce qui est enfoui, en dormance.

Au nom d’un certain prosélytisme, on peut être porté à courir après les Samaritains (il n’en reste plus beaucoup), mais il y a beaucoup de personnes qui, comme la samaritaine au bord du puits, ont une attitude de recherche et l’audace de questionner, d’aller voir, de regarder ce qui se passe sous leurs yeux. Il se peut que nous soyons dans ce paysage-là. Mais ce n’est pas à nous de l’inventer, de le proposer. Il est déjà là, comportant des bribes  de la Bonne nouvelle, qui ne doit pas envahir, mais être cueillie, moissonnée en certaines ébauches de vie nouvelle à inventer, à flairer tout d’abord.

La responsabilité de la moisson est celle de tous les baptisés et de tous les gens qui croient en la  restauration de l’être humain, de tout l’être humain. Et ce qui est blessé chez l’être humain, c’est surtout "l’âme", l’intérieur. Jésus a été surtout préoccupé de cet aspect-là, sans négliger les autres aspects. Jésus donnera aux apôtres la mission de contribuer à recréer l’intérieur de l’être humain.

Avant de choisir ses douze plus proches disciples, Jésus les invite à la prière, la mission étant surtout une intériorité, c’est-à-dire une manière d’être présent au monde. Une manière qui est une vie qui peut toucher les cœurs, les intéresser à une vie  porteuse d’une vigueur nouvelle. Nous sommes invités à vivre d’une manière qui soit pour nous "Bonne Nouvelle", une Bonne Nouvelle qui pourra être transparente à l’heure de l’Esprit. La mission qui est moisson, c’est se savoir responsable de la création, comme l’a écrit, il y a 30 ans, Roger Garaudy. Pour lui, le chemin de cette prise de responsabilité, c’est la pratique des vertus théologiques : Foi, Espérance, Amour.

La foi — C’est une décision de vivre avec cette certitude que ce qui est déjà n’est pas tout. Sans  cette conviction, il n’y aurait plus de liberté, ni créativité, puisque nous serions totalement figés, immergés dans une réalité bloquée que nous n’aurions plus à faire fructifier, à transformer, à dépasser.

L’espérance — Une décision militante de vivre avec une conviction : nous n’avons pas exploré tous les possibles, si nous ne tentons  pas l’impossible, c’est-à-dire ce qui n’est ni le prolongement, ni la résultante du passé et du présent.

L’amour — Une décision créatrice d’avoir foi dans l’autre comme capable de l’impossible.  L’amour, c’est donc en chacune, chacun l’amour du ressuscité qui nous habite et pousse au-delà de nos frontières trop bien balisées.

Parmi les activités de notre communauté chrétienne, il y a des équipes de partage, de réflexion et de présence au monde, il y a des repas communautaires qui permettent d’évoquer l’impossible dans un climat de cordialité, et non menaçant; il y a une écoute du monde  guidée par des gens pertinents que nous invitons à partager leur manière de vivre, il y a des initiatives que nous prenons en groupe ou en nous insérant dans le milieu; il y a déploiement de charismes peut-être emdormis. Tout cela nous invite à certaines manières de vivre différemment. Tout cela nous rappelle que rien n’est figé, que ce qui est n’est pas tout, n’est pas le dernier mot et que l’avenir est possible.

Au cœur de certains regroupements, se vit  une exploration des possibles qui seront vécus comme expérience qui pouvait sembler impossible.

La moisson est abondante : l’attente  active est là; la mission consiste à en prendre conscience. Il faut parfois de l’audace. Seul ce peut être difficile. En communauté, on peut déjà mieux expérimenter l’impossible qui devient possible.

Quand on dit et répète que les ouvriers de la moisson sont peu nombreux et qu’on trouve cela tragique, il ne faudrait pas oublier que la moisson est abondante, que nous sommes un peuple en marche et une  "nation sainte", i.e. qui pratique les vertus théologales. Bien sûr que le manque d’effectifs-prêtres inquiète. Mais cette diminution n’est pas la seule donnée à prendre en compte. Il y aussi et surtout à considérer le problème de la relève de nos communautés si l’on veut appeler des disciples à des services pastoraux.

Enfin, n’oublions pas la dernière phrase de la lecture évangélique : "Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement". Là se joue la différence chrétienne.  L’évangélisation n’est pas un marchandage ou une compétition, mais un appel à épouser la manière de faire de Dieu lui-même.  Manière qui nous a été illustrée par Jésus et de nombreux disciples, pour la plupart bien modestes et très humbles.