Épiphanie. Christ, Lumière
des nations.
Épiphanie, une expérience de mondialisation.
1) En ce passage à l'année
nouvelle 2005 commencée hier, beaucoup profitent de l'occasion
pour se situer dans leur aventure individuelle, familiale, et même dans
l'histoire collective. C'est comme le navire ou l'avion qui en
cours de voyage relève sa position. Le texte de l'évangile
de Matthieu – ce récit de la visite de mages d'Orient – est le
relevé de position de communautés chrétiennes fait
après la prise de Jérusalem par les romains, donc
après l'an 70. Sur des chemins d'exil, ils vivent l'entrée
dans leurs communautés de nombreux païens venant, malgré la
précarité de ces églises, partager leur foi « Quand
Matthieu écrit son évangile, les jeux sont faits. Son peuple… a
refusé la foi chrétienne. L'Église se compose donc en
grande majorité de chrétiens d'origine païenne » (A.M.).
Ces communautés de croyants en Dieu et au Verbe fait chair, avaient
donc à vivre une "mondialisation" où le
Christ, roi des Juifs, apparaissait de plus en plus comme
Christ Lumière
des nations, reconnu à partir de signes ambigus, différents,
appropriés à leur condition de païens en voie de conversion.
2) Cette mondialisation, ouverture
au monde étranger, et dans leur propre foi, leur posait des questions,
comme notre mondialisation nous en pose aussi. Ils y répondent
en puisant dans leur héritage des Écritures des présages
ou promesses de cette nouvelle étape où Jésus
ressuscité est reconnu et accueilli par des croyants venant d'ailleurs
que du milieu originel juif. Ils se rappelèrent le prophète
Isaïe 60 : « Debout Jérusalem, les nations
marcheront vers toi et les rois vers la clarté de ton aurore »; ils
relurent le psaume 71 « Donne au roi… ta justice. En
ces jours là les rois de Tarsis et des îles apporteront
des présents ». Ils trouvèrent un signe
ou clin d'œil dans l'histoire du devin, magicien, ou mage
Balaam racontée au Livre des Nombres, ch 22:-24. C'est le récit
d'un honnête mage qui refuse de prononcer la malédiction
sur Israël et finit par comprendre, grâce à son âne, ce
que Dieu attend de lui. Avec l'apôtre Paul (Éph 3, 6), ils
comprirent à leur tour le « mystère du Christ, qui
est que les païens sont associés au même héritage,
(…) au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus
par l'annonce de l'Évangile ».
C'est ce parcours que la fresque des
Mages, rappelle et éclaire :
le cheminement des "gentils" qui nous a permis à nous
aussi de "reconnaître" Jésus, son message, sa
fin tragique et sa résurrection. Rappelons nous aussi que les Églises
orthodoxes ont retenu cette fête de l'Épiphanie comme leur
principale fête de Noël, la fête de la Lumière des
nations, le Christ. La fête de Noël des églises occidentales
est associée au récit des bergers, ces pauvres qui sont les premiers
invités, rejoints dans leur marginalité et leur dénuement
par des anges. Les églises orthodoxes, elles, ont retenu la fête
de l'Épiphanie, et le récit des lointains voyageurs en
quête à leur façon de la lumière du Christ .
Une expérience chrétienne
0) On trouve dans le NT plusieurs
images de l'expérience
chrétienne; vous êtes familiers avec celle du chrétien
comme enfant de Dieu, ou le vrai rapport à Dieu n'est pas celui
répandu de la peur et de l'esclave devant son maître, mais
celui entre un enfant et son parent, père et mère. Mais il y
en a d'autres. Jésus s'adressait souvent à ses auditeurs à partir
de leur métier ou responsabilité de femme et d'homme.
Il y a celle du chrétien comme gérant, manager, à qui
le roi, le propriétaire, a confié son domaine ou son entreprise
et de qui sont attendus des initiatives créatrices,
une compétence croissance et un bilan positif. Pour affronter notre
globalisation contemporaine nous devons développer les qualités de
gérant que je devine être le réalisme, le goût
du résultat, ou efficacité, le leadership, l'invention
de l'avenir pour développer le présent. La fête de l'Épiphanie
nous apporte une autre image de l'expérience chrétienne,
illustrée
par la figure de ces païens éclairés apprenant
peu à peu à "reconnaître" l'Emmanuel, Dieu avec
nous, sans l'avoir connu culturellement, en suivant un itinéraire imprévisible.
Quel est le parcours de ces mages étrangers? Quelle expérience
religieuse et chrétienne s'y exprime–t-elle?
1) Un parcours d'exploration.
Ce qu'ils représentent c'est la
foi comme aventure d'exploration. L'explorateur est une figure identifiable
en regard de plusieurs domaines et
aussi dans celui de la quête religieuse de sens. S'il explore
c'est pour trouver ce qu'en creux il a deviné. Ce n'est
pas le dilettante curieux et touche à tout, téléguidé par
les modes. L'explorateur a un but qu'il n'abandonne
pas. Il prend les moyens et ne se laisse pas déconcerter par les
risques et les obstacles. Il porte un autre horizon qu'il est le seul à deviner.
