Qu'est-ce qu'une porte étroite?
En
ces temps où on nous parle très souvent des résultats
impressionnants dans le monde de la construction, vous me permettrez de faire
un lien entre cette situation et l’évangile de ce matin, et
de vous poser une question d’ordre architecturale. « Qu’est-ce
qu’une
porte étroite? » L’évangile du jour parle en
effet d’entrer par la porte étroite et c’est le titre qu’on
a retenu pour l’affichage des célébrations de notre communauté.
Parmi toutes les questions que pourraient soulever l’évangile
du jour, vous me permettrez donc de retenir celle de la porte étroite
et de vous demander à nouveau : « Qu’est-ce qu’une
porte étroite? »
Même
si vous n’êtes pas relativiste dans vos options philosophiques,
même si vous n’aimez ni temporiser, ni diluer la vérité,
vous me concèderez qu’il s’agit là d’une notion
relative. Qu’est-ce qui permet de dire qu’une porte est étroite?
Physiquement, matériellement, cela dépend de l’usage qu’on
veut en faire. La porte d’entrée à l’arrière
de cette église n’est ni particulièrement large, ni particulièrement étroite.
Elle est, disons, convenable à l’usage habituel qu’on en
fait. Psychologiquement et moralement, on peut aussi parler de « porte étroite » et
c’est évidemment de ce qu’il s’agit dans l’évangile
du jour. Jésus n’avait probablement pas de préoccupations
architecturales et s’il emprunte l’image de la porte étroite,
on peut présumer que c’est à des fins morales ou évangéliques.
Est-ce que ce que nous avons dit des portes étroites au sens physique,
matériel, vaut aussi pour les portes étroites au sens moral et évangélique?
Autrement dit, quand Jésus annonce qu’il faudra passer par la
porte étroite, a-t-il une mesure en tête, ou pense-t-il, comme
dans le cas des portes ordinaires, que cela peut varier? Et si la largeur d’une
porte étroite, morale ou évangélique, varie, quels seront
les critères qui permettront de l’identifier?
Il
y a déjà des critères dans la suite de l’évangile
de ce matin et on peut les résumer ainsi : une porte étroite,
c’en est une qu’on ne peut « élargir » en faisant
valoir ses relations personnelles, ni mêmes ses références
ancestrales, dans ce cas-ci à Abraham et sa descendance. Ce sont là des
critères évoqués ailleurs dans l’évangile
et qui ont probablement à voir avec les querelles entre les juifs et
les premières communautés chrétiennes autonomes. L’extrait
de ce matin se termine même avec une annonce que les critères
pourront être renversés, puisque les premiers seront les derniers.
Il
faut donc accepter de chercher ailleurs les critères qui vont nous permettre
de reconnaître une porte étroite. Les connaissances et les pratiques
de notre époque peuvent peut-être nous aider à faire un
pas de plus. Est-ce qu’une porte étroite au sens moral ne serait
pas comme une porte étroite au sens physique, c’est-à-dire
une porte qui convient à l’usage qu’on veut en faire. Dans
la situation morale, on peut même changer de mot, il me semble, et dire « qui
convient à l’usager qui veut s’en servir ». Une porte étroite
serait donc une porte adaptée à celui ou à celle qui doit
y passer pour trouver sa route, pour poursuivre son chemin à lui ou à elle.
Comme dans le monde de l’habillement ou dans celui de la psychologie,
une porte étroite est en somme une porte bien ajustée. Une porte
qui ouvre le passage, qui laisse passer, mais selon ce qui convient exactement à celui
ou à celle qui doit l’emprunter.
J’entends
déjà les commentaires qui commencent à naître dans
vos esprits. « Avec son laxisme, il est en train de détourner
le sens de l’évangile du jour. À le suivre, on va en venir à croire
que la porte étroite dont parlait Jésus est devenue une porte
tournante ouverte en tout temps et à n’importe quelle condition. » Permettez-moi
de reformuler ce commentaire en une question : est-ce qu’une porte
adaptée à mes besoins, ajustée à mon gabarit, est
nécessairement une porte facile à franchir? Dire que la porte
d’entrée du royaume est une porte qui convient à chacun
et chacune de ceux qui sont appelés à y entrer, est-ce dire,
employons le mot, que c’est une porte devenue facile?
J’aurais
le goût, malgré mon incompétence, de me tourner vers le
monde de la mode pour répondre à cette question. Comme nous sommes
encore en période de vacances, je me permets donc quelques comparaisons
empruntées aux mœurs vestimentaires. Combien de jeunes, garçons
ou filles presque également, se soumettent actuellement à des
régimes exigeants pour s’approcher personnellement le plus possible
du modèle proposé par leurs idoles. Porte adaptée, bien
sûr, mais porteuse de toutes les exigences de ce que l’on veut
pour soi. Et les plus âgés n’échappent pas non plus à ces
conditionnement physique sont immédiatement après les fêtes
de Noël et avant les vacances d’été, au moment où on
veut se raffermir le corps avant de le promener sur les plages. Et je pourrais
continuer en empruntant à d’autres domaines de la vie des exemples
similaires. Les olympiques fourniraient plein de cas d’athlètes
qui s’imposent un entraînement sévère pour passer
la porte qui leur convient, ou dans leur langage, pour atteindre leur objectif.
Dans le monde artistique, c’est pareil : les performances exigent
là aussi qu’on se soumette à une formation sévère.
Une
porte adaptée à soi n’est donc pas une porte facile.
Au contraire, elle peut même devenir une porte plus exigeante que
celle qui serait construite à partir d’exigences généralisées.
Nous nous souvenons de l’époque où la religion et l’homogénéité sociale
nous imposaient des règles communes. Elles étaient souvent
sévères
par leurs exigences, mais faciles à suivre par la bonne conscience
et la satisfaction qu’elles procuraient. Nous conformer à leurs
exigences suffisaient à nous rassurer sur nos choix. Opter pour la
porte étroite
qui me convient ne peut pas profiter de ce même soutien populaire. À la
limite, personne d’autre que moi ne peut vraiment dire quelle
est la porte qui me convient vraiment. Par conséquent, personne d’autre
que moi ne peut porter la responsabilité du choix posé. Je
peux bien essayer de me délester un peu de ce poids en évoquant
mon hérédité, mon éducation, mon milieu social
et mon développement historique, il n’en reste pas moins que
la décision
ultime relève de moi.
Porte étroite,
porte adaptée à mes besoins; porte exigeante, mais porte par
laquelle Jésus m’invite à passer à sa suite et avec
son aide. S’il doit y avoir des « pleurs et des grincements de dents » qui
accompagnent normalement tous les chemins qui mènent quelque part, il
y aussi l’espérance de ne pas être seul sur le chemin et
l’assurance d’être appelé vers un ailleurs qui nous
convient.