Nous voici entrés dans ce qu'en Église nous désignons comme le temps pascal, un temps pour nous approprier ce que la fête de Pâques essaie de signifier par toutes sortes de symboles. Nous croyons et confessons la Résurrection de Jésus. Nous saisissons qu'il s'agit d'un passage à du radicalement neuf. Mais comment le penser et le déployer un peu plus?

 

1 Que signifie la Résurrection de Jésus?

L'événement de la Résurrection de Jésus est-il

a) comme quelque chose de connu clairement et dont nous nous demandons si cela s'est produit? Ainsi on se demande actuellement s'il y a de l'eau sur la planète Mars. Nous connaissons ce dont il s'agit — l'eau — mais nous ignorons sa présence sur cette planète que nous commençons à fréquenter.

b) comme un miracle? C'est à dire quand Jésus guérit un aveugle ou un paralysé nous avons et connaissons l'expérience de la vue ou du mouvement de nos membres; ce sont des possibilités dont quelqu'un était privé sans espoir de récupération. La guérison est alors retour à la normale .

c) ou autre chose? Avec la résurrection de Jésus, nous ne commençons pas avec sa possibilité et son idée. Jésus ne revient pas à la vie d'avant, les récits évangéliques sont tous d'accord là-dessus. D'où cette surprise, effroi même, et ces doutes. Il s'agit de la présence à une réalité, à une vie toute autre que celle qui nous est connue.

De Jésus aujourd'hui, nous connaissons des choses de lui dont nous avons une idée et qui relèvent du savoir historique. Marcher, raconter, être contesté, être aimé et apprécié, parler, enseigner. Nous le savons et l'étudions par des documents accessibles à tous alors que les contemporains de Jésus, disciples et adversaires, eux en ont eu une expérience directe.

Mais comme ces premiers disciples nous avons à "reconnaître" en Jésus des réalités qui dépassent nos expériences de voir, toucher, entendre… Ainsi ce qu'on désigne par sa Résurrection est le passage de ce monde à celui de son Père; ainsi son identité profonde, que Thomas, allant au-delà du savoir humain exprime en reconnaissant Jésus comme son Seigneur et son Dieu.

Ce passage de la connaissance ordinaire, même quand elle est un savoir, à la reconnaissance qui se réalise dans l'acte de foi, nous est proposé à travers plusieurs récits comme celui des disciples d'Emmaüs. Celui d'aujourd'hui s'adresse à nous directement parce qu' il envisage la situation de tous ceux qui n'ont pas eu de contacts familiers avec Jésus et n'arrivent à le rencontrer que par la tradition chrétienne. On y montre comment est vécu ce passage de la connaissance ordinaire à une foi véritable.

2 Un récit de "reconnaissance" ou acte de foi. Jean 20,19-31

2.1 Peur

Il y a d'abord une "assemblée" de disciples craintifs, enfermés, cachés, derrière des portes closes car ils craignent qu'avec la fin du sabbat, les ennemis de Jésus reviennent à la charge contre eux qui se sont compromis avec lui.

2.2. Shalom 1 Jésus vint (v. 19-20)

Sans qu'ils s'en attendent, et sans fracas, Jésus est présent parmi eux et il les salue par le souhait "Paix à vous", (Shalom, =bonjour) qu'il répétera trois fois. Il est là — dans un tout autre rapport qu'avant sa mort, et les disciples ne savent que penser- "ce n'est pas possible"— Comme dans les autres récits l'acte de "reconnaissance" ou de foi n'est jamais immédiat : les témoins, femmes et hommes, ne comprennent pas, hésitent, discutent, résistent etc.

À cette interrogation muette, Jésus répond "C'est bien moi" : et tout en parlant, il laisse voir les marques de son supplice. Et peu à peu les disciples surmontent leurs résistances et le reconnaissent : "Il est vivant (autrement)". Et une joie jusque là inconnue les remplit.

2.3 Shalom 2 Souffle l'Esprit. (v. 21-23)

Une seconde fois, Jésus leur redit « Paix à vous ». Et il leur confie la responsabilité et la poursuite de sa propre mission.

Et pour que cela se réalise, Jésus reprend le geste de la création :« il souffla et leur dit : « Recevez l'Esprit Saint ». C'est la reprise de Gen. 1,2 « la terre était déserte et vide, et la ténèbre à la surface de l'abîme; le souffle de Dieu planait à la surface des eaux » et de Gen 2,7 « Le Seigneur Dieu modela l'homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l'haleine de vie , et l'homme devint un être vivant. » (+Ez 37,9; Sg 15,11).

