Quand
Dieu naît au monde… et nous ?
Ce
récit de Luc a traversé des siècles et des cultures
pour nous rejoindre dans la fête. Il nous est offert. C’est un
cadeau. On le raconte comme on raconte tant de fois dans une famille la naissance
d’un enfant. Que nous soyons des invités de passage ou des habitués
de nos dimanches, en venant, ce soir, dans cette assemblée, nous entendons
tous le même récit et nous l’accueillons là où nous
nous sommes dans la vie. Ce récit de la naissance de Jésus
est merveilleux et à quelque part naïf; c’est ce
qui fait qu’il nous enchante dans la nuit, dans nos nuits, et qu’on
le reprenne depuis tant de siècles sur tous les tons, sur toutes les
musiques et les images du monde. Il a inspiré tant de désir
de paix, tant de générosité, tant d’espoir. L’enfant étonne
en ce qu’il nous apprend l’abandon et la fragilité. Et
ce récit, n’a-t-il pas ouvert un espace, une fenêtre vers
une humanité nouvelle? Je nous redis encore ce soir : « Amis,
gardons-en souvenance! »
Pourtant, par-delà le merveilleux de ce passage d’Évangile,
la naissance de Jésus a bien dû ressembler à toutes les
naissances qui se vivent, à la fois dans la fragilité et dans
la force de l’enfant qui veut venir au monde. Il n’y a que l’amour
des parents, leurs attentes qui donnent la vie. C’est ce cadeau qui
nous est fait d’un enfant qui, tel un Dieu naissant, fait son entrée
dans notre monde. Les bergers nous ont fait le cadeau de le reconnaître,
les anges sont venus chanter. Aussi, dans cette célébration,
en chantant Dieu qui est né parmi nous, nous nous chantons à nous-mêmes
notre désir de naître. Il y a aussi, dans ce récit, une
pauvreté : pauvreté de la situation de Joseph et Marie
en route vers leur ville d’origine, pauvreté du lieu surtout
sur lequel le folklore de Noël a tant insisté. Il n’y a
pas de naissance idéale, même pour Dieu. Nous sommes au lieu
de cette naissance, c’est Noël.
Un peu à l’image des parents qui attendent
un enfant, nous semblons vivre, depuis plusieurs semaines de décembre
et d’Avent,
dans une sorte de fébrilité. Nous avons entendu bien des musiques
et des airs de Noël. On a magasiné, on a acheté des cadeaux.
On aura peut-être exagéré… On entre dans la fête à la
fois heureux et fatigués, se demandant souvent pourquoi et pour qui
tout cela. On sent que, dans la dynamique de cette fête, il y a quelque
chose de neuf qu’on aimerait voir naître; on sent qu’on
cherche à donner le meilleur en s’ouvrant mutuellement au pardon,
en manifestant notre amitié, notre amour. C’est le temps des
Fêtes, disons-nous, avec ce que cela charrie de meilleur de nous-mêmes,
de désir d’amour qu’on essaie de dire dans des attentions,
des solidarité souhaitées ou retrouvées, mais
aussi dans une regard plus vif sur les blessures des personnes, des familles,
de nos sociétés; un regard plus vif sur toutes les pauvretés
et les isolements que notre humanité, que nous n’avons pas encore
réussi à enrayer. A travers cette fête, une humanité naît,
se vit dans le souvenir de ce Jésus, de ce Dieu qui nous accompagne.
C’est ce qui nous est donné de vivre chaque Noël;
un bon moment d’humanité qui ne demande qu’à se
prolonger tout au long de l’année. L’avenir pour notre
humanité, nous tentons de nous le dire en paroles et en gestes à l’occasion
de la fête, un avenir de l’humanité qui nous interpelle,
qui requiert que nous restions éveillés.
Demandons-nous : où sont nos naissances? Quel
monde avons-nous le désir de faire naître ou renaître? À quel
Dieu avons–nous le désir et le goût de naître?
Dieu, on en parle beaucoup par les temps qui courent. Sa présence
dans la conscience et dans les débats surprend. On avait tellement
prédit son éclipse. Mais de quel Dieu s’agit-il?
Quel Dieu demande à naître à Noël? Cette fête
nous redit : Dieu n’est pas ce personnage puissant, qu’on
a trop souvent raconté. Il ressemble à nos fragilités;
il grandit à même notre humanité. Dieu-avec-nous
nous invite à marcher pour rendre notre entourage plus sensible à la
vie et à ses fragilités.
C’est l’esprit de Noël, chaque fois qu’un geste de
convivialité est accompagné d’un pas vers la justice.
C’est l’esprit de Noël, chaque fois que la tendresse se
fait aussi compassion jusqu’à l’indignation quand c’est
nécessaire.
Noël, c’est la vie dans nos vies qui nous apparaissent
parfois usées et qui appellent des recommencements. Une joie contre
toute désespérance. Nous sommes invités à naître
pour accueillir le vent, l’air, les humains et tout l’univers.
Pour laisser naître et grandir l’Enfant; pour laisser naître
et grandir Dieu, il faut avoir le goût de la vie, de la sienne et de
celle des autres. Il faut aimer la liberté, la sienne et celle des
autres. C’est avoir le goût de la vie à la naissance, à 10
ans, à 20 ans à 50 ans et plus encore quand la nuit se fait
proche.
Ce soir, comme nous le ferons si souvent ces jours-ci en
partageant la table en famille ou avec des amis, nous sommes tous et toutes
invités, dans
cette célébration, à partager le pain et la coupe
de vin en mémoire de Lui, en souvenir de la vie donnée de Jésus
jusqu’à en mourir. En partageant le pain et la coupe,
souvenons-nous qu’il est né jusque dans la mort et la résurrection
pour inventer avec nous l’avenir de notre monde. Un très
Joyeux Noël à nous tous et, pour plus jeunes, permettez-moi cette
fantaisie : un « super cool » Joyeux Noël!