LE CHRIST, ROI DE L’UNIVERS
On fête
le Christ, roi de l’univers, et on nous fait entendre le récit
d’un échec, de l’échec d’une royauté.
Il avait marché à travers le pays, entouré de ses compagnons
qui l’aimaient, souvent sans trop comprendre ses gestes et sa parole.
Des compagnons, des disciples qui maintenant l’ont abandonné.
Il parlait, il enseignait : bienheureux les cœurs droits, les
pacifiques, les affamés de justice. Il disait aussi bienheureux ceux
qui souffrent et pleurent. Il regardait surtout ces femmes et ces hommes
qui venaient l’écouter parce que sa parole était promesse
et espérance. Ces femmes et ces hommes qui étaient comme un
troupeau laissé à lui-même, comme un troupeau qui cherchait
un pasteur. Il voyait les affligés et les malades, et sur eux son
regard était compassion et guérison souvent. Il voyait les
pécheurs, les exclus de toutes sortes, et alors son regard devenait
pardon et relance dans la vie. il voyait ceux et celles qui cherchent un
sens, une direction et qui ne se satisfont pas facilement de ce qui est,
même si cela est heureux. Et son regard alors se faisait accueil et
miséricorde; un regard qui découvrait à l’autre
des horizons jusque là impossibles.
Il disait
Dieu. Il disait : Père; et entraînait à dire :
Notre Père. Il disait aussi le Royaume qui est caché mais présent
et actif, comme le levain enfoncé dans la pâte qu’il
fait pourtant lever, comme la perle rare pour laquelle on vend tout, comme
la lumière qu’on place bien haut et qui éclaire et guide
comme un phare. Un Royaume qui était celui de ce Dieu, son Père,
et le sien, et de qui se mettait en marche à sa suite.
Mais
maintenant, c’est l’échec. Refusés, condamnés,
les paroles et les gestes et le regard si neuf, si différent. Il est
crucifié. Le peuple pourtant reste là encore à regarder :
le miracle va se produire, le salut va éclater, le Royaume va se manifester
et triompher. Mais, rien. Alors on écoute ceux qui savent. Et ceux-là,
ils laissent libre cours à la moquerie : « Il s’est
dit le Messie de Dieu, et voyez-le, seul, abandonné; on avait bien
raison, on avait bien compris; il est crucifié ». Et les
soldats prennent le relais et vont plus avant dans la moquerie et la dérision. « Si
tu es le roi des Juifs… » Comme le tentateur, au tout premier
jour, quand il était au désert. « Si tu es le roi
des Juifs, fais le geste d’éclat, prouve-la cette royauté que
tu as reconnue devant le représentant du pouvoir, devant Pilate qui
est l’image du vrai pouvoir, celui qui commande et qui domine, et qui
sait à quoi mènent les rêves, les espérances,
les utopies de justice et de paix. Et lui, il est là en croix, si
présent et si loin en même temps comme il a toujours été :
présent à la vie, mais loin de l’image trop crue, trop évidente,
trop réduite de la vie. Jusqu’à maintenant, il n’a
fait que prier le Dieu Père. Une prière pour les autres — comme
toujours — : « Pardonne-leur, ils sont si faibles, si abandonnés à eux-mêmes,
ils ne peuvent voir et savoir ».
Un échec.
Mais pas vraiment un échec. Une occasion encore de dire et d’apporter
la lumière et l’espérance. Ce malfaiteur qui se reconnaît
justement puni et qui se tourne vers lui, et qui le voit tout proche :
il est dans la même condition, dans les mêmes souffrances. Et
si loin pourtant avec son pardon, sa fidélité au Père,
son immense espérance. Et c’est comme une confession de foi
dans un règne qui demeure possible derrière l’échec,
une confession de foi en celui qui vit l’épreuve comme une étape,
un passage : « Souviens-toi de moi… » et
la réponse. Bien à sa manière. Comme un appel encore à bien
voir et à bien comprendre : « Aujourd’hui, c’est
le Royaume. Aujourd’hui, tu es avec moi ».
Quel
est-il donc ce Royaume? Le royaume des mal pris, des exclus, des pécheurs
qui ne se font pas d’illusions sur eux-mêmes, des faibles de
toutes les faiblesse? Oui. Et royaume encore et surtout de tous ceux-là et
toutes celles-là qui ont un jour aperçu son regard et qui ont
ajusté leur propre regard au sien. Qui savent être forts de
sa force à lui. Qui veulent la justice, la paix, le bonheur, mais
pas seulement pour eux. Qui savent voir le bonheur dans le partage et le
service, comme lui, à sa suite. Qui reconnaissent la vie, la protège
et la veulent en toute sa grandeur.
Un Royaume
qui n’est pas de ce monde parce qu’il refuse la domination et
l’oppression, et qui pourtant est dans ce monde, mais qui voit plus
loin que les pouvoirs les meilleurs et les plus justes. Un Royaume qui est
d’abord dans le cœur et ainsi transforme et fait plus grands
les meilleurs royaumes de ce monde. Comme le levain dans la pâte qui
est caché mais actif. Le Royaume qu’il a choisi aux premiers
jours, aux jours de la tentation du pouvoir terrestre et mondain : « Si
tu veux être roi… » Oui, il a choisi d’être
roi, il l’a accepté, mais à la manière du roi
David qui a appris son métier dans la pratique du métier de
pasteur et de vrai berger. Rassembler le troupeau, et le défendre
comme le jour où il a arraché la brebis de la gueule du lion.
Conduire le troupeau auprès des eaux vives en des prés d’herbe
fraîche. Un roi pasteur, pas un roi qui commande, se fait obéir
par la force. Un roi pasteur qui est attentif aux besoins de son peuple :
ce peuple qui regarde et attend. Un roi qui n’est pas roi pour lui-même
mais pour les autres qu’il appelle, écoute, console et mène
plus loin.
Et c’est
aujourd’hui ce roi et ce Royaume, tous les aujourd’hui où nous
sommes avec lui. Tout proche, tout présent, quand on retrouve ses
mots et ses gestes pour dire la justice, la paix, la vie. Tout proche,
tout présent, mais si loin aussi. Si loin parce qu’il est toujours
en avant de nous, pour attirer, provoquer à avancer d’un pas
de plus, ne pas craindre l’épreuve et le passage. Un Royaume
qui est à notre mesure, tout humain comme nous, mais qui force le
regard en avant, plein d’une espérance qu’il nous a montré qu’elle
n’était pas vaine. Le Royaume dont il est le roi parce qu’il
est descendu au plus profond de ce que nous sommes, au plus profond de notre
faiblesse. Et dans sa faiblesse qui est comme la nôtre, il a montré sa
force, il nous a donné sa force qui fait que l’on ne se contente
jamais de ce qui est, que l’on croit toujours possible l’impossible
et que l’on se force de le faire advenir. Aujourd’hui, c’est
le Royaume, et l’on est avec lui parce qu’il a été avec
nous.