Une plongée de solidarité

" Voici que les cieux s’ouvrirent et que l’Esprit descendit " (Mt. 3). On espérait depuis longtemps cette déchirure du ciel; le prophète Isaïe, vers le 6e  siècle avant la naissance de Jésus, avait exprimé à son Dieu cette attente : " Oh, si tu déchirais les cieux et si tu descendais " (Is. 63, 19). Dieu, comme l’espérait son peuple, déchire le ciel et met fin à cette séparation entre la terre et le ciel, entre le monde des humains et le monde de Dieu. Dieu descend en Jésus : une plongée de solidarité. À une première descente en humanité par sa naissance, Jésus ajoute une deuxième descente : il se fait baptiser parmi les pécheurs. Habité par l’Esprit, Jésus se laisse plonger au plus profond de la condition humaine. Notre baptême, à la suite de celui de Jésus, sera aussi une plongée en la création avec un respect infini. On nous déclare que Dieu sera notre soutien et qu’en nous il mettra sa joie. Sur nous, reposera aussi l’Esprit de Dieu.

Ces déclarations devraient avoir des conséquences dans la poursuite de nos existences de terriennes et de terriens. Notre charte de baptisés est bien évoquée par l’extrait du prophète Isaïe que nous avons entendu tout à l’heure (Is. 42). Notre force de baptisés, quelle sera-t-elle? Elle sera douceur. Donc, pas de cris revanchards et inutiles. Pas de hausse de ton qui brise nos voix et écorchent les oreilles des autres. Pas de gros sabots qui écrasent le roseau froissé qui mérite encore confiance. Pas de souffle brutal pour éteindre la mèche encore fumante, dont on ne doit pas désespérer. Voilà des images parlantes qui nous disent le Dieu que nous sommes invités à imiter : le Dieu plongeant en Jésus dans notre réalité infiniment respectable. Le baptême du Christ est sa plongée au milieu de nous qui reconnaissons le grand pardon du baptême à la suite du baptême de Jésus qui se fait solidaire de l’humanité dans sa richesse et sa pauvreté de roseau fragile et de mèche encore fumante.

Le baptême est la fête du grand pardon. Le baptême n’invente pas le grand pardon : il le révèle et le célèbre. Car Dieu nous offre  alors de manière plus explicite un pardon radical qui sera signifié tout au long de la vie. " Le baptême donne, pour la suite de la vie, une sorte de droit inaliénable au pardon ". Les premiers chrétiens ont pris cela très au sérieux. Mais ce grand pardon, on en est venu à le multiplier, à l’égrener de manière excessive, ce qui a contribué à rendre malades beaucoup de consciences en raison d’une culpabilité écrasante. On en est arrivé à vivre le sacrement du pardon comme une démarche au tribunal au lieu d’un moment de grâce du grand pardon réaffirmé et appliqué avec joie à nos vies, alors invitées à découvrir dans une confiance nouvelle de nouveaux seuils  de responsabilité, de nouveaux chemins de bonheur. Comme l’a écrit le Père Congar, " il n’y a pas un monde voué à la perdition   et  dont  quelques  individus  seraient sauvés comme par miracle et transposés dans autre chose, mais c’est le monde qui est sauvé, c’est le monde qui est aimé. On pourrait reprendre le mot de Péguy : " le salut, c’est la réussite " (Conversion à l’homme, 1967). La réussite, non pas en nous prenant pour des dieux et essayant de l’exprimer par des tours de Babel qui s’écrouleront en nous laissant dans la confusion et la peur.

La sagesse de l’esprit de Jésus annoncée  à son baptême et qu’il nous est donné de partager pourra nous inviter à ne pas trop construire en une hauteur qui donne le vertige et dont les conséquences peuvent être néfastes. Dans une chronique que fait régulièrement dans la revue Panorama  Yves Duteil, auteur-compositeur-interprète et maire de Précy-sur-Marne, il était question en octobre dernier, du changement d’altitude ou de manière de vivre. Quelques phrases, je cite :

" Notre nature combative nous pousse à lutter contre les éléments…

L’avion avait ouvert une ère de progrès à contre-vent. Or, l’avenir de la planète exige à présent de revoir à la baisse la toute puissance des moteurs, qui polluent et consomment trop d’énergie ".

Il va peut-être falloir changer d’altitude. La spiritualité, écrit encore Yves Duteuil en apporte l’exemple en rendant conscients nos actes quotidiens pour y introduire l’esprit. Face à l’adversité, entravés dans nos certitudes et nos convictions, chaque problème vital nous invite à penser différemment. L’esprit est un gouvernail de profondeur. Il nous ouvre les chemins de l’altitude ". Une altitude plus appropriée à des êtres à la fois riches et pauvres, des êtres pardonnés, sauvés, aimés et ainsi plus réalistes. Des êtres qu’une plongée de solidarité de notre  Dieu ne cesse de rejoindre pour les inviter à une vie nouvelle qui leur convienne davantage et les rende plus heureux.