De
jardin et de désert
Aller au désert, entrer en carême… Deux images, deux
réalités. La finale de ce passage d’Évangile est
belle dans sa simplicité. « Alors le démon le quitte.
Voici que des anges s’approchèrent de lui et ils le servaient ».
Comme si Matthieu voulait suggérer que Jésus est sorti bien
vivant de cette épreuve. Même entouré d’anges,
Jésus reste seul avec lui-même, avec sa recherche de Dieu et
de son humanité. Devant les invitations qui lui sont faites, Jésus
n’a pas voulu se servir de Dieu comme d’une puissance. Il a voulu être
humain jusqu’au bout. On sent que le désert est le désert
dans toute sa signification. C’est le lieu de transparence, de vérité,
de doutes aussi, comme nous en connaissons tant tout au long de notre existence… Ce
désert, c’est aussi notre désert où nous sommes
confrontés à nous-mêmes. Nous aurons rencontré un
homme qui, lui, a vécu là un moment décisif de sa vie.
À des années lumières l’un de l’autre,
le récit des tentations de Jésus au désert et celui
de la femme et de l’homme de la Genèse qui sortent de leur paradis
pour avoir succombé à la saveur du « fruit défendu »,
se rejoignent dans une sorte de nudité : « ils
virent qu’ils étaient nus ». C’est ainsi
que l’histoire commence, la nôtre, celle de Jésus aussi.
À sa manière aussi, Jésus a dû se sentir nu.
L’humanité nue. La femme et l’homme de la Genèse
restent seuls avec eux-mêmes, mais ils ont désormais les yeux
ouverts. À eux maintenant d’apprendre et de savoir regarder
l’avenir
de leur humanité; ils commencent à sentir que la qualité de
la vie humaine est une question de choix, de regard. Comme l’homme
et la femme, les premiers, et d’une manière aussi difficile
et fragile, Jésus doit faire un pas d’homme libre, inscrire
sur son visage un trait qui ne s’effacera pas. Jésus au désert,
devant les trois invitations qui lui sont faites, refuse de s’y engager
parce qu’il les perçoit comme une impasse. C’est l’homme
libéré qui entre en paix avec lui-même. Le jardin, le
désert ont des odeurs de Dieu; des odeurs de notre humanité aussi…
« Leurs yeux s’ouvrirent. » C’est
un appel pour nous. Le carême, temps du regard, des yeux ouverts
sur notre humanité. Qu’allons nous en faire? Regard sur
Dieu : quel sens a-t-il dans nos vies; un Dieu qui devient si
proche, qui nous ouvrent les yeux à travers le parcours de vie
fait de tentations, de souffrances, de joies, de désirs, tout à la
suite de Jésus. N’est-ce pas cela vivre du désir… de
l’humanité, du désir de Dieu?
Après ces tentations, Jésus vivra, il parcourra sa vie. Adam
et Ève vivront, construiront leur vie, leur humanité dans la
souffrance et dans la joie. Nous sommes à la fois de Jésus
et de cet homme et de cette femme. Les yeux ouverts, les tentations qui vont
revenir. Jésus aura été tenté toute sa vie et
pas seulement au désert… Tenté de sortir de son humanité,
de notre humanité, comme nous parfois, alors qu’il était
venu pour en vivre : des foules voulaient le faire roi; tenté par
des gens qui réclamaient des miracles comme pour sortir de la vie;
tentée à la fin de sa vie quand il prie au jardin de Gethsémani.
Eût-il été vraiment un homme, s’il n’avait
pas eu à lutter contre le mal?
Les récits de l’Évangile et de la Genèse nous
invitent à prendre au sérieux notre présent, notre force
de fécondité. Nous sommes conviés à espérer.
Rappelons-nous : des descendants de cette première femme, sortira
Jésus. Et c’est tout l’esprit de Dieu, la force de Dieu
et la force d’humanité qui est investi dans cet homme qui traversera
la mort vers la vie.
En ce temps de carême, nous sommes invités à prendre
au sérieux ce que nous sommes : des femmes et des hommes blessés,
tout comme Jésus qui a fait partie de cette humanité blessée.
Mais nous sommes convoqués à regarder en avant. On nous dit
que le salut est au milieu de nous. Nous ne sommes pas arrachés à notre
présent pour regarder en arrière, mais pour accueillir l’avenir.
Oser être soi-même. Nous sommes appelés à être
pleinement vivant, des femmes et des hommes de désir. Plus nous sommes
humains, plus nous nous rapprochons de Dieu, qu’on en soit conscient
ou pas. C’est avec tout ce que nous sommes, que nous nous mettons en
chemin vers Dieu. L’expérience nous fait toucher du doigt nos
limites et nos fragilités. C’est avec cette réalité souffrante
qu’on peut parcourir notre chemin d’humanité et, pourquoi
pas, de sainteté.
Ce premier dimanche de carême, c’est le dimanche où nous
regardons Jésus en train de faire des choix. On est toujours confronté au
choix d’une voie de facilité ou d’une voie de l’effort.
Montrer aux humains qu’ils sont des humains et comment assumer son
humanité.
Le Carême, temps pour nous ramener à nos racines. Dieu a développé en
Jésus des racines de plus en plus étendues à même
notre humanité. Le carême, temps de rajeunissement de l’amour
quotidien, de la confiance en Dieu. Temps d’apprentissage. Réaménager
et élargir l’espace quotidien aux dimensions de l’Évangile.
Carême de nos fragilités, de nos vulnérabilités,
de nos espoirs, de notre espérance. Jésus, dans sa plus grande
vulnérabilité qui le révèle dans son humanité de
Fils de Dieu. Avec lui, nous sommes invités à traverser
la croix et le tombeau vide vers la résurrection. Y consentirons-nous
comme individu et comme communauté? Comme la femme et l’homme
du jardin, comme Jésus, nous sommes nus. Cette nudité-là,
nous n’avons pas à la cacher. C’est le risque de la liberté.
Le temps du carême est sur notre route pour nous le rappeler.