Il vit de et pour cette certitude première. Il cherche ce qu'il
pourra reconnaître. Ce parcours est symbolisé à travers
le scénario de ces étrangers partis à la recherche d'un
roi nouveau et inconnu à partir de signes qui pouvaient les intrigués.
Ils ont de l'audace, prennent le temps qu'il faut (2 ans), et savent
utiliser les ressources même malveillantes pour finalement "reconnaître" un
roi de condition plus humble qu'imaginé. C'est ce
parcours vers la foi qui devient celui que doivent
prendre les croyants d'aujourd'hui, dont voici quelques traits.
2) L'authenticité.
Ils comptent
d'abord sur leur métier, celui de mages observant le ciel. On
estimait dans ces cultures que le ciel faisait signe quand quelqu'un
d'important venait au monde. Plus le personnage sera important,
plus son astre sera imposant. Chez eux il y a d'abord à la
source, une fidélité intérieure à la quête
de lumière et d'avenir comme chez Abraham, qui lui aussi est venu de
loin et s'était engagé dans l'inconnu de l'aventure.
Cette fidélité intérieure, notons-le, est la condition pour
qu'au terme se réalise la reconnaissance de ce qu'on cherchait au delà des
surprises et des impasses. Ceux qui sont arrivés sont ceux qui
n'ont pas abandonné devant les difficultés et l'obscurité de
l'inconnu. Ces mages montrent l'authenticité mobilisée par la
recherche de Dieu et son premier appui.
3) Le rapport aux institutions.
Qui cherche
le "roi des Juifs nouvellement né" demande les renseignements
requis aux gens du pays, qui trouvent sans doute la question dangereuse,
car une royauté est déjà en place et qui tient à le
rester. Les voyageurs étrangers doivent passer par les élites qui
les renseignent tout en essayant de les piéger pour leurs fins propres.
Les bergers furent mieux servis par les anges. Ces élites ont
quelque chose, la connaissance extérieure de la tradition de la foi
juive, - l'apôtre Paul a fait la même constatation
( Rom 9,1ss) - mais ils ne savent plus s'en servir sinon pour éliminer le
Christ promis. Pour être chrétien et le devenir aujourd'hui
dans cette société, il ne faut plus compter sur sa société et
ses institutions majeures, sur le consensus ou les valeurs prônées
par elle, car comme Hérode et ses conseillers, elle a d'autres intérêts.
Une illustration contemporaine de la ruse des mages qui déjoue
celle d'Hérode : Une russe professeure de philosophie sous
le régime communiste et qui cherchait à connaître l'héritage
chrétien mais qui ne pouvait trouver de Bible, le livre étant
interdit, a raconté comment ses amis et elle recueillaient
des articles et des ouvrages de propagande antichrétienne et y
découpaient les citations bibliques pour les recoller en un
texte d'évangile ou autre. C'était le geste d'une
mage. Les chercheurs mages savent aller à l'encontre de ce qui
est présenté comme plausible et normal par leur milieu
et culture. Ils ne confondent pas la facilité de la plausibilité et
l'étonnement de la vérité.
3) La joie.
Un dernier trait, l'explorateur chrétien voit les
signes devenir plus parlant. Il sent qu'il s'approche malgré les conditions
pénibles. Tout n'est pas évident,
mais sa route est la bonne. Encore un coup de cœur et nous y serons. « A
la vue de l'astre ils se réjouirent d'une très grande
joie. »
La liturgie
de Noël connaît Jésus comme signe de contradiction, elle évoque dès
la naissance la lutte de Jésus contre les forces de son milieu
et sa mort conséquente, et pourtant elle est traversée par
des symboles d'une joie hors de l'ordinaire. Joie qui nous irrite peut-être
et surtout semble exagérée. Cela contredit notre univers
qui cherche surtout le "fun".
Conclusion
Nous commençons à retrouver
dans nos églises le
souci du parcours et du cheminement nécessaire pour devenir chrétien.
On ne naît pas chrétien mais on peut le devenir. Et pour qui vit à une époque de
l'instantané - repas, photos, message - le récit des mages venus
d'Orient rappelle qu'un parcours prend du temps, plus de temps que le reportage
télévisé. C'est le premier chantier – ecclésial
- suggéré par
la fresque des mages.
Et le second chantier,
c'est qu' en affrontant ce passage ecclésial vers le parcours ou cheminement,
nous pourrons construire notre apport à la globalisation
actuelle des sociétés. Le défi de la mondialisation qui
comporte trois dimensions ou aspects, politique, économique et
culturelle, peut-il être relevé sans s'appuyer sur et se
nourrir à une quête radicale de sens, sans revisiter avec
un angle nouveau trois problèmes anciens, la transcendance de
Dieu, la liberté humaine et la vérité?
Si la foi chrétienne n'est pas notre
propriété privée,
le monde non plus ne nous appartient pas et il ne survivra au "choc
des civilisations" qu'en le partageant avec les autres à partir d'appuis
dépassant et assumant le politique, l'économique et le culturel.