« Maudit bonheur… »

Il disait heureux… Heureux êtes-vous… Les béatitudes, c’est tout le sens de la vie de Jésus. À force de les entendre, elles sont devenues comme une sorte d’incantation qui nous revient souvent dans la tête, telle une mélodie bien connue, qui fait plaisir. Les béatitudes parlent de bonheur… La chanson, elle, dans une parole et une musique belles et si inspirantes, prend le bonheur à partie : « tiens, v’la l’bonheur, où c’est qu’t’étais? maudit bonheur… »

Quel bonheur cherchons nous demandait Monique Morval en ouverture de notre célébration?  Tant de voix nous en parle; tant de voix et d’images nous donnent les recettes de bonheur qui valent ce qu’elles valent… Mais l’important n’est-il pas de ne jamais s’arrêter en chemin. Le bonheur est une quête?

Ce midi encore, on ré-entend ces paroles, cette voix de Jésus, une voix qui vient de la montagne; une voix parmi d’autres, une voix à la fois si fragile et si forte, comme le bonheur, et qui a traversé les siècles; une voix qui a  grandi à la mesure de sa vie, de sa mort aussi. Une voix qui a du prix à nos yeux.

A chaque fois que j’entends ce passage des béatitudes, aussi maître en sacrée théologie que je sois — je n’y ferai plus allusion… — je me pose toujours  la même question : qu’est-ce que, d’une année à l’autre,  j’entends et je comprends de ces béatitudes? Je me suis bien retrouvé dans cette anecdote d’un comédien français. Depuis quelques années, ce comédien, Raymond Gérome, se promène à travers la France et met en scène la lecture de l’évangile selon Marc. Il a raconté ceci : un soir, après une représentation de l’évangile selon Marc, un homme se présente dans sa loge et  lui demande : « Comprenez-vous tout ce que vous dites? Il lui répondit : « non, monsieur. »  Et cet homme ajouta, « Moi non plus, et cela fait quelques années que j’essaye! »  Cet inconnu c’était un évêque. En plus de me réconcilier avec moi-même, ça m’a appris à ne plus jamais désespérer des évêques.

Comme vous tous, en écoutant les béatitudes, j’essaie d’entendre ce que je n’ai encore jamais entendu. Comme vous, j’entends parler du bonheur. Je cherche où je peux le mieux le trouver. J’en cherche le sens pour ma vie de ce temps; j’en cherche le sens  pour et avec la vie des autres. Je sais que ces béatitudes s’adressent aux disciples, c’est-à-dire, à ceux et celles qui suivent déjà Jésus et qui sont sensibles aux harmoniques de vie qu’il proclame. Ces béatitudes peuvent être reçues pour des gens qui sont en marche ou qui veulent se remettre en marche et qui cherchent encore quelques espoirs. Et je sais que le bonheur qu’il  proclame  est quelque chose de fragile, d’étrange même, qui demande que nous soyons en éveil constant, éveillés sur la vie. Ces mots, un peu fous, parlent de pauvreté, de douceur, de justice, de paix, de royaume… des mots que l’on essaie de  se dire, par exemple, au forum social de Porto Alegre, des mots égarés dans le temps, mais qui traversent le temps. Et la même question est toujours, persistante, présente : Qu’est-ce qu’être heureux? Qu’est-ce que le bonheur? À la question : qu’est-ce que le temps, S. Augustin répondait : « Si personne ne me le demande, je le sais. Et si quelqu’un pose la question et que je veuille l’expliquer, je ne sais plus (Les Confessions, l livre XI, XIV, 17). Pourtant, je sens qu’il y a là un sentier, un chemin  qui tient la vie en alerte.

Je commence à saisir, à travers cette voix, que les doux sont des êtres courageux, qui, au creux des épreuves, restent capables de patience et de sérénité. Je commence à comprendre que les artisans de paix, sont des « faiseurs d’avenir »; que  les pauvres en esprit, ne sont pas des  pauvres d’esprit, mais qui cultivent cette attitude intérieure qui prend naissance dans les cœurs brisés, chez ceux et celles qui prennent leur courage à deux mains.

Une voix qui retrouvent la vie et les gens ordinaires, des gens qui sont épris de la vie et non des choses de la vie; une voix douce qu’on entend à peine, car nous sommes souvent trop pris par le bruit des vagues fortes et les bruits de la vie.

Une voix qui nous dit qu’être humain, c’est prêter attention à l’autre, faire justice, aimer et encore aimer, même laid, même beau. Le bonheur, c’est une porte qui s’ouvre vers autre chose, vers la vie. Cette voix a eu un visage, un nom, une vie, une mort par amour, c’est Jésus. Heureux ceux qui croit en Lui parce qu’Il nous montre le respect de la vie et des autres, parce que justice est faite. « Maudit bonheur, » pour reprendre la chanson, qui parfois semble nous fuir ou bien qui, tel un visiteur, ouvre une porte, celle de la vie, celle de la résurrection… et qui nous invite à l’accueillir. Le bonheur, il est au dedans de nous, il est en avant de nous, c’est un  chemin, une route.

Dans le terme heureux, je me souviens qu’on me disait qu’il y avait cette image, ce mouvement de souffle. Les pauvres, les doux, les artisans de paix sont proches de leur souffle alors que trop souvent nous nous sentons à bout de souffle… Proche du souffle, c’est le royaume. Ils sont pauvres, ils sont doux, ils sont artisans de paix, ils ont des gros défauts et en même temps on se retrouve en eux. Ce qu’il y a de fou, ce qui est faible, ce qui n’est rien, voilà ce que Dieu a choisi, nous disait Paul à l’instant.

Ayez du souffle; aidez ceux qui n’en ont pas ou qui n’en n’ont plus, parce que trop chargés par les épreuves ou les besoins de la vie… Cherchez le Royaume, c’est chercher son souffle. Croire que les gens les plus pauvres nous révèlent quelque chose de l’Évangile; ils font bouger les choses. Ils nous invitent à devenir nous-mêmes et non à devenir comme eux; les béatitudes nous disent cela; c’est un appel.

Jésus parle d’amour dans la fragilité de la vie. Il offre un espoir. Comme a dit quelqu’un dans l’équipe, les béatitudes sont une invitation à ne pas dormir sa vie, mais à la vivre. Heureux les personnes qui ont du souffle, cela ressemble à l’esprit du Christ.