Être
le veilleur et l’éveilleur…
L’insistance est grande, répétitive même : « veillez ».
J’ai presque envie de dire : tout est là pour quelqu’un
qui croit en l’avenir, en la vie, en Dieu. Tout est là pour
qui est encore capable d’entendre la nouveauté de l’Évangile, à travers
tous les bruits, les solidarités démocratiques comme en Ukraine,
les rumeurs de guerres, les joies, les moments de détresse en nous
et autour de nous. Tout est là pour qui est encore capable d’entendre
les naissances de notre monde.
Nous entrons dans l’Avent, dans l’avènement :
veillez. Veillez, c’est percer du regard ce qui vient; c’est être
aux aguets. Suis-je un veilleur? Suis-je dans l’attente?
De qui? De quoi? Veiller pour participer à ce qui naît.
Etre prêt pour s’étonner. Prêt pour s’émerveiller.
Prêt pour la naissance de Dieu. Il suffit d’ouvrir les yeux.
Il naît. Avoir un regard à l’affût de toute naissance.
C’est la foi et l’espérance mêlées. Un regard
qui voit les commencements et les recommencements. Un regard qui plonge
dans le présent et habite l’avenir. Chez le veilleur, il y a
beaucoup de conscience, de la confiance aussi, parce qu’un veilleur
qui a peur, n’est plus vraiment un veilleur. Le veilleur doit être
capable de recevoir, d’accueillir ce qui vient. Attendre, c’est
une confiance. Pas d’avent, pas d’attente, pas de naissance de
rien. Un grand espoir, une immense espérance… Veillez pour
participer à la
naissance de l’humanité nouvelle.
« Vous ne connaissez pas le jour, ni l’heure » dit
Jésus. Oui, il y a beaucoup d’imprévu dans nos vies.
C’est face à l’imprévu que l’être humain
révèle sa vraie mesure. Il doit se livrer coûte que coûte à une
lutte corps à corps avec le réel. L’imprévu démasque
les faux airs d’assurance chez les uns, et dévoile chez les
autres des forces étonnantes. Une maladie subite, la mort d’un être
aimé, révèle quelqu’un qu’on croyait sans
ressort, et tout à coup surgit son courage et sa force de caractère.
Arrivez chez quelqu’un à l’improviste, et vous aurez la
chance de savoir ce qu’il pense de vous. L’imprévue opère
une révélation, celle du meilleur et du pire parfois. Sans
cultiver l’imprévu pour l’imprévu, ne pas l’éviter,
parce que c’est là qu’il se passe quelque chose.
Discourant sur l’imprévisible, Jésus parle de
sa venue. Deux images pour dire l’attente : L’arche
de Noé et le voleur qui perce les murs de la maison.
A sa manière, quand il décrit la société d’avant
le déluge, Jésus semble rejoindre quelques attitudes qu’on
retrouve aujourd’hui dans nos sociétés. Planifier sa
vie : travailler, se nourrir, se marier… Alors que être
prêt, c’est devenir les artisans de notre propre humanité,
de participer à l’émergence de l’humanité nouvelle.
L’image de l’arche de Noé remplie de tout ce qui existe,
est celle d’une humanité nouvelle qui a échappé à la
destruction et qui est encore en gestation. C’est un recommencement.
Noé a senti le vent. Dieu lui a donné du flair. Nous sommes
de cette humanité « sauvée des eaux ».
Reprenant l’image du voleur qui perce les murs de
la maison : si le
propriétaire avait été un véritable veilleur
et qu’il avait ouvert sa porte pour accueillir le voleur, le voleur
aurait peut-être été déstabilisé. Et en
même temps le voleur est peut-être l’image de celui qui
vient pour percer tous nos murs, pour ouvrir un monde clos. Le fils de l’Homme
ne vient-il pas pour faire une percée dans nos murs? Et la naissance
de Jésus comme toute naissance n’est-ce pas aussi cela :
faire une percée pour sortir, de sortir de l’océan béatifique
de la mère et pour apprendre à devenir un veilleur.
Que signifie donc l’avènement du Fils de l’Homme
dont Jésus parle? On est trop habitué de le renvoyer à la
fin de temps. Ainsi pensée, cette venue n’est pas mobilisatrice.
On a de bonnes raisons de penser qu’on ne verra pas la fin du monde.
Alors l’appel à la vigilance nous concerne-t-il? Toujours
la même question : comment devenir un être vigilant?
Comment être les artisans de cette humanité nouvelle
qui naît, grâce à nous, grâce à Dieu. Cette
nouvelle humanité attend de nous qu’on la mette au monde. À la
suite de la naissance de Jésus, que naissent des hommes et de
femmes plus humains, n’est-ce pas cela la manifestation de sa venue?
Le veilleur, c’est aussi le poète qui regarde
et qui est à l’écoute
de la plus infime voix, qui guette le signe qui en fera un message
pour celle ou celui qui, à son tour, sera à l’écoute.
Le poète veilleur espère en dépit de toutes les nuits;
c’est quelqu’un qui partage le pain reçu avec celles et
ceux qui cheminent à ses côtés; un chercheur passionnément à l’écoute
des plus humbles balbutiements comme des grands et multiples poèmes
qui dévoilent Dieu. C’est là que Dieu vient; c’est
là qu’un vieux monde s’en va, qu’un monde nouveau
naît. Ne cherchons pas ailleurs.
La Parole de l’Évangile rassemble toutes
les voix humaines qui disent Dieu dans le monde. L’Évangile
n’est pas discours,
mais amour et vie; il est souffle qui traverse l’humanité. L’Évangile
n’est pas une histoire gentille. C’est une terrible histoire
d’amour et d’espérance, de veille, là où il
nous faut traverser nos propres ténèbres. Pour que Noël soit
naissance au cœur de la nuit, un véritable cadeau que Dieu nous
fait et que nous nous faisons mutuellement, veillons et nous pourrons surprendre
tous les voleurs, qui perceront les murs de nos maisons, parce qu’ils
se sentiront accueillis et peut-être, ô surprise, attendus. C’est
le cadeau qui ne s’achète pas, mais qui nous est offert. Je
nous le souhaite pour ce Noël qui vient.
En finale de la célébration :
Angelus
Silesius : « L’âme a deux yeux :
l’un regarde le temps, l’autre se tourne vers l’éternité. »