« Un délestage nécessaire »
Avec
une joie enrobée de naïveté, les apôtres ont repris
contact avec leur « maître » ressuscité.
Temps d’apprivoisement et d’apprentissage. La voie a été ouverte.
Les ancrages de son groupe sont consolidées et le pain partagé de
nouveau avec eux, et voilà que sous leurs yeux, Jésus se retire
et disparaît après leur avoir confié de sérieuses
responsabilités : « Allez donc, de toutes les nations
faites des disciples, baptisez-les. »
« Gens de Galilée, pourquoi restez-vous
là à regarder
le ciel? »
Pourquoi? Mais parce que nous avions des projets ensemble,
parce que nous avons besoin de lui, parce qu’il ne peut pas nous abandonner
comme cela…
Second deuil, silence lourd, tristesse de l’âme, inquiétudes et
doutes qui montent.
Jésus s’arrache à ses disciples c’est le
prix de leur maturité dans la foi. Il croit en eux.
Pour les apôtres, c’est la dépossession
du confort de la guidance et
Une naissance à la prise en charge de leur propre
chemin de foi.
Jésus libère les entraves de la dépendance
et met ces hommes debout et en marche.
Mais il y a un passage obligé : c’est la séparation.
Notre foi n’est-elle pas faite du deuil d’un certain type
de présence?
Il ne reste qu’une présence de foi liée à une
absence : Jésus devient l’Absent présent autrement.
« Gens de Galilée, pourquoi restez-vous
là à regarder
le ciel? »
Moment de grande émotion pour ces hommes redevables à leur « Rabbi » d’une
vision autre sur l’orientation de leur vie, d’une complicité quotidienne
sur les routes de Palestine et d’un grand renversement dans leur cheminement
spirituel.
Une espérance s’évanouit, une amitié s’interrompt… seule
une promesse demeure :
« Vous recevrez une force, celle de l’Esprit et moi je
serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. »
La foi des apôtres est appelé à gagner en profondeur, à intégrer
l’héritage reçu, à devenir témoins, à s’ouvrir
avec confiance à la vie et à le reconnaître dans leur
itinéraire.
Quelle pédagogie que celle de Jésus! L’Ascension ne
vient-elle pas re-questionner notre relation à Jésus?
Qu’est-il pour nous : un faiseur de miracles, un prophète
libre de l’histoire, un intermédiaire dans notre lien avec Dieu,
un frère dans la foi, une parole pour le présent, etc.?
Qu’est-il pour nous?
Quelle belle coïncidence que la fête de l’Ascension
concorde avec la fête des mères, cette année! Car
les mères cherchent aussi à mettre des êtres debout, à les
rendre autonomes, responsables de leur choix, fidèles à leurs
engagements, riches d’humanité et de capacités d’aimer.
Ne dit-on pas qu’elles « élèvent » (entre
guillemets) leurs enfants?
Comme Jésus a fait naître chez de simples pêcheurs,
chez des fonctionnaires, des intellectuels, des femmes et des soldats un
nouveau rapport à Dieu,
comme Jésus a suscité la passion de la transmission
du sens de sa vie et le goût du service des autres,
les mères charnelles (dans leur chair), les mères
spirituelles ou les mères d’adoption donnent naissance à des êtres
qu’elles tentent d’ouvrir à l’accomplissement et
au bonheur, avec les limites et les forces de leur histoire personnelle.
Et viennent les jours d’ascension, où elles doivent donner du
leste, lâcher prise sur le devenir de leurs enfants afin qu’ils
signent leur propre histoire.
Moment de distanciation d’un lien fort, moment de deuil pour
elles et leurs protégés, mais moment aussi, où la confiance
acquise et donnée s’inscrit au cœur de la personne comme
un repère pour la suite du parcours…
L’Ascension n’est-elle pas un moment charnière
pour nous les chrétiens, pour nous encourager à aller de l’avant,
malgré les défis, les silences, les incompréhensions,
dans la confiance que Jésus a eu et a en tous ceux qui poursuivent
le rêve de Dieu : une humanité pleinement humaine!
Jésus nous laisse sa place et nous renvoie à nous–mêmes!
A chaque fois que nous nous rassemblons pour refaire ce geste
très
humain du partage du pain, notre foi se refonde. Partage humain en souvenir
de lui, partage de foi à rendre présente cette absence
de Jésus. N’est-ce pas le sens de l’expérience
de foi et de la responsabilité laissée aux disciples?
« Gens de Galilée, pourquoi restez-vous
là à regarder
le ciel? »
Regardons le monde à notre tour… à nous
de changer le mouvement des choses sous la mouvance de l’Esprit.