Dimanche de la joie

C’est le dimanche de la joie, mais ce n’est pas encore vraiment la fête. Il faut se réjouir, mais sans exagérer, comme pour en garder pour le jour de la fête. Noël c’est un cadeau, mais Noël ce n’est pas un cadeau. Certains penchent d’un côté, d’autres de l’autre. Faudrait peut-être se brancher et opter pour une affirmation ou l’autre. À moins qu’on veuille dire que ça dépend pour qui on parle, comme dans « Noël, c’est un cadeau pour les enfants, mais pas pour les parents! » Mais est-ce aussi tranché que cela. Si Noël est la venue du sauveur, est-ce que ça ne concerne pas plus les adultes que les enfants? Et à travers tout cela, une autre question m’agace : est-ce que j’attends vraiment quelque chose dans ma vie? Si je n’attends rien, qu’est-ce que signifie préparer la fête, se préparer à la fête? Je ne sais pas si je suis le seul à me poser cette question, mais il m’arrive de plus en plus souvent de me demander si vraiment il y a de l’attente dans ma vie. Est-ce que je n’ai plutôt tendance à tout planifier, tout organiser pour éviter les imprévus et les surprises? Et est-ce que je suis le seul à agir ainsi, ou est-ce que je ne suis alors que le reflet d’un comportement plus généralisé dans notre société? Sans attente, y a-t-il encore un avent possible; sans attente, y a-t-il une joie de l’avent possible?

Des questions, plein de questions et je suis supposé préparer une homélie pour inviter à la joie. C’est pas évident, parce que les questions, ç’a souvent comme effet d’inquiéter, et les inquiétudes, ce n’est pas bon pour la joie, ni pour la fête. En tout cas, c’est ce que bien du monde semble penser, parce qu’ils mettent toute leur énergie à essayer d’éliminer les questions. Tous les humoristes vous le diront d’ailleurs. Pour faire rire, il ne faut pas inquiéter.

Mais les questions qui inquiètent, est-ce que ce n’est pas aussi ce qui creusent des attentes, ce qui fait germer l’espoir? Quand quelqu’un s’interroge sur sa vie, ses goûts, ses relations, ses amitiés, quand il ou elle se demande où il en est rendu, quand il s’inquiète sur ce qu’il va faire, est-ce qu’il n’ouvre pas un espace à l’attente, aux espoirs?

Mais qu’est-ce que cela a à voir avec la joie que nous sommes censés célébrer aujourd’hui? La joie ne vient-elle pas de la satisfaction, de l’expérience du bien-être ressenti? Est-ce qu’être joyeux ne signifie pas être content, c’est-à-dire satisfait, sinon comblé et alors qu’est-ce que les attentes dont je parlais ont à faire avec la joie? Est-ce que je me suis laissé distraire ou bien y a-t-il deux sortes de joie : la joie de la satisfaction et celle de la quête, de la recherche, de l’inquiétude à combler?

Si je me comprends bien, si je suis ce que je viens de dire, il faudrait donc entretenir l’inquiétude, comme une soif, comme un désir profond, pour que la joie puisse aussi avoir sa place. Être dans la joie, ce ne serait pas qu’un état béat, où on se repose sur ses lauriers, on on se félicite de ses acquis et de ses possessions. Être dans la joie, ce serait être dans l’espérance d’un plus. Pas nécessairement dans la misère ou dans le manque, mais dans l’attente d’un progrès, d’une croissance. Soulignons cette phrase : être dans l’attente ne signifie pas oublier ce qu’on a et ce qu’on voit de bon autour de soi; cela veut dire être aussi ouvert à ce qui n’est pas encore arrivé.

Rendu là dans ma réflexion, je me suis demandé si je me parlais tout seul, si je pensais en vase clos, ou bien si mes réflexions avaient quelque chose à voir avec les lectures de ce matin. J’y suis retourné.

Isaïe est clair. Il y a déjà des raisons de se réjouir. Mais ce n’est rien à côté de ce qu’on peut attendre. Le désert et la terre vont se couvrir de fleurs; les cœurs défaillants vont devenir forts et la terre brûlée un étang. Le joie actuelle n’est rien à comparer à la joie à venir.

Et l’évangile du jour va dans le même sens. Devant les hésitations et le questionnement de Jean-Baptiste, Jésus lui répond par les gestes qu’il pose, par l’action qu’il a déjà entreprise. Puis, une fois les disciples de Jean-Baptiste repartis avec cette réponse, il continue son discours. Il dit à ses auditeurs ce que Jean-Baptiste a accompli. Non pas la fin des choses, mais l’ouverture d’un chemin. Jean-Baptiste n’est pas le dernier mot en matière de prédication, mais son discours veut ouvrir une voie en vue de construire le royaume que Jésus inaugure. Le commencement a eu lieu, les germes sont là, mais la promesse est plus grande. Le royaume n’est pas possédé, il est recherché dans les efforts mis à sa construction. C’est en se rappelant cela que nous pouvons restaurer la joie en nous, en conjuguant l’avoir et l’attente.

Tout cela veut dire que nous avons bien raison de nous questionner à la veille de la fête, que nous pouvons entendre l’invitation à la réjouissance avec un soupçon légitime. Tout n’est pas acquis, tout n’est pas réglé. Mais cela signifie surtout que nous devons chercher ce que nous attendons vraiment pour trouver les vrais motifs de réjouissance et entretenir notre espérance à la veille de la fête. N’ayons pas peur de nous mettre à l’écoute, de nous-mêmes bien sûr, mais aussi des autres qui peuvent nous aider à élargir nos attentes. C’est seulement en explorant et en creusant nos attentes que nous anticiperons une joie qui a de l’avenir, que nous nous préparerons en vérité à la fête. Le grand cahier à l’entrée de l’église est rempli de ces attentes porteuses de joie possible.

 L’avent, c’est cela : un temps de préparation, d’anticipation. Mais c’est pour cela aussi qu’il y a un dimanche de la joie durant l’avent : pour bien mettre le doigt sur l’espérance à entretenir pour que la fête ait du sens. La joie du temps de l’avent en est une qui s’appuie sur le présent pour se tourner franchement vers l’avenir; c’est une joie de l’attente plus que de la satisfaction. C’est finalement une joie que les enfants peuvent nous aider à redécouvrir, car ils savent bien eux que l’avenir est pour demain. Si on dit si facilement que Noël est la fête des enfants, c’est peut-être parce qu’ils en possèdent le secret et que nous ne pourrons vraiment entrer dans la joie de la fête qu’en retrouvant nos cœurs d’enfants…