La fête de l’Épiphanie, aussi bien que celle du Baptême de Jésus, désigné « Agneau de Dieu », qui célèbrent, la première, sa première manifestation aux peuples de la terre lointaine symbolisés par les mages, et la seconde le début de sa mission évangélique, ont pris longtemps pour nous par la prédication une coloration « missionnaire et sacrificielle » afin d’extirper, croyions-nous, le « péché » du monde entier. « Missionnaire », « péché », « Agneau de Dieu» : il y a là, reconnaissons-le, un vocabulaire assez déconcertant, qui ne passe plus, car il irrite notre sensibilité religieuse d’aujourd’hui. Il s’accorde mal avec notre manière de penser et vivre la foi chrétienne. Notre compréhension n’est plus celle du petit catéchisme d’autrefois.

Pour nous, la foi, dans son « mouvement profond » est une attitude d’accueil par laquelle nous nous rendons solidaires de toutes les réalités humaines et décidons par conséquent d’aller, non seulement jusqu’aux confins géographiques du monde, mais jusqu’à l’extrémité de l’humain, là où l’œuvre recréatrice de l’Esprit travaille pour nous et à travers nous. En d’autres mots, consciemment ouverts et perméables à l’Esprit, tout en étant délibérément attachés aux choses de la vie, les croyants sont des hommes et des femmes d’espérance qui savent que s’opère en eux et par eux la « conversion spirituelle à l’humain » grâce à laquelle le monde — par le dynamisme de l’Esprit d’abord — se transforme graduellement et invisiblement en Royaume de Dieu. Par l’attitude de la foi ainsi comprise, et surtout ainsi vécue, le monde est fondamentalement « évangélisé », c’est-à-dire atteint, interpellé et transformé peu à peu par le dynamisme de l’Esprit.

Croire ainsi et évangéliser ne constituent plus deux temps ou deux tâches successives et différentes. Elles se fusionnent ou mieux se conjuguent et leurs exigences sont les mêmes : elles réclament, toutes deux, de nous l’ouverture de cœur à l’Esprit de Dieu et la solidarité active avec les hommes et les femmes de ce temps, véritables artisans d’un monde en devenir comparable au labeur de l’enfantement.

Si Jean-Baptiste invitait et incitait tous ceux qui venaient vers lui à se plonger dans l’eau du Jourdain et à se convertir au partage avec les autres, c’est parce qu’il pressentait qu’en les orientant ainsi vers les « communions de la vie », il les préparait à accueillir celui qu’ il annonçait et qui les baptiserait dans l’Esprit et dans le feu, transfigurant ainsi « les solidarités du temps en liens d’éternité ».

Si bien que la RÉVÉLATION de l’Évangile de Dieu, c’est le don de l’Esprit présent et à l’œuvre parmi nous. C’est lui qui, au cœur des solidarités humaines, nous fera annoncer l’Évangile par le partage de la vie des hommes, des femmes et des enfants d’aujourd’hui, partage assumé bien sûr à la manière de Jésus, suivant son Esprit de fraternité universelle.

Admirable attitude que celle de Jean-Baptiste, faite à la fois de vénération et de confiance pour l’engagement humain envers les autres! Sans doute, cette attitude d’ouverture à l’autre ne provoquera pas automatiquement la foi, mais par une sorte de contagion, elle communiquera à d’autres le sens de la dignité et du respect, le goût du bonheur partagé, la volonté et le courage de vivre qui sont les terrains propices au travail de l’Esprit.

Bref, être loyalement humain et en même temps tout entier sensibilisé à l’Esprit de Dieu, c’est une double exigence qui s’impose à nous. Exigence difficile à vivre — c’est vrai! — dans le déroulement accéléré et trop éclaté de nos existences quotidiennes. Mais cette double exigence peut être, en revanche, le ressort de notre prière eucharistique d’aujourd’hui où nous pourrons rendre grâce à Dieu de la présence de son Esprit qui vient et veut demeurer sur chaque être humain qui l’accueille.