JÉSUS, PASTEUR DE TOUS
Nous venons de proclamer un texte évangélique
où Jésus
lui-même explique sa parabole en affirmant qu’Il est le pasteur
(…) qu’Il est la porte ouverte sur la vie en plénitude.
La parabole en général laisse entendre que celui qui est la porte
et qui entre par la porte dégage déjà transparence, respect
et authenticité. Il dispose l’autre à l’accueil,
l’écoute et peut-être à l’engagement. Après
2000 ans d’histoire, ce pasteur est-il reconnaissable aujourd’hui? À ce
propos, chacun de nous aurions bien un témoignage à offrir
sur les circonstances et la manière dont Dieu a été perçu à l’œuvre
dans un itinéraire de vie individuelle ou collective.
Comme j’ai la parole, permettez-moi de relire quelques
situations d’un
vécu missionnaire à Hong-Kong et ici. Rappelons en passant que
la population de 6 millions à H.-K. comporte 10% de chrétiens,
dont 5% de catholiques et 5% de protestants. Parmi ces derniers, le Rév.
Peter Lee, chinois et pasteur dans L’Égl. Méth., fondateur
et directeur d’un centre œcuménique à Kowloon. Cet
homme m’avait avoué que depuis longtemps, il avait une impression
inconfortable que le christianisme faisait un peu importé à H.-K.
Ce sentiment aliénait sa perception du monde et de Dieu. Mais il « tenait
bon » dans son ministère et « il confiait son
doute à Celui qui juge avec justice ». Alors entre doute
et foi, il s’informait parfois comment était la prière
des participants de nos groupes de partage de foi. Était-ce prière
réelle ou simplement répétitions de choses apprises? Il
n’était pas facile de lui répondre, mais nous portions
ensemble ce point de cheminement, moi comme étrangère et lui
comme citoyen originaire du milieu. Silencieusement, du fond de son être,
chacun de nous priait « son » pasteur…
En même temps, nous étions en pleine crise d’insécurité sociale
autour de l’événement choc du massacre des jeunes à Pékin, à la
Place Tiannamen. La culture chinoise s’ajuste mal aux démonstrations
publiques avec pancartes, mais quand même qui allait se lever et s’affirmer
contre ce geste humainement inacceptable? Contre toute attente, c’est
le peuple de H.-K. qui s’est levé. Dépassant leur peur,
tous ensemble, gens de tous âges et de toutes allégeances religieuses,
sans « escalades » déréglées, ils
se sont révélés les uns aux autres en même temps
qu’à leurs gouvernants, les bases de justice, de transparence,
de respect et de liberté avec lesquelles ils voulaient vivre. En somme,
ils se sont engagés selon des valeurs humaines, chrétiennes et
autres, inspirées du plus profond et du meilleur d’eux mêmes.
Ce fut donc en plein cœur de ce bouleversement social
que mon ami s’est
trouvé libéré de son doute et gratifié d’une
vie chrétienne et pastorale plus heureuse. La profondeur d’engagement
unanime de son peuple lui a montré l’égale profondeur de
sa foi. Il a avoué aussi que ça lui a fait voir le Christ de
façon différente, c.a.d. « le Christ-pasteur respectueux,
attentif et proche de chacun et chacune dans ses sentiments et ses situations
historiques ».
Et nous ici au Québec, la société pluraliste
dans laquelle nous vivons, ne serait-elle pas une des situations où le
Ressuscité et
fidèle Pasteur intervient pour ouvrir notre vision de Sa mission et
pour stimuler notre confiance. Ouvertement ou non, n’avons-nous pas craint
que le catholicisme ne devienne qu’un « simple naufrage des
années de la révolution tranquille »? (1) De plus,
il n’y a pas très longtemps, nous opposions encore catholiques
et protestants, les chrétiens et les autres, notre culture et celle
des autres, l’expérience chrétienne et l’espace publique,
la jeunesse et l’âge d’or.
Nous pouvons en prendre conscience, quelque chose est à se
produire pour renverser nos oppositions. En effet, des signes laissent croire
que nous serions prêts à accepter que d’autres religions
et d’autres
cultures soient aussi des réservoirs de valeurs à mettre en œuvre
en toute solidarité pour un monde nouveau, c.a.d. plus juste et fraternel,
selon le projet du Père de tous. Dieu intervient à travers les
quelques exemples suivants, pour ne mentionner que ceux-là :
-
La journée mondiale de prière des femmes, activité annuelle
de mars, a lieu avec forte participation des paroisses locales; une participation
sans frontières culturelles et religieuses.
-
L’institut interculturel de Montréal qui, depuis 1963, rapproche
des personnes d’identités diverses autour de projets d’engagement
social.
-
Le dialogue judéo-chrétien, qui lui aussi depuis plus de
30 ans, favorise une meilleure compréhension mutuelle de l’identité et
du fonctionnement de chacun des partenaires.
À travers ces occasions et d’autres semblables,
nous sommes engagés
en toute confiance sur un chemin d’humanisation, où tous peuvent être
artisans du monde nouveau que chacun souhaite. En effet, ce récit où Jésus
se révèle lui-même être le pasteur est peut-être
en train de nous apprendre à l’accepter spirituellement comme
le « pasteur de tous », celui qui sait rejoindre l’autre
avec respect et authenticité. Ce fut une clé de lecture pour
les situations où nous avons remarqué que :
-
La société et l’Église de H.-K. fut emportée
mystérieusement au-delà d’elle même dans un engagement
périlleux et efficace.
-
Peter Lee fut non seulement libéré de son impression inconfortable
sur le christianisme, mais il devint aussi un pasteur plus serein et plus
incarné dans sa culture.
-
Et nous ici, de plus en plus sensibilisés aux différences
culturelles et religieuses en venons à une identité chrétienne
plus inclusive.
Nous poursuivons cette Eucharistie
-
en rendant grâce pour le chemin parcouru sur les traces du Pasteur
de tous;
-
en demandant à l’Esprit de soutenir nos gestes d’artisans
dans la ligne de nos prises de conscience.
-
Ainsi, le temps qui vient en sera un de témoignage d’une foi
renouvelée, d’un sens retrouvé et d’une vie rayonnante.
La mission n’est peut-être pas autre chose que cela.