Confiance!
Ce texte de Luc a souvent été interprété dans
un sens missionnaire : « La moisson est abondante, mais les
ouvriers sont peu nombreux… ». Sous-entendu : Allez
donc en recruter! J’avoue me sentir hérissée par tout
ce qui peut avoir un relent de prosélytisme. Vous comprendrez donc
mon embarras, si pas ma réticence, lorsque Guy Lapointe m’a
demandé de faire l’homélie aujourd’hui!
Mais on peut lire autrement ce passage.
En en parlant avec Benoît
Lacroix et Muguette Lavallée, ce qui est devenu évident, c’est
l’extraordinaire confiance que Jésus place en ses disciples
et, réciproquement, la confiance que les disciples font à Jésus… Replaçons
le passage dans son contexte. Nous avons vu dimanche dernier que Jésus
faisait route vers Jérusalem, il sait que ses jours sont comptés… Il
se sent dépassé par l’ampleur de la tâche : « La
moisson est abondante » et il sait qu’il n’aura ni
le temps, ni la force de la mener à bien. Il se tourne donc vers ses
disciples pour prendre la relève… et il les envoie en quelque
sorte en stage (comme on dirait en langage d’aujourd’hui)! Cela
ne fait pourtant pas tellement longtemps qu’ils le suivent : les
plus anciens depuis deux ans au maximum, les plus récents depuis quelques
mois. Mais Jésus n’hésite pas à les envoyer de
l’avant : « Vous êtes capables » sous-entend-il…
Et il leur donne même très
peu de consignes, des choses très
simples : « N’emportez pas de bourse, pas de sac, pas
de sandales » Autrement dit : ne vous encombrez pas de choses
inutiles. « Dans chaque maison où vous entrez, dites d’abord « Paix à cette
maison … demeurez dan cette maison, mangeant et buvant ce qu’on
vous donnera ». Autrement dit encore : « Soyez
vous-mêmes, faites confiance aux autres pour vous loger et vous nourrir » Jésus
ne leur demande pas de prêcher, mais il leur dit encore : « Guérissez
les malades et dites-leur : Le règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous ». Pour
les disciples, il y a de quoi être inquiets! Ce sont pour la plupart
des personnes simples, et il leur demande de guérir les malades :
Vous êtes capables! Tout en les prévenant qu’il les envoie « comme
des agneaux au milieu des loups!!!... Mais il ne les envoie pas seuls :
ils seront deux par deux, car Jésus sait le soutien mutuel que cela
apporte.
Ce qui est peut-être encore plus étonnant, c’est la confiance
que les disciples mettent en Jésus : ils ne protestent pas, ils
y vont… Tant il est vrai que la confiance appelle la confiance. Nous
avons tous été témoins, si pas sujets nous-mêmes
d’une telle expérience. Je pense à l’enfant qui
fait ses premiers pas, sous l’œil vigilant de ses parents :
il doit oser se lancer, mais il faut aussi que ses parents le laissent faire,
quitte à ce qu’il tombe parfois… Plus tard, à l’entrée
de l’école, il faut aussi faire confiance en la capacité de
l’enfant de se débrouiller dans cette mini-société,
et accepter de ne pas interférer dans ses problèmes avec les
autres… Ou à l’adolescence, le laisser sortir, partir
en vacances avec des amis… Et plus tard, faire son chemin dans la
vie… S’il sent que ses parents lui font confiance, il se sentira
plus sûr de lui, plus confiant en lui…
Avouons : il est difficile de laisser
aller, on a tendance à vouloir
prévenir les mauvais coups, on va même jusqu’à décider
pour l’autre ce qui est le mieux pour lui : je pense par exemple
aux contraintes que l’on met sur les personnes en situation de pauvreté,
on décide pour elles ce qui est « pour leur bien »,
sans même leur demander leur avis! Il n’est vraiment pas facile
de faire confiance…
Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à « nos
agneaux parmi les loups ». Comment se sont-ils débrouillés?
Finalement, pas si mal que ça… La suite du texte raconte qu’ils
sont revenus dans la joie, étonnés de ce qu’ils avaient
accompli : ils avaient même chassé les démons!
Leurs propres démons intérieurs, la peur, le manque de confiance
en soi, la crainte d’être jugé… Et les démons
des autres : la méfiance, le mépris, le rejet… La
confiance permet de faire des miracles, c’est bien vrai! Pensons aux
jeunes itinérants du Bon Dieu dans la rue, à qui Pops, le père
Emmet Jones, propose un programme scolaire sur mesure, et qui finissent pas
se réinsérer dans la société; ou à ces
femmes de Hochelaga-Maisonneuve qui ont fait une exposition de leurs œuvres… parce
que des personnes leur ont fait confiance et ont cru en leurs capacités. « On
se sentait moins que rien. Maintenant on sait qu’on est important et
qu’on peut réussir » déclare Sylvie, à la
fin d’un programme de préparation à l’emploi pour
mères monoparentales… « Quand tout va mal, cela
donne du courage de savoir qu’il y en a encore qui croient en toi » dit
encore une jeune mère à un permanent d’ATD Quart-Monde.
Les exemples ne manquent pas non plus dans
notre communauté St-Albert :
combien de laïcs sans formation théologique particulière
participent à la préparation des liturgies, composent des intentions
de prière, voire même prononcent des homélies!?... Ce
sont des parents qui font « l’école du dimanche » aux
enfants et qui les préparent aux sacrements, les plus anciens accompagnant
les « novices » dans ces tâches… Le conseil
de pastorale est composé de membres de la communauté unis dans
le même désir d’approfondir leur foi et de rendre la communauté vivante… Les
réunions des divers comités sont ouvertes à tous… Tout
cela parce que les responsables-prêtres qui se sont succédé ont
fait et font encore confiance dans la capacité des membres, laïcs
et religieux, de prendre leur place dans l’Église. Bien sûr,
en leur donnant le support dont ils, elles ont besoin.
Confiance de Jésus dans ses disciples,
confiance des disciples en Jésus, confiance en soi… Toutes
choses qui sont liées
et se répondent mutuellement. S’il est relativement facile pour
nous de placer notre confiance en Jésus, il est peut-être plus
difficile de penser qu’il nous fait confiance et qu’il nous envoie
aussi vers les autres, vers l’inconnu, pour que nous soyons des messagers
de paix, des agents de guérison, des chasseurs de démons, et
surtout des témoins du règne de Dieu parmi nous. Voilà,
me semble-t-il, le sens de la mission… Sommes-nous suffisamment sûrs
de la confiance que Jésus place en nous pour relever le défi?