Les disciples sont appelés réaliser maintenant ce que Jésus avait commencé, la création renouvelée. Leur mission commence et elle commence tout près d'eux avec leur compagnon, Thomas.

2.4 –Thomas, l'Église à venir.

a) le témoignage des disciples.

Le disciple Thomas était absent à la rencontre avec Jésus ressuscité. Il est la figure de tous les disciples qui n'ont pas vécu les "passages ou apparitions" de Jésus, donc de toutes les générations qui ont suivi la génération apostoliques jusqu'à nous aujourd'hui. Ce sont tous ceux et celles qui arriveront à croire en Jésus ressuscité, commencement de la création nouvelle, seulement par le témoignage des premiers et de ceux qui ont suivi, donc de l'Église. « Nous avons vu le Seigneur! » lui affirment-ils d'un seul cœur émerveillé mais encore craintif.

La suite est magnifique et elle éclaire le chemin de la foi qui nous est possible. La réaction de Thomas est simple et honnête : « Ce n'est pas possible! ». Remarquez qu'il ne méprise pas ceux qui furent ses compagnons dans la marche avec Jésus ni ne les accuse. Mais il ne peut plus avancer même si ce serait pour lui aussi une grande joie. Et il pose sa requête définitive : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n'enfonce pas mon doigt à la place des clous, et si je n'enfonce pas ma main dans son côté,… je ne croirai pas! 20,25-TOB) » La formulation a quelque chose de brutal, horrible même! » "Ils disent avoir vu", à moi aussi de voir, de vérifier par moi-même."

2.5 Shalom 3 La catéchèse de Thomas par Jésus. (v.24-29)

« Huit jours après, ses disciples étaient de nouveau à l'intérieur, les portes étant closes, et Thomas avec eux. » Mais quoi! les disciples joyeux avaient, on dirait, d'un dimanche à l'autre, gardé pourtant la même peur…"les portes encore closes à l'intérieur de la maison".

« Jésus vient, et il se tint au milieu et dit : "Paix à vou." »

Ensuite Jésus va trouver Thomas et commence sa catéchèse : il prend sa requête au pied de la lettre : «  Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et enfonce-la dans mon côté »… Et Thomas de lui-même ne bouge pas! Thomas laisse aller sa demande de voir et de toucher, il l'oublie. Pourquoi? Il saisit que le "voir le Seigneur" de ces compagnons a un sens autre que celui qu'il lui donnait. Il ne s'agit pas de retrouver Jésus comme avant, un mort ou revenant, et de passer de l'incrédulité à la crédulité. Il ne s'agit pas de le "voir et de le toucher" comme avant mais de le reconnaître le même mais devenu autre, passé de ce monde à la réalité du Mystère divin, c'est à dire de croire en lui, "Tu es vraiment mon Seigneur et mon Dieu!" Il ne vérifie pas une possibilité connue par ailleurs, pas même un miracle, mais il est et croit qu'il est devant l'acte final de Dieu recréant le monde en Jésus, premier né d'entre les morts. Un troisième et définitif shalom .

C'est ainsi qu' il "cesse d'être incrédule et deviens un homme de foi."(v.27)

L'expérience nouvelle de Jésus comme Seigneur — celui qu'il suivra dorénavant et aussi comme étant Dieu lui-même créateur et recréateur rejoint et touche en lui son ouverture au Mystère, sa requête la plus profonde d'une paix devenue enfin d'abord possible puis accessible et réelle.

C'est pourquoi Jésus nous dit à nous à travers la figure de Thomas « Heureux ceux qui n'ont pas vu Et qui ont cru! Au texte des Béatitudes (Matthieu 5,1), ajoutons cette nouvelle béatitude. Et nous pouvons conclure en reprenant les mots de la fin de ce récit et de l'évangile de Jean : "il y a d'autres signes qui nous sont donnés pour que nous puissions croire que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu'en croyant nous ayons la vie en son nom". En ces journées où la nouvelle est pour quelques heures la mort du pape Jean-Paul II, il nous revient d'aller plus loin vers ce témoin qui a vécu devant nous de foi, d'espérance et de charité, lui aussi un signe…